Man-Bat a longtemps fait partie du petit monde de Batman de manière périphérique, tout en bénéficiant de l’attention de grands auteurs. Créé par Frank Robbins et Neal Adams, il a droit à une trilogie magnifique (à redécouvrir chez Urban dans les deux tomes Batman la légende : Neal Adams), puis à des épisodes formidables dessinés par Michael Golden (et, de mémoire, publiés dans Batman Family). Il hante les ruelles sombres de Gotham depuis le début des années 1970, mais il me semble que ses premières aventures en solo datent de 1995, à l’occasion d’un récit en prestige format par Jamie Delano et John Bolton, suivi de près, en 1996, par une mini-série par Chuck Dixon et Flint Henry.
Cette dernière mini-série fait partie des choses que je cherche à compléter depuis longtemps, puisque je n’ai pas encore réussi à compléter le tout, qui ne fait que trois épisodes pourtant. J’ai déjà dit que j’aimais beaucoup l’écriture de Dixon, sorte de tourbillon d’énergie testostéronée couplée à une caractérisation toujours habile. Quant à Flint Henry, j’aime beaucoup depuis ses épisodes à la fin de la série Grimjack chez First. Ensemble, les deux lascars ont signé une excellente série de flic interdimensionnel, Lawdog, sous le label « Heavy Hitters » chez Epic / Marvel (l’ensemble du catalogue « Heavy Hitters » mériterait des rééditions, voilà un bon paquet de mini-séries passées relativement inaperçues et qui pourtant prodiguent leur quota de lecture agréable).
L’expression « pire dessinateur du monde » a déjà été employée avec affection pour des gens qui dessinent tout de travers mais parviennent à un résultat fascinant, et John McCrea a déjà été affublé de ce titre, je l’ai entendu. Flint Henry pourrait le revendiquer aussi. Chez lui, tout est grumeleux, organique, parturient, dégoulinant, comme maladif. Ses planches débordent de détails souvent inutiles et entassés pour le simple plaisir du défi graphique. Les cadrages sont tordus, les personnages affichent des yeux exorbités aux milieux de visages tuméfiés et les corps se tordent en tout sens. Bref, c’est le dessinateur parfait pour une histoire de monstre. D’autant qu’il est servi par l’encrage riche en ombres d’Eduardo Barreto dans les pages intérieures, et celui, limpide, de Kevin Nowlan sur les couvertures.
Le recueil Tales of the Man-Bat reprend la mini-série de 1996, accompagnée de son chapitre d’introduction publié dans Showcase '94 (et dont j’ignorais même l’existence. Le sommaire est complété par une autre mini-série, datant de 2006, écrite par Bruce Jones et illustré par Mike Huddleston, qui hésite entre s’inspirer de Michael Avon Oeming et pomper Mike Mignola. L’ensemble offre un tout assez cohérent, sous une belle couverture de Michael Golden, datant apparemment de la période, dans les années 1990, où il signait beaucoup de couvertures pour les séries consacrées à Batman.
La première mini voit le retour de Man-Bat à Gotham, alors qu’un assassin s’en prend à des généticiens et laissent des indices qui le désignent comme coupable évident. L’homme chauve-souris est pris en chasse par un flic aussi demeuré que surarmé. Bullock et Montoya, deux personnages qu’affectionne Dixon, mènent l’enquête. Dans le second épisode, Man-Bat est secouru par Killer Croc, qui le soigne dans les égouts, ce qui permet à Henry de dessiner deux monstres. L’ensemble se lit très vite, Dixon recourant à une voix off faites de one-liners cinglants et retranscrivant à merveille l’intelligence réduite et confuse de Langstrom sous sa forme monstrueuse.
Selon moi, la mini-série de Dixon et Henry est le meilleur morceau du recueil. Celle de Jones et Huddleston est loin d’être désagréable, mais elle a sans doute le tort de vouloir tasser trop de choses dans ses six épisodes, l’intrigue tournant autour de Black Mask mais également de Hush, ce qui fait peut-être un méchant de trop, et relègue le personnage titre au rang de faire valoir.
Le recueil, au final, donne surtout l’envie de retrouver le personnage. Et là, immanquablement, je repense à ses apparitions sous le crayon de Golden, des pages qui devraient être rééditées.
Jim