RÉÉDITIONS MARVEL : TPBs, omnibus, masterworks, Epic…

J’ai ressorti mes huit tomes VO de X-Men Forever hier soir, et j’ai relu le premier. C’était parti un peu loin, et bizarrement j’avais davantage de souvenirs des péripéties à venir que de l’entame proprement dite.

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C’est assez désarçonnant.
Rappelons le principe : Marvel donne à Chris Claremont, qui a quitté la série presque vingt ans plus tôt, sous la pression conjointe de l’editor Bob Harras et du dessinateur Jim Lee, l’occasion de reprendre le récit et de le raconter comme il l’aurait fait s’il était resté sur le titre. Sauf que bien sûr les dés sont pipés, pour deux raisons fondamentales : le scénariste s’est épanché dans les revues spécialisées entre-temps (et le sujet a été glosé en long et en large par la presse et les fans) et surtout un bon nombre de ses idées a été utilisé par ses successeurs, lui coupant un peu l’herbe sous le pied. Il faut donc être bien naïf pour imaginer que ce serait « comme avant », mais à l’époque, sans doute porté par ma propre naïveté, j’y avais cru un instant.

C’est désarçonnant aussi parce que Claremont entame le récit in medias res et se dépêche de régler quelques affaires en cours avant de passer à plus intéressant à ses yeux. L’épisode d’ouverture raconte la chasse à Fabian Cortez, que les X-Men prennent au sérieux parce qu’il a abattu Magneto. C’est le lien essentiel avec la continuité officielle. Le combat est violent, ça bastonne, on sent bien que certains ne vont pas s’en sortir aussi facilement.

Y a plein d’idées sympas, et Cortez est vraiment décrit comme menaçant. L’autre idée qui s’implantera, c’est la présence de Nick Fury dans le décor, ce dernier cherchant à imposer un agent de liaison ou un contrôle afin de garder un œil sur les mutants. Là aussi ça peut constituer un pont avec la fameuse saga en Savage Land dessinée par Jim Lee, même si on n’est guère habitué à voir des personnages d’une autre franchise rester aussi longtemps au Manoir.

Bref, Cortez est vaincu, confié au SHIELD, et les Mutants reviennent chez eux, épuisés et un brin meurtri. Wolverine n’apprécie pas les projets de Fury et quitte le groupe. Et les choses sérieuses commencent au deuxième épisode, qui s’ouvre sur la découverte d’un squelette d’adamantium, en plein Central Park.

C’est le début d’une avalanche de révélations : Sabretooth veut tuer Storm, celle-ci est le véritable assaillant de Wolverine, Kitty a récupéré une griffe de Wolverine durant le combat contre Cortez… Claremont semble vouloir balancer un max de munitions très vite, sans doute dans l’idée que la série ne durera pas, ou échaudé par ses expériences précédentes qui l’ont empêché de mener à bien ses projets.

C’est généreux, ça, c’est clair. Et comme on est sorti de la phase où le scénariste fait un peu le ménage, on peut enfin entrer dans celle où il déroule son intrigue. Et c’est plutôt sympa. Tom Grummett livre de jolies pages dynamiques, ses personnages sont plutôt agréables à regarder, et il y a un mystère, une sorte de complot, dont un coin du voile se lève quand « Storm » rencontre les envoyés du Consortium, un nouveau groupe agissant dans l’ombre.

Au sujet de Storm, Claremont propose une idée intéressante : la Storm gamine, celle qui fait la rencontre de Gambit dans la série d’antan, est en fait retenue prisonnière, et la tueuse de Wolverine est donc un imposteur (mais qui possède le même ADN, selon Hank McCoy). Ce faisant, Claremont récupère un personnage principale de ses intrigues d’hier, ce qui laisse entendre qu’il aurait sans doute gardé l’héroïne sous sa forme juvénile un peu plus longtemps si « Mutant War » n’avait pas été changée en « X-Tinction Agenda » (cross-over durant lequel elle retrouve sa forme adulte).

Ces cinq premiers épisodes proposent un cocktail sympathique : présence de Sabretooth dans le groupe (amenée avec souplesse), fantasmes de Jean Grey qui sont découverts par un peu tout le monde, ce qui crée de la gêne bien entendu mais permet aussi de désamorcer les sous-entendus à rallonge et le suspense artificiel, arrivée d’une nouvelle menace souterraine, le Consortium…

Claremont choisit ses personnages, se concentrant sur Storm, Sabretooth, Kitty, Jean et Cyclops (et un peu Xavier), laissant de côté Rogue et Gambit, afin sans doute de se démarquer d’une continuité principale en jouant à fond la carte de la ligne temporelle divergente.

Cependant, si la lecture est agréable, les épisodes ne sont pas sans défaut. Il y a, en dépit du grand nombre de bulles, une forme de décompression : les bastons prennent de la place, les pages défilent, et on s’en rend compte grâce aux séquences consacrées aux personnages secondaires. Quand on comprend que Fury passe deux épisodes devant les écrans de Hank, il devient clair que ça tire un peu à la ligne. Rien de fâcheux, mais c’est palpable d’autant que les héros, finalement, passent les épisodes en costumes colorés, à se bastonner, éclipsant toutes les scènes « quotidiennes » qui ont fait le charme et le caractère de la série jadis. Plus embêtant, le scénariste semble un peu fainéant (ou rouillé ?) question dialogues. La caractérisation est là, mais les répétitions dans les dialogues sont fréquentes, et les bulles de pensées un peu insistantes. On sent Claremont en petit régime.

Néanmoins, la fin de ce premier recueil, dévoilant une réalité que vient d’identifier Claremont (à savoir que les pouvoirs mutants et le gène X épuisent les anatomies, faisant que la plupart des mutants meurent assez jeunes, idée formidable donnant de la cohésion à l’existence de Genosha ou à l’absence de Xavier parti dans les étoiles en quête de solution… idée qui potentiellement aurait pu nourrir un « No More Mutants » ou une saga à la « Endangered Species »…), donne bien envie de connaître la suite.

Malgré les faiblesses d’écriture, Claremont tire assez bien son épingle du jeu, parvenant à créer une continuité indépendante pleine de promesses en faisant un large pas de côté par rapport à la promo du titre : difficile de reprendre la série quand une belle partie des idées proposées a déjà été exploitée entre-temps. Il biaise donc en lançant de nouvelles idées et en reprenant son personnage de Storm adolescente, dont son empressement à la faire revenir témoigne sans doute du fait qu’il s’agit là d’une des rares propositions initiales qui n’ait pas été pillée.

Jim

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