Pendant une grosse quinzaine d’années, John Ostrander signe de longues prestations sur des séries de l’univers DC, certes secondaires mais fécondes en idées et en intrigues. Après Firestorm, Suicide Squad, Spectre et quelques autres, Martian Manhunter constitue le dernier gros morceaux de cette belle tranche de carrière.
Je me replonge dans les deux TPB à ma disposition, à savoir « Son of Mars » et « Rings of Saturn » (s’il y en a un autre, je suis sûr qu’on trouvera quelqu’un dans ce forum pour nous le signaler). Cette série, comme beaucoup d’autres chez DC, je l’ai lue au gré des fascicules que je parvenais à dénicher, donc bien entendu j’avais des trous dans la collection, et une réédition en recueil est la bienvenue.
Comme souvent chez Ostrander, le scénariste prend le personnage (ou le groupe) et tente de le mener vers d’autres horizons. Ici, la donnée est un peu différente. En effet, le limier martien est redevenu une vedette grâce à la série JLA de Grant Morrison, et donc la prestation d’Ostrander établit un dialogue avec cette dernière, rebondissant sur des informations déjà couvertes (les Martiens Blancs au premier chef, mais pas que…). De même, Martian Manhunter dialogue avec Chase, la série consacrée à Cameron Chase, agent du DEO, écrit par Curtis Johnson. Cela peut donner l’impression, au lecteur qui n’aura pas suivi les deux autres titres, que plein de choses ne sont pas montrées et semblent acquises. Ostrander prend la précaution de tout bien expliquer, mais quand même, on peut avoir une sensation de « cheveu sur la soupe ». Rien de bien grave, tout reste clair, mais l’effet ex-nihilo que le scénariste est parvenu à donner à ses autres prestations n’est pas présent, en tout cas pas sensible de la même manière.
Cependant, ça reste d’une grande efficacité et ça développe une atmosphère intéressante. Les premiers épisodes posent des tas de choses : ambiance polar soutenue par une voix off très « détective », idées novatrices (J’onn J’onzz n’a pas une identité secrète, mais plusieurs… et certaines sont surprenantes !), exploitation ingénieuse des pouvoirs du héros… Il y a une petite touche Vertigo dans l’approche, qui rend la série comparable à Spectre (des mêmes auteurs), mais aussi au Starman de Robinson. La publication de numéros stand alone entre les grandes sagas ne fait que rajouter à l’impression, d’autant que ces morceaux permettent de travailler l’image du héros en creux, à travers le regard des autres, et d’instiller de la psychologie et de la poésie (le numéro « one million », dessiné par Bryan Hitch, est à ce titre bouleversant).
Question intrigue, Ostrander exploite à fond le passé martien, en opposant J’onn à son jumeau (maléfique, voire… Malefic !), puis en développant les liens unissant les Martiens aux Saturniens, avec la présence de Jemm, son of Saturn, personnage créé graphiquement dans les années 1980 par Gene Colan. Ça speede, c’est puissant (Tom Mandrake sait faire parler la poudre), les pouvoirs télépathiques ou métamorphiques de J’onn l’autorisent à faire des exploits inédits, bref, c’est pas mal du tout.
L’une des choses intéressantes, c’est que le scénariste ne ménage pas son héros, mais lui donne l’occasion de grandir, de devenir plus puissant mais également plus important (tout en s’amusant sur l’apparence du héros : lui donner deux bras supplémentaires renvoie aux Martiens de Burroughs, par exemple…). C’est plutôt bien vu, au milieu des « traversées du désert » qui deviennent souvent le passage obligé dans une carrière de héros.
La série est moins violente que Spectre, donnant plus de place à l’aventure et au dépaysement. Elle est plus légère, sans pour autant tomber dans l’inconséquence. Une belle prestation, qui laissera sans doute l’un des meilleurs titres consacrés au personnage.
Jim