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J’avais gardé un souvenir assez flou de la prestation de Steve Englehart sur la série Incredible Hulk, mais je pensais bien me souvenir que c’était sous son aile que Betty Ross avait été transformée en Harpy. Mon goût pour les travaux du scénariste et l’année anniversaire m’ont conduit à ressortir mon quatrième tome d’Essential Incredible Hulk, qui contient la plupart de ses épisodes. Et c’est une grande redécouverte.

Steve Englehart arrive donc sur la série dans l’épisode 159, daté de janvier 1973 (donc sorti fin 1972). Il reprend le poste de scénariste à l’invitation de Roy Thomas (qui lui confiera aussi Captain America, pour le splendide résultat que l’on connaît), et son arrivée correspond à une sorte de stabilisation de l’écriture. En effet, la série est passée en peu de temps entre différentes mains, dont celle de Steve Gerber à qui Thomas confie des dialogues. La série part donc dans différentes directions et accumule les combats. Mais le personnage principal semble ne plus être au centre du récit, depuis le procès orchestré par Archie Goodwin dans les épisodes 152-153.

Englehart reprend donc la série in medias res, alors que Bruce Banner est coincé dans une fusée revenant sur Terre. L’appareil s’écrase, libérant par inadvertance l’Abomination, qui se réveille furax.

L’épisode, derrière la grosse baston d’usage, est remarquable pour deux choses. En premier lieu, le Général Ross y est présenté comme un homme courageux capable d’affronter l’Abomination les yeux dans les yeux, et comme un négociateur lorgnant vers le manipulateur, loin du va-t-en-guerre souvent dépeint dans la série. D’autre part, Englehart s’intéresse aux sentiments de Hulk. Non pas de Bruce, mais de son alter ego verdâtre.

Secoué par le destin, le Titan Vert cherche un refuge auprès de la seule personne qu’il estime accueillante et aimable : Betty Ross. Englehart pointe du doigt le fait que le double de Banner peut partager avec le scientifique ses sentiments, même si d’une manière fruste et confuse. Et à la fin de l’épisode, Hulk décolle pour trouver les « chutes du Niagara » qu’il associe à Betty.

C’est le début d’un périple qui envoie à nouveau le personnage en balade à travers l’Amérique. Englehart nous présente un aviateur, Spad McRaken, dont Roger Stern se souviendra plus tard (signe que ces épisodes ont marqué les scénaristes successifs).

À Niagara, Hulk croise le chemin de Tiger-Shark, mais aussi de Glenn Talbot. Car à l’époque de la série, Betty a quitté Bruce pour épouser son autre soupirant, un militaire. Englehart s’ingénie donc à construire une sorte de triangle amoureux où le monstre remplace le scientifique. Si l’idée prend l’aspect d’une blague, la stratégie à plus long terme consiste à remettre Betty au centre de l’intrigue.

Dans Hulk #161, le géant d’émeraude affronte Hank McCoy, qui vient de développer sa forme poilue (dans des épisodes d’Amazing Adventures écrits par Englehart), ainsi que Mimic, à qui l’auteur accorde un destin à la fois tragique et intéressant.

Poursuivant son périple dans le grand Nord, Hulk rencontre un nouvel adversaire, un monstre albinos appelé Wendigo. Diable, je ne me rappelais pas du tout que c’était Englehart qui avait ajouté cet élément à la mythologie hulkienne. Et dès cette première apparition, le scénariste évoque clairement (quoique par sous-entendus pourtant limpides qui semblent n’avoir effrayé aucun censeur de l’époque, chose étonnante) le cannibalisme.

Dans le même temps, Ross assemble une troupe considérable au sein de sa force Hulkbuster et lance un assaut contre le monstre. L’attaque se déroule alors que ce dernier est tombé par hasard sur une cité souterraine occupée par le Gremlin, le fils de Gargoyle, aussi génial que son père et tout autant acoquiné au régime soviétique (quand je pense qu’il m’a fallu des années pour comprendre que « Gremlin » était un jeu de mot).

Là, on reconnaît Englehart, bien entendu : il ramène un vieux concept de la continuité lointaine et le modernise, tout en jouant sur les clichés du genre (ville secrète, technologie de pointe…). L’attaque de Ross est un fiasco, non seulement parce qu’il ne parvient pas à détruire le monstre, mais aussi parce qu’il est capturé par l’ennemi. L’épisode se conclut sur Betty, qui apprend la capture de son père.

Si Englehart propose beaucoup d’idées nouvelles (parfois des réfections de vieilles idées, certes), toutes ne font pas florès. C’est le cas du Captain Omen, le maître d’un gigantesque sous-marin abritant une colonie d’hommes ayant évolué sous l’eau pendant des générations. Le personnage a une vertu assez parodique, comme l’atteste le trait de Herb Trimpe, qui semble prendre le personnage à la rigolade.

De son côté, Englehart donne la vedette à cet étrange personnage pendant deux épisodes entiers, et confère à sa petite utopie sous-marine une attention évidente, rendant ce monde plus complexe et cruel qu’il n’y paraît au premier abord. Cependant, même si le Captain Omen constitue la menace principale pendant deux mois, c’est l’intrigue secondaire qui compte : l’armée, et en particulier le Major Talbot, décide de monter une mission afin de récupérer le Général Ross, détenu de l’autre côté du Rideau de Fer. C’est ainsi qu’intervient un nouveau soldat, le Colonel John D. Armbruster dont la pipe et l’éternel sourire cache un grand professionnel.

Contrairement au Captain Omen, Armbruster sera voué à connaître un certain destin, court mais intense, dans la série, puisque Len Wein l’utilisera à l’occasion de péripétie découlant directement de ce qu’Englehart prépare pour l’instant. Dans Incredible Hulk #166, le héros est de retour à New York (il remonte par les quais) et rencontre une autre création d’Englehart, Zzzax, un autre adversaire qui connaîtra une certaine carrière. Décidément, cette période est assez fertile.

Pendant que Hulk, associé pour le coup à Hawkeye (autre personnage qu’Englehart croisera souvent, dans Captain America, dans Avengers puis dans West Coast Avengers…), la mission de sauvetage réussit, mais à un prix terrible : Glenn Talbot est blessé et laissé pour mort de l’autre côté du Rideau de Fer. La dernière case nous apprend qu’il a survécu, mais ça, Betty ne le sait pas.

Incredible Hulk #167 est l’épisode où Englehart, après avoir placé le décor et les acteurs, fait avancer son récit. La jeune femme, qui vient de passer par des hauts et des bas (sa lune de miel, la peur d’avoir perdu son père, la joie de le retrouver, le chagrin de la disparition de son mari…) craque et sombre dans la dépression.

C’est le moment que choisit M.O.D.O.K. pour frapper. Revêtant un corps colossal, la grosse tête de l’A.I.M. affronte Hulk puis parvient à s’emparer de la jeune femme et à lui donner de nouveaux pouvoirs : elle devient la Harpy et affronte le Titan Vert. Le couple d’amoureux devient un tandem d’adversaire (une idée qui sera reprise des décennies plus tard par Al Ewing, après divers clins d’œil chez Peter David).

Le couple de monstre se retrouve, dans l’épisode 169, coincé entre un nouvel ennemi, la Bi-Beast (encore un adversaire dont Len Wein saura se souvenir) et M.O.D.O.K., lui-même bien décidé à conquérir la cité flottante du premier. Dans l’agitation, Betty perd ses pouvoirs et c’est sous leur forme humaine que le couple parvient à s’échapper.

Protégée par Hulk, Betty parvient à survivre à une île peuplée de monstres avant d’être récupérée par l’armée, dans Incredible Hulk #170, qui marque le début du retrait progressif d’Englehart, sans doute appelé vers d’autres projets. C’est Chris Claremont qui signe les dialogues de cet épisode, dernier du sommaire d’Essential Incredible Hulk tome 4.

Le départ d’Englehart laisse régner une légère instabilité dans la série. Le scénariste signe l’intrigue du #171 (qui met en vedette l’Abomination et le Rhino, les deux vilains apparus dans le premier chapitre qu’il a rédigé, en guise de bouclage de boucle), dont les dialogues sont rédigés par Gerry Conway. Dans l’épisode suivant, Roy Thomas fait avancer l’intrigue avec le concours de Tony Isabella. Dans ces deux chapitres, le colonel Armbruster tient une place de plus en plus grande. Il faudra attendre l’arrivée de Len Wein au numéro 179 pour que les pistes proposées par Englehart (retour de Wendigo, humanisation d’Armbruster, sort de Talbot…) soit explorées. En attendant, le scénariste qui fera prendre sa retraite à Captain America, qui rendra Batman amoureux ou qui libérera le Surfer de la barrière de Galactus a fourni une longue intrigue pleine de rebondissements dans Incredible Hulk, tout en offrant à la série et à l’univers Marvel un grand nombre de nouvelles idées et de personnages inédits.

Jim

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