Quand John Byrne quitte Action Comics, après le numéro 600 qui permet à l’auteur de boucler son intrigue romantique entre Superman et Wonder Woman et de clore la période durant laquelle le titre est un « team-up book », la direction de DC a une idée saugrenue : transformer sa série fondatrice en anthologie hebdomadaire.
La parution propose donc plusieurs séries, installées sous la forme d’épisodes à suivre, parmi lesquelles on pourra noter Deadman ou Green Lantern (qui perd à l’époque son droit à un titre à son nom…). Et Superman, quant à lui, récupère une place particulière : sa série ne fait plus que deux pages, et se trouve au centre du sommaire (un strip « centerfold », en quelque sorte). Drôle de condition : le défenseur de Metropolis se retrouve au centre du magazine qui l’a vu naître, mais n’a droit désormais qu’à deux pages toutes les semaines.
L’expérience éditoriale est donc bizarre.
Aux commandes de ce feuilleton, on retrouve Roger Stern, soutenu par Mike Carlin depuis son départ de Marvel (où il animait pourtant avec talent Avengers depuis des années, ayant refait du titre un pilier de l’écurie, mais visiblement, Gruenwald n’avait pas la même appréciation de son travail), et le vétéran Curt Swan, qui avait marqué le personnage dans les années 1960, 1970 et 1980. À l’encrage, on croise le nom de John Beatty, un artisan d’une propreté exemplaire qui avait déjà sublimé le trait de Mike Zeck sur Captain America, puis Murphy Anderson, sans doute l’une des plus belles associations de l’Âge d’Argent. La narration façon Swan est limpide et élégante, malgré un trait qui se raidit un peu (le monsieur n’est plus tout jeune à l’époque). La construction en doubles pages donnent à l’ensemble l’allure d’un strip de presse, et c’est assez agréable.
Le récit est simple : Superman sauve un homme d’une tentative d’attentat. Il s’avère que ce dernier, Bob Galt, est un adepte d’une religion dont le héros est le dieu, le messie, le sauveur. Les adversaires qui tentent de le faire taire sont des industriels peu scrupuleux, dont on découvre au fil du récit qu’ils sont eux-mêmes guidés par une foi haineuse, à l’inverse de Galt. Celui-ci présente à Superman les autres membres de sa secte, et un conflit surgit, permettant de présenter l’être qui attise les haines (et, au passage, confère des pouvoirs aux croyants, ce qui renforce leur foi).
Le récit aborde donc l’aspect religieux que peut revêtir la présence d’un surhomme sur Terre. C’est plutôt bien joué, rapide dans le déroulement, et ça connecte l’ensemble à l’univers DC, ce qui évite d’avoir un récit hors continuité qu’on pourrait oublier facilement.
L’expérience éditoriale dure moins d’un an. Au bout de quarante numéros, Action Comics redevient un comic mensuel avec un seul personnage (et Stern en deviendra le scénariste régulier, apportant sa compétence et son bon sens au personnage, pour le résultat que l’on sait). L’intrigue principale est bouclée, sur une demi-victoire du héros, quelques épisodes avant la fin, les derniers chapitres étant consacrés à un thème voisin, celui de la dislocation de la société sous l’effet du racisme, de la haine et de la peur. Difficile de dire, de longues décennies plus tard, si Stern avait prévu de lancer une autre intrigue avant que la décision de rechanger la formule tombe, ou si les ultimes développements sont la conclusion prévue.
Le TPB The Power Within compile ce feuilleton, ainsi qu’un récit en trois parties, publié des années plus tard à cheval sur Superman, Adventures of Superman et Action Comics. Cette dernière histoire, écrite par William Messner-Loeb, met en scène le jeune Davood, fils d’immigrés quraquiens, qui se retrouve en possession d’une ceinture augmentant les pouvoirs naissants qu’il a hérités à la suite de l’Invasion. Or, Luthor convoite l’objet et utilise la peur et la haine envers les immigrés arabes pour le récupérer.
Là encore, le dessin est assuré par Curt Swan, cette fois-ci encré par Dennis Janke (excellent mélange). Mais le dessinateur n’est pas le seul point commun des deux publications. Le fil directeur, c’est la haine, et notamment la haine envers l’arabe. En cela, la « trilogie Sinbad » est la suite directe du feuilleton écrit par Stern. Et si la démonstration est rocambolesque et spectaculaire, ainsi qu’on peut s’y attendre dans un comic, le propos est terriblement d’actualité. Nous sommes en 2019, le TPB est sorti en 2015, les bandes datent de la fin des années 1980 et du début des années 1990, mais plus que jamais, elles parlent de l’Amérique d’aujourd’hui.
Jim