RÉÉDITIONS DC : TPBs, Hardcovers, Graphic Novels

L’histoire est connue : au milieu des années 1980, DC met en application une idée qui trotte dans la tête de la rédaction depuis des années, à savoir nettoyer la continuité afin de rendre plus accessible un univers constitué d’univers parallèle et de périodes différentes, fruits des différents rachats d’éditeurs (Fawcett, Charlton…) qui obligent à trouver des astuces afin de faire cohabiter différents catalogues avec celui de la plus vieille maison d’édition en activité. C’est donc Crisis on Infinite Earths, de Wolfman et Pérez, étalé entre 1985 et 1986, qui donnera naissance à la relance de nombreux personnages (Superman par Byrne, Wonder Woman par Pérez…), et à un véritable renouveau du catalogue DC. Une partie du lectorat (et j’en fais partie) considère que la période qui se prépare est l’une des meilleures de l’histoire de l’éditeur.

L’homme le plus rapide du monde, le Bolide Écarlate, autrement dit Flash, bénéficie lui aussi d’une relance. La nouvelle série est écrite par Mike Baron, un scénariste venu de la scène indépendante et repéré par son travail sur les séries Nexus et Badger chez First. Le dessin est assuré par Jackson Guice, un dessinateur venu de Marvel chez qui il a illustré les premiers épisodes de X-Factor et quelques chapitres de New Mutants.

L’astuce de la nouvelle série Flash, dont le premier épisode est daté de juin 1987 (il est donc sorti au printemps), c’est que le héros sous le masque n’est plus le même. Barry Allen est décédé durant la « Crise des mondes infinis », et c’est son pupille, Wally West, qui reprend le flambeau. L’action commence alors que le jeune héros fête son vingtième anniversaire. Baron présente un personnage qui monnaie ses services car il n’a ni emploi ni sécurité sociale.

L’argent sera un thème récurrent de ces premiers épisodes. D’autant qu’à la fin du premier chapitre, Wally gagne au loto et devient millionnaire, s’installant dans un riche manoir et dépensant sans compter. Autre tic d’écriture assez bien vu, les différents personnages considèrent encore Wally comme Kid Flash, et il a du mal à imposer son nouveau statut de héros héritier, d’incarnation de la nouvelle génération.

Le premier arc oppose le nouveau Flash à Vandal Savage, ennemi de la génération précédente et, donc, de Barry. Visiblement, Wally a interféré dans les plans de l’immortel, qui semble associé à des trafics d’organes, mais pour l’heure, on n’en saura pas plus.

Pour l’heure, Mike Baron s’intéresse à autre chose. En effet, il prend soin, dans chaque épisode, de mettre en scène les conséquences des pouvoirs du héros, qui mange comme quatre afin de compenser les dépenses caloriques de ses courses folles (une idée qui sera reprise dans la série télévisée Flash) et s’écroule de fatigue ensuite. De même, les pouvoirs du bolide sont limités par rapport à ceux de son prédécesseur. Donc, le héros s’associe à des savants, dont une nutritionniste des labos S.T.A.R., afin d’étudier ses capacités.

Cette nutritionniste, c’est Tina McGee (qui sera elle aussi adaptée dans la série télévisée), une femme mariée qui n’est pas insensible au charme du jeune héros. Cela contribue aussi à compléter le portrait de Wally, qui n’est pas particulièrement flatteur : il est présenté comme un infatigable dragueur incapable de résister aux atouts féminins. Malgré son appât du gain et son cœur d’artichaut, le personnage reste sympathique, ce qui n’est pas un mince exploit de la part du scénariste.

Les épisodes 3 et 4 opposent le héros à Killg%re, une entité cybernétique d’une autre dimension. L’histoire n’est guère intéressante mais permet de resserrer les liens entre Wally et Tina. Le sommaire du recueil « Savage Velocity » sorti en 2020 place ici le premier Annual, conte oriental où Wally est confronté à des savoirs exotiques dans une ambiance folklorique qui n’est pas sans évoquer les habitudes orientalisantes qui hantent déjà les coulisses de DC (sous l’effet, souvent, des récits de Denny O’Neil). Une parenthèse assez peu passionnante et qui surprend, notamment par l’absence de Tina : Wally fréquente alors une certaine Connie. On peut supposer que ce numéro annuel a été mis en chantier plus tôt dans l’année, en parallèle de la série.

Les choses démarrent enfin avec l’épisode 5, où Wally rencontre Jerry McGee, l’époux de Tina, un scientifique jaloux qui a pratiqué sur lui-même des expériences à base de stéroïdes et d’implants électroniques. Devenu fou (on lui accordera dans le récit, plus tard, le surnom de « Speed McGee »), il attaque l’amant de sa femme avant de s’effondrer, épuisé. Le conflit dure deux épisodes. La série semble peiner à trouver son rythme et son fil directeur.

Dans l’épisode 7, Wally part en URSS exfiltrer un savant susceptible de soigner Jerry McGee, et se retrouve confronté à la Red Trinity, un trio de bolides soviétiques qui tiennent leurs pouvoirs de travaux comparables à ceux du mari de Tina. Là encore, le récit s’articule en deux parties, Flash affrontant un autre groupe d’êtres véloces, la Blue Trinity, qui ne dispose pas de l’équilibre mental des premiers. À ce stade, la série semble accumuler les pistes sans donner l’impression d’aller quelque part, malgré les efforts pour faire des épisodes 5 à 8 une sorte de tout.

Et ça ne s’arrange pas avec l’influence du cross-over Millenium, qui touche les épisodes 8 et 9. Dans le premier, Wally apprend que son père est un Manhunter. Baron a l’intelligence de traiter cette confrontation par de longues scènes de dialogues, et non par des bastons habituelles : cela permet de montrer que les relations familiales dans la famille West ne sont pas au beau fixe, et que ça ne date pas d’hier. Cela sert également afin de présenter un autre personnage, Mary, la mère de Wally. Dans le deuxième, le scénariste introduit l’un des super-vilains les plus saugrenus qui soient, le Chunk, un être girond qui est en réalité un trou noir humain, obligé d’absorber de la matière afin d’éviter l’explosion.

Encore une drôle d’idée, qui entraîne des péripéties étonnantes (Flash est projeté dans un monde où existe le Chunk en parallèle, et tente de libérer ceux qui y sont prisonniers, un principe qui sera repris par la suite notamment dans la version donnée par Brian Buccellato et Francis Manapul dans les années 2010), mais tordues et au final peu intéressantes. En parallèle, Baron décrit les relations tendues entre Tina et Mary, qui reproche à celle-ci d’être une femme mariée plus vieille de douze ans que son fils. Si l’idée d’un héros entretenant une relation adultère avec une femme plus vieille que lui (enfin bon, qu’est-ce que douze ans, quand on s’aime) est plutôt prometteuse et assez novatrice à l’époque, Baron n’en tire que des scènes de conflits familiaux et de crêpages de chignons, réduisant même Tina au rang de demoiselle en détresse souffrant de sa place de « pièce rapportée » sous le toit de la maison West : elle est bien loin, la nutritionniste de renommée mondiale.

De retour dans le monde réel, Wally pense trouver une solution au problème posé par le Chunk, mais sa lutte contre la municipalité, qui voit d’un mauvais œil la présence d’un surhomme costumé sur son territoire, prend un nouveau tournant. Allant de procédure en procédure, Wally dépense de l’argent et voit son statut s’éroder. C’est le moment où Vandal Savage décide de faire son retour.

Cela correspond aussi au départ de Mike Gold du poste de responsable éditorial. Ayant travaillé chez First précédemment, Gold a été engagé chez DC afin de renforcer l’équipe et de donner de la visibilité aux différents héros. Il sera responsable de l’arrivée de Mike Baron, mais aussi de Tim Truman, John Ostrander ou Mike Grell, chez DC. Il est remplacé par Barbara Randall à partir du numéro 12, qui met en scène Savage dans un plan visant à prendre le contrôle de l’économie américaine en droguant les courtiers et les avocats fiscalistes avec un produit appelé Velocity 9. Flash #12 et 13, qui marquent aussi l’arrivée de Mike Collins au dessin, sont très denses mais un peu bordélique, à l’image des scénarios précédents de Baron, qui prend du temps pour expliquer des évidences et passe sous silence des éléments importants, rendant parfois l’intrigue difficile à suivre ou trop riche en péripéties.

C’est d’ailleurs le cas de la dernière séquence de l’épisode 14, où l’on apprend que la fortune de Wally a été dilapidée par sa mère à coups de mauvais placements. Et c’est à ce moment que Mike Baron quitte le titre.

Il est remplacé par William Messner-Loeb. Et la comparaison ne joue pas en la faveur du prédécesseur. Le nouveau scénariste poursuit l’intrigue autour des toxicomanes super-véloces, parvient à rédiger trois épisodes durant lesquels Wally est privé de sa vitesse, et redonne de la visibilité à tous les personnages, tout en créant d’autres protagonistes. Développant le thème de la rédemption qui parcourra ses épisodes mais aussi ses prestations sur Wonder Woman ou Thor, Messner-Loeb revient sur Jerry McGee ou le Chunk (ou encore les membres de Blue Trinity, reconvertis au capitalisme dans une tonalité un peu parodique), à qui il donne un autre statut et un peu d’épaisseur.

Il met également un terme à la liaison entre Wally et Tina, et offre une belle caractérisation du héros, éternel adolescent louvoyant avec les responsabilités. Il boucle ces premiers chapitres de sa prestation avec une nouvelle confrontation face à Vandal Savage.

C’est là que se conclut le recueil, après dix-huit épisodes qui replacent Wally West au centre d’un univers DC redéfini. Jackson Guice signe des planches dynamiques mais aux personnages tordus, et son remplaçant, Mike Collins, moins spectaculaire mais plus régulier, semble singulièrement influencé par Mike Zeck. Le tout donne une impression d’énergie, mais la série n’est pas au top sur le plan graphique. Les scénarios décousus de Baron ont fournis de nombreuses idées fertiles, mais rétrospectivement c’est la suite qui leur donnera une vraie dimension.
Un démarrage hésitant pour une série qui ne trouvera sa grandeur qu’avec l’arrivée de Mark Waid, des années plus tard.

Jim

2 « J'aime »