En 2008 paraît un recueil intitulé Batman: False Faces, et organisé autour du scénariste Brian K. Vaughan.
Le titre est un poil mensonger puisque le sommaire n’est pas entièrement dédié au Chevalier Noir, deux épisodes consacrés à la Princesse Amazone figurant également dans le recueil.
Après une préface de Vaughan lui-même dans laquelle il explique que l’existence de l’ouvrage remonte à une remarque de Kurt Busiek, lors d’une dédicace, le sommaire s’ouvre sur trois épisodes de la série Batman, les numéros 588 à 590. À l’époque, Larry Hama vient de quitter le poste de scénariste, Ed Brubaker a réalisé quatre épisodes, la série a été intégrée au cross-over « Officer Down », et Vaughan débute ici une trilogie qui constitue son galop d’essai pour la reprise du titre à long terme. Sauf que, entre-temps, le lancement de Y The Last Man changera un peu la donne, et Batman reviendra à Brubaker.
Dans « Close Before Striking », Vaughan revient sur la personnalité de Matches Malone, l’alter ego de Bruce Wayne quand ce dernier choisit d’infiltrer les bas-fonds plutôt que d’en arpenter les ruelles sombres dans son costume de chauve-souris. Le récit s’ouvre sur la rencontre inattendue entre les deux personnages : pour les lecteurs attentifs, c’est impossible, puisqu’il s’agit du même bonhomme sous deux déguisements différents.
Très rapidement, Vaughan construit son scénario afin de nous expliquer que Dick Grayson a endossé le costume de Batman tandis que Bruce revêtait le costume à carreaux de Malone, afin de tromper les témoins et de faire en sorte que le mâchouilleur d’allumettes soit présenté au boss, à savoir le Ventriloque. Tout ceci est plutôt bien amené, ménageant assez de suspense pour que même les lecteurs de longue date soient intrigués, tout en faisant avancer l’intrigue et en démontrant une grande connaissance de la caractérisation des personnages. Carton plein.
Sauf que très vite, les choses dérapent, puisque ce premier volet nous apprend que Malone vient d’être abattu dans un bar. Si Nightwing apprend que Matches Malone est une vraie personne, pas simplement un alias, le lecteur de longue date se rappelle que ce personnage, créé par Denny O’Neil et Irv Novick, apparaît dans Batman #242, daté de juin 1972. Il s’agit d’un bandit que le héros cherche à recruter dans sa lutte contre Ra’s al Ghul (à une période où il fait croire à la mort de Bruce Wayne). Malheureusement, Malone meurt dans l’affaire (mais hors-champ, ce qui permet toujours des retours possibles).
À la faveur, donc, des évolutions de continuité, Vaughan étoffe l’histoire de Malone, précisant que ce dernier avait simulé sa mort et disparu à Hoboken, avant de revenir quand il a appris que quelqu’un usurpait son identité à Gotham. Malheureusement, son retour attire l’attention… des mauvaises personnes. Batman, de son côté, découvre que Malone n’est pas mort. Le deuxième volet de cette saga débute en trombe, alors que Nightwing fait part à Oracle de son inquiétude concernant son mentor. Il raconte ce qui vient de se passer (Batman retrouve Malone mourant et lui promet de le venger), et se rend compte que Bruce commence à se prendre pour son alter ego à lunettes.
La troisième partie confronte le héros, habillé en Malone, au Ventriloque, dans un cinéma désaffecté et à moitié en ruines (nous sommes dans la période qui a suivi le tremblement de terre, rien n’est intact à Gotham). Et l’intrigue, qui parle de masques et de fausses identités, renvoie Bruce à ce qu’il est vraiment : non pas un justicier masqué, non pas un mafieux infiltré, non pas un milliardaire play-boy, mais un petit garçon qui vient de perdre ses parents : en effet, le cinéma où se déroule le duel est celui dans lequel le petit Bruce a vu Zorro avant le drame qui a bouleversé sa vie.
Cette trilogie, très belle réussite illustré par un Scott McDaniel en pleine possession de ses moyens, est typique du travail de Vaughan sur les super-héros : une caractérisation forte et audacieuse, des personnages poussés à bout, une action dense (il s’en passe des choses, dans ces épisodes), plusieurs couches de signification… C’est sans doute le meilleur d’un sommaire qui, par ailleurs, ne démérite pas.
Le scénario de Detective Comics #787 a été commandé à Vaughan en guise d’« inventory story », un récit à garder sous le coude dans le cas où la production serait en retard. Le scénariste signe donc une histoire dans laquelle Jervis Tetch, le Chapelier Fou, capture Kirk Langstrom, alias Man-Bat, afin de l’obliger à fabriquer un sérum provoquant des mutations qu’il compte inoculer à un psychiatre de l’Asile Arkham. L’histoire est déjà dense mais Vaughan parvient à y mêler Francine Langstrom, Harvey Bullock, des considérations sur le contenu des écrits de Lewis Carroll et sur les connaissances encyclopédiques du héros, et une bonne rasade d’action avec un monstre géant. Le tout servi par un Rick Burchett en belle forme.
Suivent deux chapitres de la série Wonder Woman. Dans les numéros 160 et 161, illustré par un Scott Kolins qui n’a pas encore imposé le style dynamique qu’on lui connaît depuis Flash, Vaughan confronte la Princesse Diana (l’autre) à Clayface. Le diptyque « A Piece of You » est bâti sur une idée toute simple : l’Amazone est née de l’argile, et cette argile intéresse de très près Basil Karlo, alias… Gueule d’Argile.
Tout commence alors que la Cheetah fout le bazar à New York. Flairant quelque chose de louche, Wonder Woman, par un moyen astucieux et détourné (et qui mobilise l’attention de son lecteur, technique fréquente chez Vaughan), obtient la preuve qu’il ne s’agit pas de son ennemie. Face à Clayface, l’héroïne se retrouve débordée, littéralement. Elle est absorbée puis recrachée par le monstre, qui découvre très vite de nouvelles capacités (il peut voler, par exemple). De son côté, Diana trouve refuge dans la Tour des Titans et Donna Troy comprend que sa « grande sœur » a rajeuni… et perdu une partie d’elle-même.
La seconde partie du récit explique de quelle manière les deux héroïnes s’allient afin de piéger leur ennemi, Diana parvenant à récupérer cette partie d’elle-même qui lui manquait et à retrouver son apparence adulte.
Si, du propre aveu du scénariste, ces deux épisodes ne sont pas aussi fouillés et construits que ses autres prestations, il n’en demeure pas moins qu’ils sont riches en dialogues fournis, qui proposent une caractérisation réussie et plein de petites allusions à l’univers de la Ligue de Justice. C’est rondement mené, assez souriant, et ça témoigne d’une bonne connaissance des personnages.
Le recueil se conclut sur une histoire courte réalisée pour Batman Gotham City Secret Files, et illustrée par Marcos Martin. Vaughan nous y présente The Skeleton, un comploteur capable de prendre l’apparence des grands super-vilains de la ville, et qui semble nourrir une haine farouche et revancharde envers la famille Wayne. Cependant, cette annonce d’une intrigue au long cours n’a jamais été suivi d’un quelconque développement, si bien que les lecteurs n’ont toujours pas le fin mot de l’histoire. Et sachant que le scénariste n’est pas près de revenir chez les deux majors pour y animer leurs super-héros, ils resteront sans doute encore longtemps sur leur faim.
Jim