RÉÉDITIONS DC : TPBs, Hardcovers, Graphic Novels

La collection de recueils Diana Prince Wonder Woman rassemble la fameuse période « powerless » durant laquelle la princesse amazone renonce à ses attributs immortels et entame une vie dans la société des hommes.

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Le premier recueil, comme il se doit, commence avec l’épisode 178. Sa légendaire couverture, sur laquelle apparaît une Diana Prince en tenue branchée à côté d’une affiche la représentant dans sa version classique, mais barré d’une croix à la peinture, est un peu trompeuse : la véritable transformation ne se situe pas ici. Cependant, cet épisode est un peu un galop d’essai, un tour de chauffe pour le scénariste Denny O’Neil, le dessinateur Mike Sekowsky et l’encreur Dick Giordano, trois des piliers de l’entreprise en cours.

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Dans ce premier chapitre, Steve Trevor, qui décidément se met toujours dans des situations embarrassantes, est accusé de trahison. La seule personne qui pourrait le disculper est une belle blonde qu’il a rencontrée dans un bar hippie (bonjour les fréquentations) et dont la seule information qu’il puisse donner à son sujet, à part qu’elle soit belle et blonde, c’est qu’elle possède une bague en forme de tête de chat.

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Diana, qui cherche à sauver l’homme qu’elle aime, en appelle à Vénus afin d’obtenir un conseil. Estimant que son allure de militaire au chignon strict la ferait repérer illico, elle décide de changer de look afin d’infiltrer les milieux de la jeunesse branchée qui gâche sa belle énergie dans des lieux de perdition comme le Tangerine Trolley.

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Croisant sur son chemin des adolescents aux cheveux longs et des motards hirsutes, la justicière parvient à remonter la piste de la belle blonde à bague féline et à démasquer l’homme qui voulait faire tomber Trevor. Bien fait, na !

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Ce qui est intéressant dans cet épisode, c’est que les auteurs, en plein test des limites, commencent à prendre la mesure de leur marge de manœuvre. Sekowsky dessine Wonder Woman sur le modèle de la version de Ross Andru, mais entame l’évolution graphique de Diana. Quant à O’Neil, il s’essaie à des formules narratives jamesbondiennes, qui seront la marque de fabrique de la période qui s’amorce. Bref, pour le coup, un épisode de transition, avant que les choses sérieuses commencent dans la livraison suivante.

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La série est alors bimestrielle. C’est donc dans le numéro daté de décembre 1968 que Denny O’Neil et Mike Sekowsky sortent l’artillerie lourde. Tout commence avec une scène pré-générique, très jamesbondienne là encore, dans laquelle on voit Steve Trevor feindre la trahison. Après son évasion, son supérieur, dans une bulle de pensée, espère de tout cœur que cette mission sous couverture lui permettra de débusquer le sinistre Doctor Cyber qui mobilise tant de ruse.

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De son côté, Diana est convoquée sur l’Île du Paradis. Sa mère l’informe que la magie des Amazones s’épuise et que, en vue de refaire le plein, les guerrières doivent s’exiler un temps dans une autre dimension. O’Neil a la sagesse de ne pas donner à ces propos un caractère définitif, l’idée de pouvoirs rafraîchis étant glissée entre deux lignes, laissant la porte ouverte à un éventuel retour. Encore au début de sa carrière, le scénariste n’en est pas moins déjà rusé.

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Diana, quant à elle, choisit de rester sur Terre, sans pouvoirs ni costumes (elle peut quand même rentrer en Amérique dans son avion invisible, les Amazones ne sont pas radines). À peine vient-elle de louer un appartement au-dessus d’un magasin vide qu’elle fait la connaissance de I Ching, un vieil asiatique aveugle qui n’en est pas moins un maître des arts martiaux. Ce dernier propose ses services à Diana, à qui il enseigne ses talents et l’aide dans sa mission, retrouver Steve Trevor. Une mission qui se résout assez vite puisque ce dernier surgit, blessé, à leur seuil. Diana et Ching sont alors confrontés à des assassins appartenant à une secte orientale, ce qui va enclencher un périple à travers le monde.

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Le récit est typique des épopées qu’affectionne O’Neil, et qu’il développera par la suite autour du personnage de Ra’s al Ghul et de la Ligue des Assassins, dans les titres consacrés à Batman : des sectes exotiques et inquiétantes, des paysages lointains, des contrées exotiques, des bagarres savamment orchestrées. Ici, O’Neil ajoute un personnage de son invention, un détective privé du nom de Tim Trench, qui va épauler les deux protagonistes dans leur quête.

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Tous trois sont attaqués par les sbires du fameux Doctor Cyber, dont on parle depuis le début. Encore une séance d’entraînement, l’exploration d’un repaire secret… et Diana, Ching et Trench retrouvent enfin Steve Trevor (qu’on avait pourtant laissé comateux à l’hôpital dans l’épisode précédent, mais une bulle nous informe qu’il a été enlevé par les troupes de Cyber…), qui meurt dans la fusillade.

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C’est aussi là que nous avons la confirmation d’un soupçon diffus depuis le début de l’affaire : les hommes de main de Cyber étant des femmes de main, serait-il possible que le comploteur, que les services secrets pensent être un homme… soit une femme ? Hé bien oui, chers lecteurs !

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La belle brune tente de corrompre Trench dans un épisode qui déroule tout un catalogue de jamesbonderies : le repaire sous l’eau, la poursuite dans la station de sports d’hiver… L’action se conclut au numéro suivant où les plans de Cyber sont déjoués (même si elle parvient à s’enfuir) mais où les alliances de Diana s’avèrent très fragiles. L’héroïne, qui se sent trahie, par seule dans la brume…

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Si l’histoire est ici entièrement réalisée par Sekowsky, qui prend le relais d’un O’Neil de plus en plus surchargé, il faut reconnaître que sur l’ensemble de la saga, totalement lisible par ailleurs, l’héroïne officiellement affranchie de son rôle d’icône doit tout de même s’entourer de beaucoup d’hommes (Ching, Trench et même Reggie), et malgré les dialogues d’O’Neil visant à bien faire comprendre qu’elle n’a besoin de personne, les faits disent le contraire.

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La série, en dépit de ce qu’affirme la page du courrier des lecteurs, peine à trouver sa nouvelle identité. Sekowsky, dès l’épisode 183, renvoie Diana sur l’Île du Paradis, qui vient de subir une invasion. Si elle ne porte pas de costume héroïque, c’est tout de même le signe que malgré les intentions affirmées de rompre avec le passé et d’aller de l’avant, l’équipe éditoriale (la supervision est assurée par Jack Miller) a du mal à faire le deuil de l’héritage mythologique.

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Passons sur l’étrangeté de la présence de I Ching sur l’Île des Amazones (le fait que celle-ci se situe alors dans une autre dimension favorise-t-il l’arrivée des hommes sur son sol ? Ou bien l’invasion menée par Arès a-t-elle désacralisé l’endroit au point que pas une Amazone n’ait à y redire ?). Sekowsky enquille sur une intrigue où l’hirsute Arès fait les gros yeux aux ressortissantes de son nouveau territoire conquis. Le dieu de la guerre cherche le secret du voyage dimensionnel et entend bien que rien ne l’empêche de s’en emparer.

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Diana, au chevet de sa mère plongée dans un sommeil enchanté sur l’ordre du dieu de la guerre, se dresse face à celui-ci, empêchant l’enlèvement de la souveraine inconsciente et menant ses sœurs au combat, sur les conseils de I Ching qui suggère qu’Arès, en dieu oublié d’une partie de ses fidèles, aurait perdu de sa puissance depuis l’antiquité.

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En pleine forme, Sekowsky réalise des planches magnifiques, qui restituent toute la dimension du conflit, qu’il s’agisse des heures de vieille en attendant le lever du soleil et l’annonce du combat, ou des scènes de bataille souvent épiques.

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La stratégie de Diana relève d’une astuce narrative assez intéressante : partant du principe que les Amazones vivent désormais dans une autre dimension, il doit exister ailleurs des dimensions où continuent à exister les grands héros des légendes, de Lancelot à Arthur en passant par Roland… Dans l’épisode 184, Diana passe donc d’une dimension à une autre afin de rallier à la cause des Amazones et des Valkyries d’autres forces. Si l’idée est ingénieuse, on peut s’étonner là encore que tout le récit consiste à montrer que la fière héroïne indépendante soit obligée de rameuter… des hommes pour triompher.

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Mais on ne boudera pas le plaisir de regarder les dessins modernes et énergiques de Sekowsky, et sa volonté visiblement sincère de redynamiser les aventures de l’Amazone, dont le retour sur Terre, en fin d’épisode, annonce de nouvelles aventures… pour le tome 2 de cette réédition.

Jim