Je connais la série Suicide Squad version Ostrander depuis longtemps (c’est Alex Nikolavitch qui me l’a fait découvrir au tout début des années 1990). Même si je n’ai pas encore complété les fascicules (et désormais, il faudrait que je complète les TPB, plutôt), j’ai pu suivre les péripéties d’Amanda Waller et de son commando dans leur ensemble, dont je garde un souvenir un peu flou, vu que ça fait quelques années maintenant. Cependant, à la hauteur de « The Janus Directive », c’est plus compliqué. Sachant que le tome 4 des rééditions récentes reprend l’ensemble de ce cross-over, je m’y suis replongé récemment.
La saga s’intéresse à une guerre entre services secouant les différentes officines d’espionnage de l’univers DC, avec au premier chef les deux groupes mis en scène dans les séries Suicide Squad et Checkmate, respectivement écrites par John Ostrander et Paul Kupperberg. La relecture aujourd’hui montre comment la composition d’un cross-over a évolué au fil des ans. De nos jours, et depuis quelque temps déjà, l’action est auto-contenu au sein d’une mini-série principale ou bien d’une série centrale. Si l’on prend l’exemple de King in Black, on constate que l’on peut lire l’intrigue centrale en suivant la mini-série homonyme et Venom, le reste étant assez annexe (ce qui autorise par exemple la publication en TPB séparés, dont la lecture n’est pas réellement gênée si l’on décide de ne pas tout acheter). Mais à la fin des années 1980 et au début des années 1990, les péripéties étaient réparties dans des séries mensuelles qui suivaient leur propre destin avant et après l’événement, et dont d’ailleurs les pages intérieures faisaient état d’intrigues secondaires, sous forme de sub-plots attestant du fait que « la vie continuait », pour faire synthétique. La relecture de ce recueil est assez frappante à ce niveau : il y a une vie au-delà des cross-overs.
Le sommaire commence avec Suicide Squad #26, qui n’est pas directement lié au cross-over mais qui propose quelques séquences pleines d’indices, dont la vision d’Amanda Waller face à un double. Le scénario est également typique de la manière d’Ostrander, à savoir que le scénariste varie les genres (avec une scène humoristique autour de Bronze Tiger et de Vixen, quelques subplots variés et une longue séquence pleine d’émotion et très bien structurée à propos de Nightshade).
Les choses sérieuses commencent ensuite, avec Checkmate #15. Cette série d’'espionnage a plusieurs particularités assez modernes. L’une d’elles est que la narration est souvent portée par les « pions », des hommes de terrain en armure noir & or qui sont sacrifiables, mais qui permettent de voir de quelle manière l’agence agit par leur intermédiaires. Pour l’anecdote, cette série porte en couverture la mention « new format », ce qui désigne le papier blanc de meilleure qualité (je crois que c’est le célèbre « mando paper ») que DC tente de promouvoir à l’époque et qui témoigne de l’évolution du monde éditorial.
Sous une couverture dynamique de Gil Kane, l’épisode réalisé par Paul Kupperberg et Steven Erwin (que nous avons déjà évoqué en parlant de la série Deathstroke the Terminator du début des années 1990) raconte le combat d’un des pions de Checkmate contre un certain Bishop. Le chapitre est empli de différentes séquences faisant évoluer les personnages, ce qui met en valeur une autre des caractéristiques de la série, assez moderne également, à savoir qu’elle propose de suivre de nombreux personnages venus d’autres pans de l’univers DC. C’est ainsi qu’on croise Valentina Vostok, venue de la Doom Patrol, ou encore Bullock, transfuge de la police de Gotham City.
L’épisode se conclut sur l’arrivée de Waller, Bronze Tiger et Bridgette d’Abo, elle-même à la tête du Project: Peacemaker, car l’heure est grave, une opération nommée « Janus Directive » a été lancée, menaçant les différentes agences de renseignements.
Dès lors, les choses vont très vite et la part belle est faite à l’action. Dans Suicide Squad #27, co-écrit par John Ostrander et son épouse de l’époque Kim Yale, épisode qui voit l’arrivée du dessinateur John K. Snyder III, dont je ne sais toujours pas, après tant d’années, si j’apprécie son travail géométrique ou pas, l’Escadron mène une opération contre la Force of July. Waller affirme qu’une agence veut lancer la guerre contre la sienne mais s’affiche comme la plus agressive, fédérant certains efforts contre elle. Dans le même chapitre, John et Cherie Chase, travaillant sous les ordres du Sarge Steel, sont capturés par une faction extérieure : Kobra.
Enfin, Checkmate et Peacemaker enlèvent Megala, sous les yeux du Général Eiling (que certains lecteurs ont connu plus tard dans la JLA de Morrison, quand il devient le nouveau Shaggy Man puis fonde les Ultramarines, mais Eiling est un personnage récurrent de la série Captain Atom).
Les deux séries centrales se répartissent différemment les informations : dans Suicide Squad, l’action, les grosses bastons, la caractérisation sur le terrain, et dans Checkmate, les enjeux « politiques », les mouvements de troupes, les alliances et les trahisons. Ce qui fait que les épisodes écrits par Kupperberg sont peut-être plus bavards, d’autant qu’un nouveau personnage arrive, Lois Lane, qui flaire le pataquès chez les espions.
Dans la liste des épisodes, signalons également Manhunter #14 et Firestorm #86, issus de deux séries également écrites par Ostrander à l’époque : je connais mal la première, dessinée par Doug Rice (encore un transfuge de First qui a trouvé refuge chez DC) et mettant en scène un chasseur de tête qui loue ses services, mais j’aime bien la seconde, dont il me manque quelques épisodes, et où le scénariste transforme le héros nucléaire en élémental du feu à conscience écologique (encore une modernité), le tout illustré par Tom Mandrake, ancien complice d’Ostrander sur Grimjack et futur complice d’Ostrander sur Spectre ou Martian Manhunter.
Dans Manhunter #14, Waller, un peu aux abois et qui semble avoir échappé à son double, demande l’aide du héros, qui infiltre une base de Kobra (emplie de ninjas très milleriens) mais qui se retrouve sans renfort. L’épisode se conclut sur l’apparent décès du héros, qui tombe dans l’eau et dont on ne retrouve que le costume et le masque troué de balles.
L’épisode de Firestorm est un peu plus anecdotique : le héros enflammé affronte le Parasite (lui-même hanté par les voix de ceux qu’il a « absorbés », une idée que je n’ai pas l’impression d’avoir souvent vue associée au personnage, mais je le connais mal). La dernière page raccroche l’épisode au cross-over, le docteur LaGrieve demandant au héros d’assister les troupes à la prison de Belle Reve.
Désormais, les acteurs sont en place sur scène pour le dernier acte, qui voit les différents héros (les troupes de Checkmate, les membres de l’Escadron, Captain Atom, Firestorm, Manhunter qui a réchappé à la mort et endossé le costume d’un des ninjas de Kobra) s’unir afin de détruire le satellite du groupe terroriste, promesse de la destruction de l’électronique mondiale et, accessoirement, des cerveaux de tous les êtres vivants pris dans le rayon : encore un fou qui cherche à régner sur un tas de cendres, comme le disait Nightcrawler à propos de Moses Magnum dans un Uncanny X-Men de John Byrne.
La conclusion, rocambolesque et musclée, est l’occasion de faire se croiser des personnages afin de faire avancer la caractérisation (Captain Atom découvre ainsi le nouvel avatar de Firestorm et semble ne pas reconnaître son ami) et de dresser le portrait du Kobra suprême en chef religieux dément qui s’enivre de son propre pouvoir.
Le cross-over a donc commencé comme une guerre des agences avant d’évoluer en mission spatiale explosive digne d’un James Bond de Roger Moore. C’est musclé, rapide, spectaculaire. Après cette tornade d’action, la vie reprendra son cours et les séries leurs intrigues : après le retour d’un membre porté disparu (épisodes 19 et 20), c’est le Bishop qui revient dans Checkmate #21, signe que le cross-over n’était, au final, qu’une péripétie parmi d’autres, et que son apparition précédente n’était pas liée à la Janus Directive. Une autre époque.
Le dernier chapitre du cross-over se trouve dans les pages de Captain Atom #30, très lointainement connecté à l’action, puisqu’on y croise Nightshade et Amanda Waller (sur une demi-page). Le récit se concentre sur les relations entre le héros et le général Eiling. Encore une série que je connais fort mal, ici animée par Cary Bates, Greg Weisman et Rafael Kayanan.
Malgré cette conclusion en mode mineur (normal dans la perspective de l’époque : l’action continue, le cross-over n’est pas une fin en soi), la saga témoigne de la grande vitalité de l’univers DC de l’époque. On y voit de nombreux personnages évoluer, dans une ambiance barbouze qui annonce les développements des années 1990, on constate aussi la capacité des auteurs à animer des concepts assez novateur et à offrir un large éventail de thèmes, de sujets et de tonalités. C’est vif, rapide, et la scène est occupée par des personnages tous secondaires mais dont la présence est, pour les auteurs, autant d’occasion de liberté d’écriture dont ils ne bénéficieraient pas avec de grosses pointures.
Jim