On a parlé récemment de la série Martian Manhunter par John Ostrander et Tom Mandrake. On a donc rapidement évoqué l’une de leurs autres collaborations, leur reprise de Spectre en 1994.
Ce qui m’a donné envie de relire les deux TPB que j’ai (en fait, j’ai la vieille édition du premier TPB, qui reprenait les quatre premiers épisodes, et que j’ai gardée à cause de la préface d’Ostrander lui-même), édités il y a quelques années et couvrant une vingtaine d’épisodes.
D’abord, les plus curieux (et anglophones) d’entre vous pourront se référer à ce qu’Ostrander dit lui-même de cette prestation.
Pour ma part, j’aime beaucoup cette série. Même si je trouve qu’elle se lit rapidement. Mais elle a plein de qualités.
Ce qui frappe au début, c’est qu’Ostrander enquille directement sur la violence et les métaphores visuelles de la version qu’avaient donné Fleisher et Aparo dans les années 1970. La manière dont le Spectre punit les voyous meurtriers dans le premier chapitre rappelle clairement les châtiments paraboliques de cette version restée dans les mémoires. Mais il est clair qu’Ostrander ne va pas se contenter de renouer avec une violence qui est en vogue dans les années 1990.
Son accroche, c’est de s’intéresser à Jim Corrigan, l’ancre humaine du spectre de vengeance. Pour ce faire, il va le montrer en pleine enquête sur ses assassins (Corrigan est hanté à plus d’un niveau). Ce qui permet plusieurs choses : d’une part placer le héros dans une continuité DC renouvelée (on est encore en post-Crisis) : Corrigan a été tué dans les années 1940. Donc, Ostrander et Mandrake explore sa vie passée. Un peu plus tard dans la série, ils se pencheront sur la place du Spectre dans la Justice Society. D’autre part, ça permet de bien présenter Corrigan comme un mort : il est aussi froid dans ses sentiments que dans sa peau. Et la présence d’Amy Beitermann, une conseillère sociale, va finir par réveiller des sentiments et fragiliser son alter ego.
L’un des points forts de la série, en plus de développer le héros, de poser des questions intéressantes sur la justice et le châtiment, de s’interroger sur la foi et la divinité (les auteurs posent le spectre comme véritablement « la voix de dieu », chose rare dans les comics de super-héros, où un certain flou œcuménique est en général de rigueur), c’est aussi de connecter le personnage au reste de l’univers DC : donc on voit passer Eclipso ou le Count Vertigo, mais aussi Superman, Madame Xanadu, les membres vieillissants de la Society… On voit également revenir des personnages fétiches d’Ostrander, parmi lesquels le révérend Craemer, issu de Suicide Squad. Sous ses airs de curé de choc revenu de tout et capable de douter, le père Craemer se retrouve bien déstabilisé face au Spectre ou à d’autres êtres surnaturels.
L’ensemble des péripéties sont également particulièrement fluides, et s’enchaînent avec une logique redoutable : la perte de contrôle du Spectre, sa vulnérabilité face à Eclipso, ses errements entraînant des réactions du gouvernement, etc etc. Il y a là une mécanique implacable qui correspond à merveille au personnage.
Graphiquement, Tom Mandrake, qui reluque depuis des années du côté de Gene Colan, convient à merveille à ce récit crépusculaire, où les choses dans l’ombre perdent de leur consistance, et n’apparaissent que rarement telles qu’elles sont.
On retrouve certains des thèmes favoris d’Ostrander. Le double maléfique, par exemple (ici, Eclipso est au Spectre ce que Ma’alefa’ak est à J’onn J’onzz, mais il faut aussi citer Azmodus) ou encore l’âme sœur que l’on trouve et que l’on perd (ses allusions aux « spooks » renvoient bien entendu à certains personnage de Grimjack). Ce qui permet de rajouter de la tragédie par un jeu constant de miroirs qui facilite la caractérisation.
Récemment, Marko s’exprimait sur le sujet de la toute-puissance de certains personnages (dans une discussion consacrée à Doctor Strange). Voilà ce qu’il disait :
Là encore, The Spectre est une splendide série, qui mériterait d’être rééditée en entier.
Jim