RÉÉDITIONS MARVEL : TPBs, omnibus, masterworks, Epic…

Bonus Man-Wolf #1 :
Réédition de la chronique « Viens dans mon comic strip » consacrée à Man-Wolf en VF !

MAN-WOLF

Mettez un loup dans votre moteur !

Je l’ai déjà dit, mais je suis assez consommateur des différents scannblogs fleurissant sur le ouaibe américain. Souvent animés par des passionnés, ces sites proposent à lire différents comic books, certains issus de l’Âge d’Or (années 1940) ou de l’Âge d’Argent (années 1960). L’une de mes crémeries préférées demeure le site Diversions of the Groovy Kind, où je peux lire, relire ou découvrir des produits pour l’essentiel issus des années 1970.

1-HOMME LOUP-Tuska

En fonction des humeurs et des goûts du tenancier, il est parfois possible de reconstituer un bataillon d’épisodes, voire un run . Récemment, il s’est laissé aller à deux coups de cœur. D’une part les Master of Kung-Fu de Moench, Zeck et Day (quelle merveille) et d’autre part les aventures du Man-Wolf réalisées par David Anthony Kraft et George Pérez.

2-Eclipso70AreditCover

Si les premiers me sont encore bien connus (c’est la période où Arédit décide d’abandonner les petits formats et passe cette série - que nous ne verrons sans doute jamais en TPB, ce qui est un scandale d’ampleur cosmique - du pocket Eclipso au mensuel format comics Thor , que j’ai lu avec gourmandise à l’époque), les autres me semblent encore assez flous…

Je suis donc retourné dans ma collection afin d’y regarder de plus près. Les aventures du Man-Wolf sont à l’origine publiées dans Creatures on the Loose , une série vaguement anthologique abritant des rééditions d’histoires de monstres et des adaptations de héros fantasy tels que Gullivar Jones ou Thongor, épisodes en partie rédigés par George Alec Effinger, futur romancier de science-fiction, et Gardner Fox, également à ses heures auteur de roman de fantasy et d’espionnage parfois un peu olé-olé.

Au numéro 30, Creatures on the Loose accueille une nouvelle série consacrée à Man-Wolf. Ce personnage lycanthropique (dont l’identité secrète est John Jameson, fils du célèbre patron de presse) fait son apparition, discrète, dans Amazing Spider-Man #1, en 1963. Exposé à des radiations, il développera une super-force avant d’afficher des poils envahissants et un mauvais caractère qui ne l’est pas moins, dans Amazing Spider-Man #124, onze ans plus tard. En 1974, les règles du Comics Code se sont assouplies et les personnages horrifiques font discrètement mais régulièrement leur retour, soit dans le sommaire de revues en noir et blanc échappant de toute façon aux foudres de la censure, soit au sein d’anthologie plus anonymes. Après tout, ça avait bien fonctionné, dix ans plus tôt, quand les super-héros s’étaient installés dans les pages de Tales of Suspense , Journey into Mystery , Tales to Astonish ou Strange Tales .

Et donc le Man-Wolf devient le héros de Creatures on the Loose . Les premiers épisodes sont rédigés par Doug Moench et Tony Isabella, qui modernisent le thème du loup-garou en plongeant l’Homme-Loup dans les canyons artificiels de la grande ville. Mais rapidement, David Anthony Kraft s’empare du feuilleton, lui donnant un ton inclassable et fou comme il le fera plus tard dans Defenders . Les premiers chapitres, se déroulant à New York, sont dessinés par George Tuska. Le tôlier de Diversion of the Grooy Kind semble ne s’intéresser qu’aux épisodes de Pérez (et pourtant, Tuska, c’est cool), puisqu’il n’entame la publication en ligne de la série qu’à partir du numéro 33. Les aventures continueront jusqu’au numéro 37, daté de septembre 1975, dernier numéro du titre. La suite ne paraîtra pas avant Marvel Premiere #45 et #46, datés de fin 1978 et début 1979.

En France, c’est le bazar (et dans ma collection, il manque des numéros, ce qui n’arrange rien), la série débutant dans Frankenstein #6, en 1976. Le titre, compilant séries d’horreur et de fantasy , avait déjà accueilli les aventures de Thongor, donc sans discrimination l’éditeur, semblant avoir acquis les droits de toute la série, enquille sur les péripéties vécues par notre homme-loup préféré (il n’occupera jamais la couverture, squattée par Deathlok). Bizarrement, les deux derniers épisodes de Creatures on the Loose demeurent inédits en France, sans raison apparente, rendant la compréhension de l’ensemble problématique (c’est toute l’histoire des pockets Arédit). Alors que les deux épisodes de Marvel Premiere atterriront dans le sommaire d’ Eclipso #70 (en 1980, soit quatre ans après les épisodes de Frankenstein), numéro bien connu des amateurs de John Byrne puisqu’il accueille, en première place et en couverture, le Marvel Team-Up où Spider-Man s’associe à l’Homme-Chose.

Autant dire que si la série n’est pas facile à suivre pour les lecteurs américains, ça devient de l’acrobatie pour les fans français, privés de certains morceaux de la saga.

Pour ma part, la fréquentation de Diversions of the Groovy Kind m’a permis de redécouvrir la prestation de Kraft et Pérez. L’évolution de ce dernier est impressionnante. Les grands dessinateurs ont bien fait leurs armes quelque part, et il est toujours intéressant de les voir évoluer au sein d’une série régulière. Ainsi de John Byrne sur Iron Fist , ainsi de George Pérez sur Man-Wolf. Il développe une narration complexe, alternant petites cases et grandes illustrations, bandes serrées de cases étroites ornées de gros plans, bref, tout l’arsenal qui fera son style. Son dessin n’est pas encore au point dans les deux premiers épisodes, mais il prend forme, et Pérez développe rapidement les portraits de trois quarts et les décors fignolés jusqu’à l’obsession qui lui vaudront sa célébrité. Les deux derniers numéros de Creatures on the Loose sont complètement péreziens. Il signe notamment des doubles pages impressionnantes, remplies jusqu’aux marges de personnages en pleine action. Les progrès sont d’autant plus sensibles qu’il est encré par des styles différents, que ce soit Klaus Janson, Frank McLaughlin ou Fred Kida, puis Frank Giacoia et Ricardo Villamonte.

Le scénariste, David Anthony Kraft, s’empare rapidement de l’intrigue et la propulse dans des directions plus personnelles. Les premières aventures reprennent le schéma classique du récit de loup-garou, confrontant l’animalité et l’individu à la société et au groupe. S’émancipant des idées de Tony Isabella (sans les jeter : il reconstruit ses propres subplots sur les pistes lancées), il envoie l’Homme-Loup à la campagne puis dans l’espace et, à l’issue du dernier Creatures on the Loose , dans un autre univers. Le héros est ballotté d’aventure en aventure, constamment poursuivi par différentes factions. Dans Creatures on the Loose #36-37, John Jameson se retrouve coincé sur une station spatiale entre les anciens prisonniers et leurs geôliers. En cela, la construction évoque le Hulk de la même époque, tentant constamment de s’arracher aux griffes des super-vilains et du gouvernement américain. Et durant cette course effrénée, l’Homme-Loup ne fait que réagir.

Les choses changent dans les deux épisodes de Marvel Premiere (traduits dans Eclipso #70, pour ceux qui suivent). Jusque-là, Kraft avait mené une réflexion sur les pouvoirs du loup-garou, expliquant que la conscience de Jameson revenait à mesure qu’il s’éloignait de la pleine lune, et que ses pouvoirs de lycanthrope croissaient s’il se rapprochait du satellite terrestre, par exemple à bord d’un engin spatial. Les prisonniers de la station spatiale tentent de s’emparer de la gemme qu’il porte au cou, et dans Marvel Premiere #45, les lecteurs découvrent qu’elle provient d’un autre monde, dont un portail ouvre sur la Lune. Là, l’Homme-Loup apprend qu’il est considéré comme un dieu stellaire, le Stargod. La conscience de Jameson prend alors le contrôle de son double lupin et, endossant un costume de guerrier de fantasy , il part à la reconquête d’un royaume que convoite Arisen Tyrk, le ravisseur de Krystin Sanders, sa dulcinée sur Terre.

En deux épisodes, Kraft parvient à boucler (de longues années après la série régulière) les différentes intrigues de son récit dans des pages fatalement assez denses, mais qui laissent tout de même au dessin de Pérez la place pour respirer. D’un univers de monstre, il arrive à un monde d’ heroic-fantasy en passant par une atmosphère de science-fiction. L’ensemble acquiert une tonalité à part, d’une grande richesse, un mélange des genres assez savoureux. Qui plus est, il offre non seulement au personnage une construction de soi, le paria victime de sa malédiction devenant un héros, mais il offre aussi à Marvel une nouvelle licence, le Stargod dont Dan Slott se souviendra près de trente ans plus tard dans ses She-Hulk .

Vaste saga à l’identité multiple, la carrière du Man-Wolf devenu Stargod a été courte mais fructueuse, marquant la révélation d’un dessinateur promis à une longue carrière. À ces titres, elle mériterait une réédition en TPB.

Jim

1 « J'aime »