RÉÉDITIONS MARVEL : TPBs, omnibus, masterworks, Epic…

Suite à la remarque de Fred, je me suis replongé dans mon intégrale des Invaders, hier soir. Ne serait-ce que pour retrouver la première apparition de notre jovial ami l’Agent Axis.

Là, j’ai reparcouru les deux premiers tomes, ce qui me permet de dépasser largement la période couverte par la traduction dans Titans. Les intégrales (moi, j’ai l’édition en quatre tomes, mais depuis lors il y a une réédition, intitulée « Complete Collection », en deux gros volumes épais) ont l’exquis mérite de publier les couvertures, qui comprennent notamment des illustrations par Jack Kirby (parfois retouchées par Romita), formidables d’énergie, de souffle épique et de violence à peine contenue.

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Les premières aventures servent surtout à placer le groupe (introduit dans un Giant-Size), à trouver la bonne mécanique pour le faire fonctionner (les deux jeunes, Bucky et Toro, sont un peu la clé d’entrée pour le jeune lectorat, Sub-Mariner est l’arrogant de service, Human Torch est le discret qui s’éclipse derrière Captain America) et à lui opposer des méchants impressionnants et recyclable au besoin : Master Man, U-Man ou Warrior Woman sont des personnages créés pour l’occasion, que Roy Thomas distille au fil de sa série, faisant de leur apparition un fil conducteur autour du thème du super-soldat, et donc du surhomme, ce qui semble s’imposer quand on évoque le régime nazi.

Une fois que les choses sont mises en place, Roy Thomas commence à développer un univers plus vaste. C’est le cas par exemple avec la création de la Liberty Legion, à l’occasion d’un gros cross-over entre Invaders #5-6 et Marvel Premiere #29-30 (également traduit dans Titans). Mais si les méchants cités plus haut sont des créations rétrospectives, cette Légion de la Liberté présente la particularité d’être composée de héros de l’Âge d’Or. C’est un premier tournant dans l’histoire de la série, puisque Thomas envoie un signe fort : il va ranger la continuité, et faire de larges références à l’histoire éditoriale de sa maison d’édition.

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Par la suite arrive ce qui me semble, selon mes goûts, le meilleur de la série. Nos amis envahisseurs sont amenés à travailler en Angleterre, et donc à rencontrer Lord Falsworth, dont ils découvrent qu’il a été le héros Union Jack, justicier de la première guerre mondiale (Frank Robbins nous gratifie à cette occasion d’un chouette mais bref flash-back).

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La saga en Angleterre est marquée par beaucoup de révélations : un neveu qui s’avère à la fois un vampire et un espion nazi, le Baron Blood ; l’arrivée de Jacqueline Falsworth ; la transfusion à partir du sang de Human Torch, qui fera d’elle Spitfire, un nouveau membre du groupe…

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C’est pas mal, un peu bavard, mais avec une caractérisation sympa et un enchaînement de péripéties qui donnent vraiment l’impression qu’il se passe des choses, que les actes ont des conséquences, que ce petit monde, même situé dans le passé, n’est ni immuable ni sujet aux caprices liés à l’obsession de continuité de Roy Thomas.

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L’arrivée de Spitfire constitue peu ou prou le point d’orgue de la première douzaine d’épisodes (un peu plus d’un an : la série avait débuté sur un rythme bimestriel, avant de trouver son public et de passer mensuelle aux alentours de l’arrivée d’Union Jack). Suivent trois épisodes, un avec le Golem, figure juive du protecteur surnaturel, et deux avec les Crusaders, un groupe de héros fédérés autour du Spirit of 76 et manipulés par un espion nazi qui les lance à l’assaut de nos héros.

C’est là qu’intervient le premier Annual de la série, objet initial de ma relecture. Sous couverture d’Alex Schomburg, célèbre illustrateur de pulps passé à la bande dessinée dans les années 1940, ce numéro propose de suivre les aventures de Captain America, Human Torch et Sub-Mariner face à trois espions de l’Axe. Fidèle à un mode de narration apparu dans la décennie de la guerre et adopté par DC pendant bien des années, Roy Thomas sépare le groupe, chaque héros allant affronter l’un des saboteurs. The Hyena et the Shark sont deux personnages de l’Âge d’Or (the Shark est apparu en 1947, ce qui mobilise une note de bas de page expliquant pourquoi le combat dans cet Annual n’est pas la « première » rencontre), mais Agent Axis est un personnage nouveau.

Enfin, nouveau, entendons-nous bien. Comme l’explique le lien que donne Fred en haut, Agent Axis fait son apparition chez Marvel dans un épisode de Captain America par Kirby, datant des années 1960. Sauf que Kirby a confondu avec un ennemi des Boy Commandos, une série qu’il a faite… chez DC. Et que Stan Lee, qui rédigeait les dialogues, n’a rien vu. Si bien que, dans son rôle de réparateur de la continuité, Thomas présente le personnage ici, donnant une justification aux cauchemars dont souffrira Cap deux décennies plus tard. Et tant pis s’il y a deux personnages au même nom dans deux univers, c’est déjà le cas pour les Scarecrow de Batman et de Captain America !!!

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Le personnage de l’Agent Axis est très étrange. Il s’agit de la fusion de trois espions de nationalités différentes (un Allemand, un Japonais et un Italien), qui se retrouve à occuper le même corps après un accident scientifique propre à l’univers Marvel. Disposant de la force, de l’intelligence, de la ruse et de la méchanceté de trois hommes en un seul, il constitue un obstacle de taille.

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Autre étrangeté dans ce numéro qui en déborde, les trois espions ont pour mission de ramener des éléments que les savants de Hitler pourront analyser afin d’enrichir l’arsenal du Reich. The Hyena cherche donc à se procurer un échantillon de sang de Human Torch, Agent Axis à dérober le bouclier rond de Captain America, et the Shark… à chiper le maillot de bain vert de Sub-Mariner ? Diable ! Et le vilain, qui a déshabillé le prince atlante pendant que ce dernier était évanoui, a eu l’infinie politesse de lui passer un maillot de rechange : l’élégance, on l’a ou on ne l’a pas. Cela dit, à moins que les nazis n’imaginent que l’industrie textile atlante ne rivalise avec la confection de mithril, on peut se demander pourquoi the Shark court avec les dessous de Namor, si ce n’est pour satisfaire la logique interne du récit de Roy Thomas.

Non content d’aligner les péripéties saugrenues, ce dernier profite de l’occasion pour escamoter ses personnages, qui disparaissent sous les yeux de leurs adversaires, et pour réapparaître à Paris, face… aux Avengers. Car oui, cet Annual est le pendant d’un affrontement s’étant déroulé dans Avengers #71, à l’occasion de quoi les Vengeurs et les Envahisseurs, pions dans une partie d’échecs opposant Kang et le Grand Master, s’étaient affrontés dans un paradoxe temporel qui fonctionnait très bien comme ça sans avoir besoin qu’on l’explicite. Mais visiblement, Roy Thomas estimait qu’il fallait projeter sur cet événement une lumière éclairante, d’où cette intrigue des plus capillotractées.

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L’épisode se conclut sur Captain America qui énonce à voix haute ses interrogations sur les Vengeurs (dont la noblesse semble avoir touché nos héros soldats). Le patriote, qui a compris avoir eu affaire à des gens venus du futur, se demande s’il les retrouvera dans dix ou vingt ans. Discours ironique, sachant que Cap sera plongé dans un sommeil glacé mais qu’il retrouvera quand même les héros en question. Et d’autant plus intéressant que l’idée même de ce souvenir est assombrie par le constat que, peut-être, le souvenir de cette rencontre pourrait s’effacer, Thomas facilitant ainsi la gestion du paradoxe.

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L’épisode, vaste hommage à l’Âge d’Or, est confié, pour ce qui est des trois chapitres liés aux missions séparées, à des illustrateurs de l’époque : Alex Schomburg pour Human Torch, Don Rico pour Captain America et Lee Elias pour Sub-Mariner. Ce dernier s’en sort le mieux, affichant un trait lorgnant vers celui d’Alex Toth. Cela contribue à renforcer le côté rétro de la série, d’ordinaire confiée à Frank Robbins. Ce dernier est un vétéran, dessinateur de comic strips d’aviation (l’excellent Johnny Hazard) reconverti en auteur de comic books à la fin des années 1960. Il a écrit et dessiné quelques excellents chapitres de Batman. Son dessin maniéré convient assez bien à l’évocation des héros de la Seconde Guerre mondiale. Dans les premiers temps, il est encré par Vince Colletta, sorte de plume rassurante qui s’illustre (si l’on peut dire) sur une grande portion du catalogue Marvel de ces années-là. Mais ce dernier est bientôt remplacé par Frank Springer, également chevronné, qui redonne à Robbins un trait complexe et riche, avec des pleins et des déliés. C’est notamment frappant dans les gros plans de personnages civils, où les attitudes et les traits du visage bénéficient d’une touche de légère caricature qui évite de tomber dans le comique. Pour tordus et maniérés qu’ils soient, les personnages n’en sont pas moins vivants, crédibles, attachants.

La série ne manque pas d’atouts. Il se passe plein de choses, les idées fourmillent, les dialogues sont foisonnants mais au service d’une caractérisation qui se précise sur la durée. Néanmoins, l’Annual, qui avait motivé ma relecture, cumule quelques défauts qui, bientôt, deviendront des fixettes dans l’esprit de Roy Thomas, la série devenant, en partie en tout cas, un prétexte à corriger la continuité, et non plus à raconter des histoires.

La suite des commentaires, bientôt.

Jim