RÉÉDITIONS MARVEL : TPBs, omnibus, masterworks, Epic…

Au début des années 1990, Marvel développe des sagas courant sur plusieurs Annuals. L’idée n’est pas neuve puisque le catalogue entier (ou presque) des Annuals avaient abrité « Evolutionary War » en 1988 ou « Atlantis Attacks » en 1989. Ces vastes récits se découpaient en chapitres impliquant un grand plan dans lequel chaque héros ou groupe était mêlé, mais souvent l’histoire principale pouvait se lire indépendamment. Le sommaire de chaque Annual comprenait en revanche des feuilletons qui faisaient le point sur tel ou tel aspect mobilisé par l’aventure, à grands renforts de flash-backs. Ces feuilletons constituaient le prétexte pour collectionner l’ensemble. Le montage éditorial comblait à la fois ceux qui suivaient des séries précises et les complétistes qui voulaient tout posséder.

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La formule a ensuite été révisée, proposant des aventures d’une ampleur moindre, répartie sur quatre ou cinq chapitres. C’est le cas de « Citizen Kang », une petite saga de 1992 mettant en scène le tyran temporel ennemi des Vengeurs, dans les Annuals de Captain America, Thor, Fantastic Four et Avengers.

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Superficiellement, la formule reste la même : un récit principal prenant part dans un schéma plus vaste, un feuilleton récapitulant l’histoire d’un personnage central (ici, Kang, en quatre chapitres écrits par Peter Sanderson et illustré par Rich Yanizeski), quelques courts récits de compléments et pin-ups diverses. Cependant, on peut remarquer quelques différences notables. Déjà, les chapitres sont moins indépendants les uns des autres. Les lecteurs francophones ont pu à l’époque lire quelques chapitres de « Evolutionary War » au gré des publications Lug-Semic sans avoir la sensation de ne rien comprendre. Ici, c’est assez impossible, surtout pour les premiers chapitres. L’autre différence réside dans la qualité graphique. Si les Annuals des années passées sont plutôt bellement grattés (c’est Art Adams qui se charge du Uncanny X-Men Annual lié au Maître de l’Évolution, par exemple), ici on n’a pas cette chance. Le chapitre consacré à Cap est illustré par Larry Alexander, d’ordinaire cantonné aux back-ups de la série mensuelle, celui de Thor est dessiné par l’excellent Geoff Isherwood, encré pour la circonstance par Fred Fredericks, ancien illustrateur du strip de Mandrake qui, hélas, ne s’accorde pas au style du dessinateur. Quant aux deux derniers chapitres, on les doit à Herb Trimpe qui adopte en l’occurrence un style copié sur celui de Liefeld, apparemment afin d’obtenir du boulot, et le résultat (malgré quelques cases potables), est presque pire que l’original. Bref, quatre épisodes qui ne constituent pas le haut du panier graphique de l’époque, pour rester dans l’euphémisme.

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L’histoire commence alors que Captain America enquête sur la disparition de son équipier Vision. Ce dernier vient de découvrir que certains composants constituant son anatomie artificielle proviennent d’une société située dans une petite ville du Wisconsin appelée Timely. L’androïde ayant disparu, le héros patriote part à sa recherche, pousse la porte d’une entreprise portant le même nom que la bourgade, et se retrouve plongé dans un lointain passé où il retrouve un autre équipier Vengeur, Gilgamesh (mais à une époque où ce dernier n’était pas encore un super-héros). S’ensuit une réécriture du récit mythologique, Cap finissant son épopée personnelle en découvrant une cité futuriste en cette époque sumérienne.

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Le début de l’Annual de Thor commence selon le même principe : Sersi informe ses équipiers que Cap et Vision ont disparu. Thor (à l’époque, c’est Eric Masterson derrière le marteau) part enquêter et se retrouve plongé dans un conflit opposant Vikings et Francs. Prester John est également de la partie. Après la baston de rigueur, Thor se dirige vers ladite cité futuriste qu’il aperçoit au loin, mais se retrouve propulsé au début du XXe siècle, sur Ellis Island, où il est enregistré comme nouvel immigrant sous le nom de Thor Smith. Fin de l’épisode.

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Dans les deux récits, un subplot nous permet de retrouver Doctor Druid, fraîchement échappé d’Avengers Spotlight #37 au cours duquel il s’est débarrassé de (celle que l’on pense être) Nebula. Mais voilà que la tentatrice ressurgit. C’est ainsi que le mystique, le « Docteur Strange du pauvre » ainsi que le formule Ben Grimm, va se retrouver mêlé à l’affaire.

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Car Doc Druid contacte les Fantastiques dans leur Annual, troisième chapitre de l’aventure. Le quatuor identifie Nebula, qu’ils ont croisée dans les épisodes réalisés par Walt Simonson, et repartent dans le temps, à bord d’un nouveau traîneau temporel appelé Rosebud III (la blague finit par s’user…) et se retrouve dans une zone bizarre, dont on découvre qu’elle s’appelle Chronopolis et qu’elle est constituée d’échantillons disparates d’époques diverses. Là, ils se frittent avec les Vengeurs de Sersi, avant de faire faire aux Anachronautes (qui semblent, peu ou prou, tous plus ou moins en lien avec l’histoire de l’univers Marvel (Sir Ralston manipule l’épée d’ébène, c’est donc un successeur de Sir Percy, le premier Chevalier Noir… Raa dispose d’une « gemme de sang », à l’image d’Ulysses Bloodstone… il y a aussi Wildhunt le premier Red Wolf…).

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Le quatrième épisode apporte les derniers éléments d’informations : celle que tout le monde, lecteurs compris, prennent pour Nebula est en réalité Ravonna, la bien-aimée de Kang. Apparue lors de la création d’une ligne temporelle annexe, elle entretient depuis, à l’encontre de son ancien amant, une haine farouche depuis qu’elle a compris qu’il préfère abattre ses adversaires que la tirer du coma où elle a été plongée.

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La révélation a le double avantage de faire un peu rebondir le concept de Kang, qui commençait à l’époque à tourner en rond, tout en séparant la Nebula apparue dans les Avengers de Stern, et développée par la suite dans Infinity Gauntlet ou les Avengers de Byrne, de celle qui tente de s’emparer de l’arme temporelle dans les Avengers et les Fantastic Four de Simonson. Puisqu’il y a plusieurs Kang, il peut y avoir plusieurs Ravonna, et les dialogues de Doctor Druid, le spécialiste de la question ravonnienne, expriment clairement la différence entre les deux personnages, qui retrouvent ainsi leur autonomie.

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À la fin de ce quatrième chapitre, les héros parviennent à enfourcher un véhicule temporel et à quitter Chronopolis, qu’ils laissent aux mains de Ravonna, Kang étant plongé à son tour dans un sommeil comateux suite à la défaite essuyée en duel face à son ancienne dulcinée.

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Tout ça pour ça, serait-on tenté de se dire. Effectivement, la saga accumule des scènes de baston redondantes et guère utiles, n’en venant au fait que sur le tard. Les deux premiers chapitres sont signés Roy Thomas et les deux derniers Mark Gruenwald, mais aucun ne brille par son élégance ou sa légèreté.

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Paradoxalement, c’est dans les back-ups sérialisées, par Sanderson et Yanizeski, que l’on trouve les meilleures idées, la promesse d’une histoire potentiellement plus passionnante et plus fructueuse. On y apprend la fondation de Timely Industries (et par conséquent de la petite ville du Wisconsin où tout a commencé), et de quelle manière Kang s’est ingénié à introduire une technologie futuriste au début du siècle, faisant progresser la science et exerçant une responsabilité évidente sur l’apparition d’androïdes, du premier Human Torch à Vision.

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Peter Sanderson glisse même l’idée d’une possible révolte des êtres technologiques, d’une infiltration par un arsenal géré par Kang, favorisant à terme la victoire de ce dernier. Mais là encore, cela ne dépassera pas le stade du commentaire en flash-back, ce qui est bien dommage parce que ça s’annonçait autrement plus intéressant que la vengeance d’une femme flouée menant à une guerre du trône temporel.

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Le TPB qui rassemble tout cela adopte une forme à la fois logique et surprenante. En tout logique donc, le sommaire propose en premier lieu les quatre chapitres de la saga principale, suivis par le feuilleton résumant la carrière de Kang. Plus étonnant, la suite reprend l’ensemble des pages éditoriales et des récits complémentaires. Si bien que, par exemple, la page de crédit présentant les auteurs de chaque Annual est à trouver dans la deuxième moitié du recueil. Cela donne un côté un peu foutraque à l’ensemble, qui correspond bien, somme toute, à la qualité plus que discutable de ce « Citizen Kang ». Les plus patients finiront par dénicher quelques planches ou illustrations de Kirk Jarvinen, dans un style artadamsien tout à fait plaisant. Maigre consolation.

Jim