RÉÉDITIONS DC : TPBs, Hardcovers, Graphic Novels

Orné de ce qui reste encore aujourd’hui l’une des couvertures les plus emblématiques de la carrière de Superman (celle du numéro 233, dessinée par Neal Adams), Kryptonite Nevermore assemble des épisodes signés par Denny O’Neil (numéros 233 à 238, 240 à 242) et marquant un tournant important dans l’histoire éditoriale du surhomme.

Superman #233 est daté de janvier 1971. À cette date, le responsable éditorial Julius Schwartz reprend la supervision du titre, qu’il hérite de son compère Mort Weisinger. Rappelons que les deux vétérans proviennent de l’édition de pulps avant d’officier dans l’industrie naissance des comic books : ils ont donc tous deux une expérience riche de plusieurs décennies et un goût évident pour la science-fiction. Weisinger est le principal architecte de la mythologie supermanienne, avec Krypton, le passé de Krypton, Kandor, Brainiac, les différentes Kryptonites, Titano, les « untold tales » et les « imaginary stories » et tellement d’autres choses qui font à la fois la richesse et la saveur kitsch des aventures du personnage. Quand il quitte le héros, il cède Adventure Comics et Supergirl à Mike Sekowsky, Superboy, Action Comics et Superman’s Pal Jimmy Olsen à Murray Boltinoff, Superman’s Girl Friend Lois Lane à E. Nelson Bridwell et World’s Finest et Superman, donc, à Schwartz.

Schwartz est déjà derrière la réfection de plusieurs personnages, dans une tentative de modernisation qui parfois réussit (c’est le cas de Batman, qui change de costume et d’atmosphère, grâce au travail de Carmine Infantino notamment) et parfois moins (voir la période « Diana Prince » de Wonder Woman). Mais il est animé d’une volonté de dynamiser les héros du catalogue, de les sortir de leur traintrain.

Et il trouve en la personne du jeune scénariste Denny O’Neil un auteur résolu à électriser ces vieux justiciers. O’Neil a travaillé sur Wonder Woman et sur Batman, il contribue à faire de Green Lantern un héros en phase avec son temps, donc il a l’étoffe pour transformer Superman. La première page du numéro 233 n’est pas avare d’expressions grandiloquentes pour évoquer cette ère en préparation.

La réflexion d’O’Neil suit deux axes. D’une part, il estime que les pouvoirs de Superman sont trop grands et trop variés, mais aussi que la Kryptonite verte qui le rend impuissant n’est plus utile : autant avoir un personnage moins puissant mais moins artificiellement faillible. À la faveur d’une explosion qui expose le héros à des radiations inconnues, il change tout cela, non sans quelques notes d’humour aujourd’hui célèbres.

D’autre part, la carrière de Kent dans la presse écrite semble à ses yeux correspondre à un âge révolu, et Clark passe à la télévision. Inutile de revenir sur le côté absurde, à la longue, de cette situation, qui dominera tout de même les années 1970 : autant un journaliste de terrain travaillant pour un hebdomadaire peut justifier d’absences à répétition, autant un présentateur télé aura plus de mal à s’éclipser pour aller s’occuper d’un glissement de terrain au Chili, par exemple. Mais bon, l’air du temps, tout ça tout ça.

Cependant, Superman semble fatiguer plus vite que d’ordinaire. Les dialogues et la dernière planche laissent entendre que cela a peut-être quelque chose à voir avec l’étrange forme humanoïde de sable qui s’est constituée dans la trace que Superman a laissée au sol après l’explosion qui a altéré ses capacités.

On en a confirmation dans l’épisode suivant, où Superman est confronté à l’explosion d’un volcan, à la fuite des réfugiés, à un propriétaire sans pitié et à son double de sable qui semble drainer ses capacités.

O’Neil traite de sujets sociaux comme à son habitude sur ses autres séries, mais n’oublie pas d’offrir de l’aventure et de l’action à ses lecteurs et de dérouler le fil de son intrigue centrale.

Dans Superman #235, le héros parvient à retrouver l’homme de sable. Après avoir la confirmation que sa présence l’affaiblit, il s’associe à lui afin de triompher d’un virtuose possédé par une harpe diabolique.

Point de « Sandman » dans Superman #236, où des extraterrestres tendent un piège mental au héros.

L’étrange silhouette revient dans Superman #237, alors que le héros craint d’être porteur d’un germe menaçant l’humanité (métaphore, pour O’Neil, de la peur de l’étranger).

Les deux êtres unissent leurs forces, mais à la fin de l’épisode, la proximité du kryptonien permet à l’homme de sable d’adopter son apparence, et surtout de parler.

Le golem sableux explique qu’il devient à l’image de son modèle, et que le processus risque de les détruire tous deux. Le bonhomme de sable semble mû par les plus nobles attentions, craignant d’affaiblir encore celui dont il copie l’allure.

Dans Superman #238, le héros est confronté à des exploitants peu scrupuleux dans un récit exprimant les inquiétudes écologiques d’O’Neil, concernant l’imminente raréfaction des énergies fossiles, un sujet novateur pour 1971.

Après un épisode composé de réimpressions, Dennis O’Neil et Curt Swan reviennent pour Superman #240, dans lequel un protecteur de Metropolis affaibli fait la rencontre de I-Ching, le mentor asiatique de Wonder Woman, déjà présent dans les aventures de l’Amazone rédigées par O’Neil. Le scénariste crée son petit univers au sein du catalogue DC, et déroule ses thématiques, sa fascination pour l’Orient et son goût pour les intrigues où les personnages sont en mesure de se (re)construire eux-mêmes. Ses épisodes de Superman montrent d’ailleurs à quel point il place le personnage dans des situations d’échec afin de mieux le faire rebondir, une approche qu’il développera ailleurs (on a tous en mémoire ses Iron Man, mais aussi des Daredevil de Frank Miller qu’il supervise à la fin de la décennie) et qui contribuera à transformer le genre super-héros.

Le mois suivant, usant d’un sort permettant d’extirper le moi astral du corps de Superman, I-Ching permet au héros de regagner ses pouvoirs perdus. Puis le sage asiatique découvre la véritable nature de l’homme de sable.

Il s’agit d’une créature issue du Royaume de Quarrm, une dimension des probabilités où règnent les « possibilités alternatives ».

L’explosion produite dans Superman #233 a ouvert une porte entre les deux mondes, et le double de sable s’est incarné. Mais désormais, il se meurt, préférant ne pas drainer l’énergie de Superman en l’approchant.

À la fin de l’épisode, le brouillard mystique saturé d’énergie et invoqué par I-Ching s’insère dans une statue et prend vie.

Dans Superman #242, qui marque la fin de la « Sandman Saga », les deux héros parviennent à vaincre la statue puis s’affrontent dans un duel mental qui leur dévoile les conséquences catastrophiques d’une éventuelle bataille entre deux êtres de leur puissance.

Comprenant le danger qu’il représente, le Superman de sable choisit de renoncer à sa vie d’héroïsme et retourne sur Quarrm, laissant Superman avec des pouvoirs amoindris.

La fin de la « Sandman Saga », désormais connue sous le titre emprunté au premier chapitre, « Kryptonite Nevermore », peut paraître naïve, mais l’ensemble du récit pose les bases de ce que sera le Superman des années 1970, un être engagé, conscient de son éducation de mortel, bien implanté dans la société.

O’Neil propose des thèmes qui deviendront récurrents : une certaine conscience sociale et écologique, la perte de pouvoir et le dédoublement (les films Superman II et Superman III doivent beaucoup aux épisodes d’O’Neil). Cary Bates et Elliot S! Maggin, deux des scénaristes les plus importants de la décennie à venir, marcheront dans ses pas : Superman #244, écrit par Bates, reprend déjà le thème du double ; Superman #247 intitulé « Must There Be A Superman? », rédigé par Maggin, pose la question de l’impact du surhomme sur la société humaine.

Le récit est dessiné par Curt Swan et encré par Murphy Anderson, que je considère comme l’un de ses meilleurs « embellisseurs », à l’exception d’un chapitre encré (très bien d’ailleurs) par Dick Giordano. Swan n’a pas encore recours à ses positions clichés, son Superman est classe, élégant, vole avec une certaine légèreté. Sa Lois Lane est sexy et malicieuse, pimpante, pas encore engoncée dans ses chemisiers à jabots qui lui donnaient l’air d’une bourgeoise coincée des années plus tard. L’ensemble est joli à regarder et assez dynamique.

La saga, véritable tournant dans la carrière du héros, tranche avec l’ère Weisinger, et impose un modèle qui passera l’épreuve du temps, au moins pendant les quinze ans à venir, jusqu’au Man of Steel de John Byrne.

Jim

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