Dans nos réguliers échanges concernant nos « premières » lectures, celles qui sont portées par des élans de nostalgies, il nous arrive de reconnaître qu’il y a parmi les choses qu’on a aimées quand on les a découvertes en étant jeunes quelques productions confinant sinon à l’étron odorifère, au moins à la radouille totalement évitable.
Pour ma part, j’aurais tendance à classer la première Secret Wars (ces fameuses « Guerres Secrètes » qui ont fait les belles heures du mensuel Spidey en leur temps) dans la catégorie des merdouilles sympathiques chères au vieux cœur de fan, mais à la qualité contestable.
Cette première mini-série Secret Wars nourrit en moi des sentiments partagés. Il y a une belle intensité dans le premier épisode, réalisé par un Mike Zeck en pleine possession de ses moyens et pas encore en retard, un tel suspense et un évident sens de l’épique, si bien que plein de trucs pourris venant par la suite sont éclipsés.
La fin du récit lui-même est enlevée, avec une résolution à tiroirs en plusieurs temps, un Doctor Doom proprement impérial et une conclusion sur le modèle du dernier baroud qui force l’admiration.
Néanmoins, ces trois épisodes plein de muscles ne font pas oublier les neuf autres, emplis de bagarres sans justification, de personnages tirés d’un chapeau, de caractérisation à contre-emploi (Shooter piétine tout le travail de Claremont, allant jusqu’à inventer une intrigue amoureuse autour de Magneto…) et de ficelles narratives épaisses comme des cordes de marine.
Graphiquement, Shooter commet une erreur impardonnable pour deux raisons : il extirpe Zeck de Captain America, où ce dernier faisait des merveilles à condition qu’on le laisse un peu respirer (par le truchement de quelques fill-ins occasionnels), et le force à réaliser au pas de course une mini-série pour laquelle le scénariste (donc lui-même) est déjà en retard. Zeck n’étant pas d’une vélocité légendaire, il faut donc demander à Bob Layton (un bon faiseur au dessin raide) de dépanner le dessinateur en titre. Voilà donc Captain America privé de l’un de ses atouts forts et la mini-série événement perdant toute sa cohérence graphique (le dernier épisode est encré par un bataillon d’embellisseurs qui font tout leur possible pour limiter les dégâts). Un total lose-lose game.
Et dire que Romita Jr a failli le dessiner : son style de l’époque aurait été super !!!
Mais je suis faible. Secret Wars est un produit médiocre réalisé dans des conditions déplorables et à la finition mal dégrossie, mais je l’aime bien. Pour avoir relu les deux mini des années 1980, je finis même par apprécier davantage le second volet, qui a le mérite d’avoir un style cohérent (Al Milgrom et Steve Leioaloha tout du long), d’afficher un humour bien décalé (un peu violent parfois, Shooter ne se privant pas d’envoyer des piques à Gerber par personnage interposé) et une fin alliant une atmosphère kirbyenne à une vraie interrogation métaphysique. Mais la première mini m’avait passionné ado, et je n’oublie pas ces sensations.
Donc, résistant à plein de choses mais pas à la tentation, j’ai récemment racheté à l’ami Mallrat un exemplaire du TPB de la série, dans la version publiée en 1999 et réimprimée en 2001 (si je comprends bien les indices dans l’ours) de la collection « Marvel Finest », sous couverture de Salvador Larroca (quand il tentait d’imiter le Pacheco anguleux de l’époque).
La collection « Marvel Finest », qui a frappé en son temps puisqu’elle proposait un florilège de trucs marquants et semblait ponctuer le début de l’ère de la librairie, affiche une maquette réalisée par le studio Comicraft, autant dire que le substantif « sobriété » n’est pas le plus apte à qualifier la chose : c’est clinquant, tape-à-l’œil, avec du texte partout et plein de couleurs. J’ai plusieurs volumes dans cette présentation (le Captain Marvel: First Contact de Peter David et quelques recueils de X-Men…), ça agresse un peu, mais j’aime bien. Décidément, je sais faire preuve de mauvais goût quand je le veux.
Ce que j’aime bien aussi, c’est l’encadrement éditorial. Là, le sommaire propose des pages extraites de différentes séries et montrant comment les héros sont enlevés par le Beyonder afin de se rendre sur sa planète artificielle. Un petit texte en guise d’épilogue explique ensuite quelles sont les conséquences de l’événement sur les différents personnages.
Autre petit bonus pour un vieux schnock dans mon genre, l’impression restitue les trames de couleurs de l’époque, ce qui est loin d’être désagréable. Pour le coup, ça remet la mini dans le jus de sa production, et les trames, sur un joli papier blanc, arborent donc un look très pop art qui n’est pas pour déplaire.
Dernière bonne surprise : c’est la première fois que je relis (certes en diagonale) la série en VO. Et je découvre que Lug avait pratiqué sur le dernier épisode les coupes franches qui ont fait la légende de l’éditeur, taillant dans le gras de la dernière grosse baston, durant laquelle Doom fait défendre sa forteresse par des monstres issus de… d’on ne sait pas trop où. Et j’ai éprouvé un grand plaisir à voir Zeck s’éclater, notamment sur une double page représentant la charge des monstres en question.
Alors bon, Secret Wars, le premier, c’est totalement dispensable. Je ne le recommanderais qu’aux fans purs et durs, et aux amateurs historiens qui ont envie de connaître un tournant dans l’édition chez Marvel. Pas vraiment joli, pas vraiment bien écrit, plutôt torché, c’est dispensable. J’ai tenu à l’avoir dans ma bibliothèque, parce que nostalgie, intégrale, histoire, tout ça… Mais sérieux, ne faites pas comme moi.
Jim