RÉÉDITIONS MARVEL : TPBs, omnibus, masterworks, Epic…

Tiens, je me rends compte qu’on a souvent évoqué ce récit, mais apparemment on ne lui a jamais consacré de sujet en particulier.
Réparons cette erreur.

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Parue au début de l’année 1992, la saga « Operation: Galactic Storm » est un événement éditorial emportant dans son sillage les titres de la « famille Vengeurs ». Donc Avengers, Avengers West Coast, mais aussi Captain America, Thor, Quasar, Wonder Man et Iron Man. L’idée de base est la suivante : les empires cosmiques des Krees et des Shi’Ars se font la guerre, un conflit qui met la Terre en danger et qui amène les Vengeurs à intervenir directement, à « se déployer », d’où l’analogie dans le titre avec la fameuse « Desert Storm » décrivant l’intervention en Irak l’année précédente.

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D’après certaines sources, l’idée provient d’un récit que Mark Gruenwald réservait à l’origine à Quasar (et peut-être en lien avec la dépouille de Captain Marvel, ainsi qu’on le verra dans un des épisodes concernés). À la même époque, la rédaction envisage un cross-over impliquant les Vengeurs, donc l’idée est retenue. Bob Harras, qui est alors scénariste d’Avengers et responsable éditorial des titres mutants, permet l’utilisation des Shi’Ars (nous sommes encore à l’époque de Tom DeFalco, il y a donc encore un editor-in-chief et le catalogue n’est pas encore morcelé entre plusieurs responsables jaloux de leurs licences, mais les univers se mélangent cependant avec précaution). L’ensemble du récit comprendra dix-neuf chapitres officiels, sans compter le chapitre « aftermath » dans Captain America #401 et quelques autres déclinaisons. L’épopée a été compilée dans deux recueils bien dodus.

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Au-delà de la genèse éditoriale, on peut aussi voir dans « Galactic Storm » une sorte de suite à la fameuse « Kree-Skrull War » que Roy Thomas avait orchestrée dans Avengers à la toute fin des années 1960, avec Neal Adams et John Buscema au dessin. Dans ce récit désormais classique, la Supreme Intelligence des Krees convoite Rick Jones, ce dernier partageant un lien avec Mar-Vell et disposant de pouvoirs latents qui pourraient l’intéresser (et qui lui permettent de matérialiser des héros de l’Âge d’Or et ainsi de renverser la vapeur en faveur des Vengeurs). C’est également par Rick Jones que la tempête arrive puisque, dans Captain America #398, le jeune homme est enlevé par des Shi’Ars, ce qui entraîne l’intervention du héros patriote puis de ses équipiers. Ce sont les Vengeurs de la Côte Ouest qui interviennent afin de récupérer l’otage, tandis que Quasar part enquêter sur un vaisseau Shi’Ar, fait face au Docteur Minerva et au Captain Atlas, qui a volé les bracelets de Mar-Vell et se retrouve téléporté sur Terre face à Wonder Man… Donc très rapidement, tout le monde est impliqué dans le conflit.

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Dans le même temps, les portail permettant aux différentes flottes belligérantes de se déplacer d’une galaxie à l’autre perturbent le soleil, qui met d’abord en danger la station Starcore puis la Terre tout entière. La saga prend alors une ampleur cosmique à laquelle les dessins de Capullo sur Quasar ou d’Epting sur Avengers donnent toute sa dimension.

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Question baston, ça envoie du bois. On a droit à quelques duels bien sentis, opposant Wonder Man à Captain Atlas, Thor à Gladiator, Iron Man à Ronan… Au niveau des péripéties, c’est plutôt pas mal non plus : Clint Barton alias Hawkeye redevient momentanément Goliath, autre référence à la « Kree-Skrull War », les Shi’Ars bâtissent une « Nega-Bomb » destinée à exploser sur leurs ennemis…

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Les Vengeurs se divisent en trois équipes, deux se rendant sur les mondes en guerre afin de lancer des négociations (en vain), la troisième devant protéger la planète. De l’extérieur, le vaste groupe semble faire front de manière unie et solidaire à l’adversité, mais en fait, la saga sert aussi à amplifier les failles qui les séparent. L’idéalisme de Captain America (pourtant l’un des rares guerriers du groupe) s’oppose au pragmatisme de certains autres personnages, et ce assez tôt dans le récit.

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C’est là que le cross-over aura des conséquences (au-delà même du rôle des Krees par la suite, notamment avec le futur cross-over « Live Kree or Die »). En premier lieu, cela nourrit la dynamique du groupe et apporte des éléments pour les intrigues que Bob Harras leur concocte. On peut aussi voir dans cette saga l’un des tournants clés de la relation tendue entre Captain America et Iron Man, qui s’était déjà dégradée au sortir de la saga « Armor Wars » (enfin, des deux sagas, mais surtout de la première, dans la seconde période Michelinie).

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Le récit est aussi une réussite visuelle. Captain America, dessiné par Rick Levins, est faiblard, même si l’illustrateur y met de l’énergie. Sur Thor, Ron Frenz est remplacé par Pat Olliffe, et c’est un peu moins bien, malgré quelques bastons bien péchues. Mais dans l’ensemble, ça reste quand même très agréable à l’œil, avec une mention spéciale pour le tandem Epting / Palmer, qui parvient à copier intelligemment les tics de Jim Lee sans jamais tomber dans la caricature. Le portrait qu’ils font de Deathbird s’inscrit complètement dans l’esthétique d’Uncanny X-Men #275, c’en est un bonheur !

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Car l’un des autres plaisirs pour le fan, c’est aussi de voir débouler un tombereau de personnages secondaires qu’on n’avait parfois plus revus depuis des décennies. C’est notamment le cas chez les Krees, occasion de revoir Demon Druid rebaptisé Ultimus, Shaterrax ou Korath the Pursuer. C’est tout bête, mais voir l’Intelligence Suprême avec un corps au sein de la Star Force, c’est rigolo.

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Le point fort du récit tourne autour de l’équipe qui s’est rendue dans le monde des Krees. Elle comprend Captain America et le Black Knight, qui développe au fil du récit une vision différente de leur rôle dans ce conflit. Nous sommes au début des années 1990 et les super-héros deviennent plus interventionnistes (là encore, c’est sans doute les X-Men de Claremont qui ont montré la voie, notamment avec la période australienne qui les montre attaquer de front un État dictatorial comme Genosha). Ce n’est pas la première fois que les Vengeurs décident d’agir au lieu de réagir, mais en général, l’intervention des héros est soit mal vue (Vision virant au dictateur dans les Avengers de Stern) soit moralement contestable (le Squadron Supreme de Gruenwald). Avec « Galactic Storm », le discours évolue, en accord avec l’air du temps, et faisant écho à une tendance qui s’installera dans le paysage (de X-Force à StormWatch, pour parler de la même décennie).

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Ici, le propos se fait sur un événement éditorial regroupant des séries classiques et bien en vue. Ce n’est pas une production de petit éditeur indépendant ni une version alternative. Ce n’est même pas un récit discret fait dans un coin entre deux grandes sagas. Non, cette fois, c’est une grosse vitrine. Le groupe, déchiré entre deux tendances, à savoir retourner chez soi une fois la guerre achevée (sur la défaite des Krees) ou aller jusqu’au cœur de l’empire en ruines et décapiter le pouvoir, est poussé à bout par l’explosion de la Nega-Bomb construite par les Shi’Ars. Et c’est le Black Knight qui porte le coup de grâce.

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L’instant sert à la fois en termes de caractérisation (le personnage se durcit, entame une évolution qui nourrira la « Dark Sersi Saga »), en termes de dynamique de groupe, mais aussi au niveau de la réflexion sur le genre lui-même. Sur ces trois niveaux, la réflexion de Captain America, qui décide de laisser faire le groupe dissident, porte une lumière intéressante. Est-ce le vieux soldat qui voit la guerre le rattraper ? Est-ce le stratège qui laisse une partie de l’équipe faire le sale travail ? Est-ce le héros fatigué qui cède un peu au désespoir ? Harras, sur le coup, parvient à matérialiser des moments forts qui synthétise tout l’intérêt de la saga. Il nous offre des personnages intenses et parvient à associer le mainstream avec une véritable réflexion politique entamée dans la décennie précédente et sortant les héros de leur rôle en général immaculé. En gros, il pose la question des mains sales.

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Chose intéressante, « Galactic Storm » est aussi l’histoire d’un échec. L’intervention des Vengeurs n’aura servi à rien, à part éventuellement contribuer à la confusion générale et au désespoir des troupes. La Nega-Bomb a explosé, l’Empire Kree est ravagé (ce qui nourrira haine et rancœur), les Shi’Ars étendent leur zone d’influence, et les héros sont déchirés. Le bilan, pourrait-on paraphraser, est globalement négatif.

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Très bonne saga qui offre de la baston, des costumes colorés, des décors exotiques et une action soutenue, « Galactic Storm » reste comme une réussite et un tournant pour les Vengeurs, pour l’univers Marvel et peut-être pour les super-héros en général. La saga peut être savourée dans deux recueils, dont le second contient également un diptyque de What If donnant une vision alternative à l’événement.

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Je découvre aussi une édition dans la collection Epic, en un seul volume, mais qui semble moins complète. Les deux What If ne sont pas là, pas plus que le Captain America #401.

Jim