RÉÉDITIONS DC : TPBs, Hardcovers, Graphic Novels

En 1968, la série Aquaman atteint son quarantième numéro. C’est le premier auquel ne participe pas Nick Cardy, qui a contribué à relancer le personnage, allant jusqu’à se charger du scénario et du dessin pour de nombreux numéros (Jack Miller l’a aidé à lancer le titre, Bob Haney a signé des épisodes vers la fin…). Quand la nouvelle équipe, composée de Steve Skeates au scénario et de Jim Aparo au dessin, sous la supervision de Dick Giordano, entame sa première saga, ils décident de bousculer les codes en faisant disparaître Mera. La fameuse « Search for Mera » entraînera les lecteurs jusqu’à l’épisode 48, le tout compilé dans un recueil en 2018.

Skeates dira plus tard que le courrier des lecteurs a témoigné des vives réactions du public. Beaucoup ont aimé l’initiative des auteurs, d’autres ont détesté, mais personne n’est resté indifférent. Le meilleur des signes pour une série, on imagine.

Sous une couverture de Nick Cardy, qui reste associé au personnage à qui il a donné toute une esthétique, les auteurs débutent fort : pris dans une tempête sous-marine, Aquaman, Aqualad et Aquababy sont séparés de Mera. Après avoir confié le rejeton royal à Aquagirl / Tula (et le royaume au régent Narkran), les deux héros s’empressent de partir à la recherche de la reine. Ils tombent sur une société pseudo-médiévale et découvrent que Mera y est vénérée… Sauf qu’il s’agit d’un sosie.

Ce premier épisode donne le ton. Séparé d’Aqualad (qui, blessé, suit sa convalescence), Aquaman va explorer les fonds marins, rencontrant une peuplade vaguement préhistorique, un aventurier en sous-marin, des géants en toges grecques, etc… En creux, les auteurs pointent du doigt certaines caractéristiques de la série. En séparant progressivement le héros de son entourage, ils s’interrogent sur le fonctionnement du personnage, sur sa capacité à agir seul (et force est de reconnaître que, parfois, ça tourne un peu en rond, le roi des mers apparaissant souvent comme naïf, maladroit et prompt à favoriser les coups du sort permettant de faire avancer le récit).

Dans le même temps, ce périple sous-marin permet aux auteurs de cartographier un univers potentiellement infini, peuplé de races bizarres et de civilisations étranges. Aquaman y est doublement candide : naïf, certes, mais il incarne aussi un point de vue qui est toujours confronté à une réalité différente, à des mœurs qui ne sont pas les siennes, à des codes qu’il ne comprend pas. Des Lettres persanes sous la mer ? Il y a quelque chose de ça, en effet.

Néanmoins, et malgré le charme des récits, on ne peut s’empêcher de songer que les auteurs avancent un peu au doigt mouillé. Dans quelle mesure la résolution de l’énigme et l’identité des ravisseurs de Mera étaient déjà bien définie au début de la saga, cela restera un mystère, mais la lecture laisse penser que les éléments s’additionnent au fil de l’eau.

On sent aussi que les auteurs apportent leur réponse à une des questions soulevées plus haut : assez vite, Skeates et Aparo font sortir Aqualad de sa chambre d’hôpital. En partie amnésique, le jeune homme se lance à la recherche de son mentor, ce qui permet de remplir des pages à l’aide de sub-plots à suivre. Et c’est bien le signe que le scénariste trouve les limites du fonctionnement en solo de son héros, qui parfois semble devenir le personnage secondaire de sa propre série.

Les choses accélèrent quand, suivant une intuition, Aquaman se rend à la surface. Il est rapidement mêlé à une affaire de meurtre qui cache un trafic qui dissimule… une installation souterraine digne d’un film de James Bond (en lien avec l’intrigue se déroulant sous l’eau). Signe fort, le récit s’étale sur deux épisodes. Et conduit aux retrouvailles des époux royaux.

L’épisode 46 est un long récapitulatif du parcours de Mera, et les deux derniers chapitres montrent les retrouvailles avec Aqualad, le retour du roi en son domaine, l’Atlantide étant secouée à la fois par des séismes et par une révolte violente contre le pouvoir tyrannique de Narkran. Là encore, Skeates a utilisé un personnage séparé, Tula, afin de raconter des événements dont le héros n’a pas connaissance, au contraire du lecteur.

La morale politique est assez pacifiste, la saga se concluant sur Aqualad libérant une société pusillanime d’un monstre, mais sans le tuer, laissant comprendre aux autorités qu’elles doivent assurer la survie de leur monde, et sur Aquaman tançant vertement les révolutionnaires qui ont recouru à une violence aveugle face au tyran. On n’est ni dans Machiavel ni dans la real-politik, et si Skeates a bousculé les codes narratifs de la série, il n’est guère subversif dans son propos. Mais il injecte quand même de la politique dans une série jusque-là consensuelle, c’est pas si mal.

Graphiquement, Aparo, qui vient de Charlton (comme Giordano), officie dans un style proche de celui de Cardy. Son Aquaman est large, épais, solide. Ce n’est qu’à la fin de la saga, sur les deux derniers épisodes, qu’il déploie le style délié qu’on lui connaîtra, ajoutant des ombres et des modelés. Dans les premiers chapitres, c’est surtout dans les décors, qui semblent inspirés par les paysages extraterrestres d’Al Williamson, qu’il étale sa patte personnelle. À la fin de la « Search for Mera », Jim Aparo a contribué à changer le style de la série. Un tournant vient d’être franchi.

Jim

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