Je me suis récemment plongé dans le quatrième tome de l’édition softcover de Man of Steel, du début des années 2000, qui reprenait la période Byrne de Superman.
Le sommaire couvre la période durant laquelle le responsable éditorial Andrew Helfer travaille en tandem avec Michael Carlin, appelé à le remplacer. Carlin vient de Marvel (où il a supervisé le travail de Byrne sur Fantastic Four, par exemple, en plus d’avoir travaillé avec Gruenwald sur Captain America). Et on sent la transition.
Au-delà de la mini-série qui a permis de redéfinir le héros en 1986, les histoires que John Byrne réalise pour Action Comics et (la nouvelle série) Superman sont pour l’essentiel d’un seul tenant et, avouons-le, assez anecdotiques. Marv Wolfman, qui apporte son expérience mais également sa logorrhée, s’en sort un peu mieux sur Adventures of Superman (la première série Superman rebaptisée), notamment en creusant les relations entre Clark et le reste de la rédaction du Daily Planet, surtout Cat Grant) et en développant des intrigues sur plusieurs numéros.
Ce tome rassemble des chapitres sympas, certes (la première apparition de Rampage, par exemple), voire des récits en plusieurs parties (Superman et Lois en Amérique du Sud face aux vestiges d’une civilisation disparue), mais tout cela reste sans grande conséquence, laissant au lecteur la vague impression que, passé l’électro-choc que fut la mini-série Man of Steel, rien ne viendra profondément bousculer le rythme de la série. À l’exception du dessin de John Byrne, on pourrait croire qu’on se trouve encore dans l’ère pré-Crisis avec un statu quo fort et un immobilisme marqué.
Mais bien sûr, avec le ravalement de façade de l’univers DC, il y a des choses à boulonner. C’est le cas notamment des relations que le monde de Superman entretient avec celui de la Légion des Super-Héros : dans la continuité pré-Crisis, c’est adolescent, alors qu’il n’est que Superboy, que Clark Kent influence les Légionnaires fondateurs. Or, dans la nouvelle version façonnée par Byrne, Wolfman et Helfer, Clark n’a jamais été Superboy. Comment alors justifier l’existence de la Légion ?
Sont-ce les nécessités éditoriales d’aménagements narratifs qui dictent le cross-over entre Legion of Super Heroes, Superman et Action Comics, ou bien l’impulsion de Mike Carlin, dont on connaît rétrospectivement l’implication au long cours et l’influence incontournable sur le personnage jusqu’à la fin des années 1990 ? Toujours est-il que sa présence se fait de plus en plus sentir sur les séries, et ce cross-over est l’un des tournants de l’évolution éditoriale des titres.
Tout commence alors que la Légion est avertie des manipulations temporelles du Time Trapper (via les épisodes de Cosmic Boy, série que je n’ai pas lue, où le héros est coincé dans le XXe siècle, si je comprends bien, et découvre que l’histoire en cours n’est pas celle qu’il a apprise dans les livres d’école mille ans plus tard). Les héros partent vers « la fin des temps » où se trouve la citadelle de leur ennemi, mais sont entraînés dans le passé et atterrissent dans les années 1950, à Smallville. Où ils retrouvent Pete Ross, les parents Kent et le jeune Clark… qui les fige dans un rayon de stase.
Les deux chapitres suivants montrent Superman affronter les Légionnaires (qu’il ne connaît pas, forcément, puisqu’il appartient à la nouvelle continuité) puis son double adolescent. C’est John Byrne qui écrit, ce qui implique qu’il y a une évidente propension à s’étaler sur les scènes de bagarre, mais aussi aussi à établir des flash-backs conséquents pour bien expliquer les choses. Pas de doute, le bédéaste sait faire, mais tout de même, force est de reconnaître que les deux épisodes, pour jolis qu’ils soient, proposent des péripéties un peu maigres au profit de longues séquences explicatives. On a donc droit, dans Superman #8, à une relecture détaillée de la première rencontre (en 1958 !!!) entre Superboy et la Légion, puis à une reprise, en deux pages et demie, d’une séquence déjà vue dans Legion of Super Heroes #37. Byrne est coutumier de ce genre d’astuces (il a déjà doubler une séquence présente sur deux Annuals des Fantastiques et des Vengeurs), mais tout de même, ça fait un peu redite.
Dans Action Comics #691, la narration s’arrête sur le personnage du Time Trapper, et l’on apprend que ce dernier, constatant une incohérence entre ce que les Légionnaires savent du XXe siècle et ce que lui en observe, parvient à créer un univers de poche où se développe le Superboy pré-Crisis lié aux origines du groupe. Quel paradoxe : les auteurs, visiblement charmé par l’aspect rétro et un brin « sense of wonder » de la Légion, s’échinent à conserver ces éléments dans leur nouvelle continuité mais, finalement, réduisent tout ce patrimoine à un petit cagibi spatio-temporel, conclusion discrète et un peu honteuse de tout un pan de la super-mythologie.
Car on sent bien que John Byrne prend plaisir à dessiner ces flash-backs envahissants. La restitution de la première rencontre ou l’évocation des origines du héros, c’est clairement une déclaration d’amour à destination de la version qui vient d’être annulée. Et même la conclusion du combat entre les deux surhommes donne le beau rôle à Superboy, malgré la larmichette un peu enfantine de l’adolescent.
De cette saga, ce qui transparaît, c’est l’amour des auteurs (et surtout le dessinateur) pour une autre époque. D’ailleurs, il place, à la fin de sa partie, des paroles de Superman qui semblent trahir sa propre vision. Le héros de Metropolis évoque « un monde plus simple, peut-être plus heureux », et affirme envier, ne serait-ce qu’un peu, son juvénile homologue. L’un des temps forts, au demeurant, ce sont les pages consacrées à Krypto, le super-chien, l’un des éléments les plus kitsch qui soient dans le vaste folklore développé jadis par Mort Weisinger. Byrne semble s’amuser comme un petit fou avec ce canidé volant, qui trouve la solution au conflit dans un grand moment d’émotion.
Lettre d’amour, mais aussi lettre d’adieu (un adieu assez provisoire puisque cet univers de poche reviendra plus tard dans la série, évoqué de loin mais avec son lot de ramifications) à un temps jadis où les comics étaient différents. Byrne ne pourra pas s’empêcher de livrer de longs dialogues explicatifs et une fin légèrement capillotractée, mais cette saga en quatre parties affiche un enthousiasme communicatif. Qui laisse parfois penser que les auteurs, s’ils peuvent savourer la possibilité de rajeunir les personnages dont ils ont la charge, se trouvent peut-être aussi embarrassés de ne pouvoir jouer avec les jouets traditionnels. Paradoxe, paradoxe.
Quatre parties, oui, parce que Paul Levitz, le scénariste de Legion of Super Heroes, reprend le Superboy ainsi redéfini et l’envoie dans le futur, aux côtés des autres Légionnaires, face au Time Trapper.
Je n’ai jamais été grand fan ni de la Légion ni des histoires de Paul Levitz, dont l’écriture et l’obsession des sub-plots m’a perdu plus d’une fois dans ses récits. Signataire de certaines intrigues de haute volée durant la période pré-Crisis, c’est en toute logique lui qui se charge de l’écriture de la série post-Crisis : le relatif isolement de la série par rapport à la continuité DC se marie bien avec les responsabilités éditoriales qui sont les siennes. Et effectivement, il nourrit ses épisodes (à l’époque dessinés par Greg LaRocque) de séquences intercalaires qui ont le double avantage de faire vivre ses personnages (notamment Wildfire et Dawnstar, à cette période) et d’imposer des pauses maintenant le suspense (parfois artificiellement). Cela a tendance à ralentir le récit, mais ses épisodes disposent d’une pagination plus élevée.
Legion of Super Heroes #37 est ici pour lui l’occasion de faire le point sur Superboy, de porter l’intrigue du Time Trapper à son paroxysme, de réunir le groupe séparé dans l’épisode précédent et de donner un destin à l’équipe. Le récit, entrecoupé de sub-plots divers et d’explications rétroactives, conserve un caractère épique et se finit sur une note tragique.
En réglant les comptes avec l’ancienne version, les séries consacrées à Superman semblent enfin trouver une identité propre. Ce cross-over en quatre parties fait preuve d’une ambition plus grande, et correspondent à la période durant laquelle Mike Carlin prend ses marques et fait des choix. Ce quatrième tome de la collection softcover Man of Steel retrace donc un tournant dans l’histoire éditoriale du personnage.
Jim