Tiens, j’évoquais Dan Vado quelques posts plus tôt. Ce monsieur est à la tête d’une petite maison d’édition, Slave Labor Graphics, il a officié comme libraire et comme organisateur de festival, mais il a également écrit quelques séries. Et notamment, il est à l’origine de The Griffin, une série orientée SF qui a commencé chez un indé avant de continuer notamment chez DC (je ne sais pas si c’est un reprint colorisé ou pas, d’ailleurs).
Mais j’en parlais il y a quelques années. Rediffusion.
THE GRIFFIN
L’ancêtre d’Invincible ?
Une fois n’est pas coutume, nous allons évoquer le cas d’une bande dessinée qui n’a pas connu les honneurs d’une traduction dans notre vert pays. The Griffin, malgré le format ambitieux de sa publication et la promotion flatteuse à sa sortie, n’aura pas laissé grand souvenir. Malgré des qualités qui apparaissent évidentes à la redécouverte.
Entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, la mode, en matière de format, était à ce qu’on a appelé le « Prestige ». Rappelons au moins de vingt ans que le « Prestige Format » est un comic book de quarante-huit pages, à dos carré, sans publicité, offrant une reliure et une impression de meilleure qualité (c’est l’époque où les éditeurs tentent de nouvelles colorisations en mode traditionnel, ou de reproduire des crayonnés sans encrage). La mode a démarré, si mes souvenirs sont bons, avec le Dark Knight Returns de Frank Miller. J’étais personnellement assez client des Prestige Formats , pour ma part : plus chers effectivement, ils offraient bien souvent des récits hors continuité avec une certaine exigence formelle (thèmes plus ambitieux, planches raffinées, tonalité plus adulte…). De nombreux récits désormais légendaires y ont trouvé un écrin de choix : la Cosmic Odyssey de Starlin et Mignola, le Blackhawk de Chaykin, le Gilgamesh II de Starlin, le Give Me Liberty de Miller et Gibbons, le Twilight de Chaykin et Garcia-Lopez, le Black Orchid de Gaiman et McKean, les premiers Elseworld à la suite du Gotham by Gaslight d’Augustyn et Mignola, et plein plein d’autres. Assez souvent, le contenu est de qualité, et la présentation a contribué a donner à la bande dessinée américaine un certain cachet, la sortant en partie de la présentation populaire qui était la sienne depuis la fin des années 1930.
En plus, les Prestige Format bénéficient en général d’une reliure solide, et vingt-cinq ans après, c’est toujours aussi solide. Plein de TPB ne peuvent pas en dire autant.
Bref.Parmi les sorties bien promues par DC, grand pourvoyeur de Prestige Formats au début des années 1990, il y a une série qui a échappé à bien des commentateurs : The Griffin . La découverte d’un pack contenant l’ensemble des six numéros (à pas cher, héhé…) m’a permis de découvrir sur le tard cette série publiée par DC en 1992. Dans la logique développée à l’époque du « creator owned » (la bande appartient aux auteurs, un truc qui sera peut-être remisé au musée dans quelques années, maintenant que les grandes corporations mettent la main sur toutes les licences imaginables…), DC offre au scénariste Dan Vado et au dessinateur Norman Felchle l’occasion de développer leur personnage au sein d’une de leurs publications.
Dan Vado n’a pas fait énormément de vagues. Connu des amateurs de spandex pour avoir écrit Justice League après Dan Jurgens (et, grosso modo , avoir mené la série jusqu’à sa redéfinition par Grant Morrison à la fin des années 1990), il a travaillé sur quelques titres DC ou Dark Horse, ainsi que sur la production de son propre label, Slave Labor Graphics (maison fondée en 1986), dans le cadre duquel il a réimprimé quelques travaux de Jim Starlin notamment, et publié la première version de The Griffin . Également libraire (et cuisinier à ses heures), il n’a pas laissé de grands souvenirs, sans doute parce qu’il ne n’est pas consacré à l’écriture à temps plein.
The Griffin , qui reste à ma connaissance sa prestation la plus notable, conte l’histoire de Matt Williams, un adolescent enlevé par des extraterrestres, les Acacians, afin de devenir un super-soldat à la solde de leur empire, sous le nom du Griffin. Le principe est simple : les Acacians cherchent des planètes dont la population peut supporter le programme d’amélioration génétique et recrute des agents servant de bras armé à leurs forces d’invasion. Après avoir servi vingt ans, Matt décide de revenir sur Terre et de renouer avec sa famille. Ce qu’il prenait pour une permission est considéré comme une désertion par ses maîtres, qui envoient d’abord un autre super-soldat cosmique à ses trousses, puis une véritable armada. À ce point de l’histoire, on découvre que la Terre est noyautée par des agents travaillant pour les Acacians, occasion pour Vado de renouer avec la thématique du complot, si facilement soluble dans l’ufologie.
Mais au-delà de ce mixage, somme toute très agréable, entre aventures cosmiques, imaginaire complotiste et réflexion sur le genre (le Griffin est une sorte de Superman, incarnation des traits les plus marquants des super-héros), The Griffin apparaît, à la lecture aujourd’hui, comme un ancêtre inconnu de l’ Invincible de Robert Kirkman. Tous les ingrédients sont là : la fin de l’adolescence, l’apprentissage des pouvoirs et des responsabilités, l’ombre tutélaire de Superman, l’origine extraterrestre… Les deux séries partagent une communauté de ton, mélangeant humour (quelques dialogues avec les extraterrestres sont bien sympathiques), portrait de famille, violence et un trait quelque peu cartoony .
Felchle ne dessine pas très bien, et il est loin de ce que les dessinateurs d’ Invincible peuvent faire, mais il utilise une grammaire voisine, faite de cases photocopiées et d’un trait semi-humoristique. Les planches évoquent parfois John Heebink (le John Heebink bossant pour Marvel, pas le sympathique dessinateur indé qui aime les monstres et les jolies nanas) ou Chris Marinnan, voire un Todd McFarlane cartoony , autant dire que c’est pas super joli, ça manque même parfois d’émotion, et l’histoire aurait été mieux servie par quelqu’un qui assure davantage. Mais, en soi, The Griffin ne dépareillerait guère dans l’Invincible-verse, s’il était publié aujourd’hui.
Je n’ai pas souvenir que Robert Kirkman ait jamais évoqué cette lecture comme une éventuelle influence. Mais la parenté semble plus qu’évidente. The Griffin a été réédité par Slave Labor, Dan Vado ayant sans aucun doute récupéré les droits. La série, qui ne méritait sans doute pas, à l’époque, un format classe comme le Prestige (mais qui semble avoir rencontré à bon succès lors de sa publication, les couvertures peintes de Matt Wagner n’étant pas pour rien dans cette popularité) mériterait bien une petite redécouverte.
Jim