RÉÉDITIONS MARVEL : TPBs, omnibus, masterworks, Epic…

La suite et fin de la série Captain America and the Falcon est assez intéressante. De mémoire, je dirais que cette partie n’a jamais été traduite (dommage pour les lecteurs français) et je n’avais fait que la survoler. Une relecture plus attentive, dans la foulée de la relecture des passages précédents, s’avère un chouette moment.

Donc, au moment où l’action reprend dans cette édition disparate que j’ai détaillée hier, les héros ont la confirmation que l’ADN ayant contribué à la création du super-soldat de la Navy provient d’un vieil ennemi de Cap : MODOK. Les indices avaient été données à la fin du précédent épisode (donc dans le TPB « Disassembled », dont on comprend aisément pourquoi il a été publié, puisqu’il assemble les épisodes de deux séries liées à cet événement éditorial : le choix est un peu bancal, mais compréhensible à l’époque).

Steve et Sam poursuivent la piste du début, et enquêtent sur l’amiral Jimmy Westbrook, qui est derrière la création du surhomme concurrent. Ce faisant, ils gardent à l’œil l’héritier du clan Rivas, une famille de narcotrafiquants ayant maille à partir avec ce projet clandestin.

Christopher Priest étant ce qu’il est, il multiplie les fausses pistes et les indices trompeurs, ainsi que les sous-intrigues et les actions isolées, qui pourraient passer pour des trahisons. Par exemple, le « super-marin », censé être mort, a droit aux derniers honneurs, son corps étant rendu à la mer. L’amiral promet de ne pas avoir envoyé de plongeurs afin de récupérer la dépouille, mais bien sûr, il en a envoyé. Le Falcon arrête le commando et récupère le corps, ce qui laisse penser que Cap tente lui aussi d’avoir quelques coups d’avance. Sauf que visiblement, c’est une initiative de Sam en solo. Et qu’on découvre que la mort était feinte. Priest fait feu de tout bois, comptant sur le fait qu’au moins une des surprises en réserve marquera le lecteur. Et en soi, ça fonctionne, puisque ça maintient la pression.

Au rayon des surprises, le scénariste développe une nouvelle version de MODOK. Postulant, à base d’un certain technoblabla qui fonctionne bien dans les comics de super-héros mais qui n’a pas beaucoup d’assise scientifique, que l’ADN de MODOK permet de créer un pont télépathique entre l’ancienne version et celui à qui on injecte l’échantillon, il met en scène une version « décérébrée » ou idiote du vilain à grosse tête, et une version humanoïde, nettement plus dangereuse et retorse. Il parvient ainsi à inscrire l’histoire du vilain dans sa propre continuité tout en modernisant l’ensemble dans une approche un peu « à la ultimate ».

Vision en position rafale, le scénariste avance aussi ses pions concernant les cauchemars de Cap et le comportement de Sam. À savoir, les deux héros ont été « déstabilisés » mentalement par une force extérieure. Obligé sans doute à un rétropédalage à cause de l’éditorial qui doit gérer les idées de Bendis sur Avengers et l’arrivée de Brubaker sur Captain America, Priest, plutôt que d’annuler ce qui a été fait dans les épisodes précédents, préfère maintenir un certain flou, laissant à toutes les idées la place de cohabiter. Les deux héros s’interrogent donc sur ce qu’ils viennent de vivre, sans pouvoir clairement démêler s’il s’agit d’une influence néfaste des ondes mentales de MODOK (et de tous ceux à qui son ADN a été injecté) ou de la dépression nerveuse de Wanda, qui vient de « désassembler » les Vengeurs. Pour ma part, j’aurais tendance à penser que l’idée de base de Priest concernait le premier, mais le scénariste a la politesse d’intégrer les exigences éditoriales propres à l’arrivée de Bendis dans sa vision de la série. L’épisode #11 permet de trancher définitivement, puisqu’on y visite les illusions mentales générées par le nouveau MODOK, mais la graine est semée, permettant de lier la série à la saga de Bendis (donc de répondre aux exigences éditoriales) sans pour autant renier ce que les premiers épisodes ont raconté.

Si l’on sent bien que le scénariste avait encore de la réserve, les trois derniers épisodes (la série se concluant au #14) semblent lui laisser le temps de ranger les jouets. Le #12, illustré par Greg Tocchini, marque la fin de l’intrigue avec MODOK, et les deux dernières livraisons constituent l’arc « American Psycho », qui apporte une dernière touche à l’idylle entre Steve et Wanda, tout en concluant l’affaire du « super-marin ».

Cependant, on sent bien que Priest avait encore des choses à dire sur Sam Wilson. S’il entame une reconstruction du personnage dans ses derniers épisodes, assurément pour préparer la prestation de Brubaker, qui aura besoin du personnage, les choses vont un peu vite, et la dernière image de la série, montrant Cap avec le costume vide du Falcon à la main, revêt une charge symbolique évidente : l’éditorial a laissé le scénariste avec un personnage creux qu’il n’a pas eu le temps de remplir. Au vu de la qualité des quatorze épisodes de la série, il est effectivement dommage que Priest n’ait pas eu le temps de conclure comme il le souhaitait.

Question dessin, Joe Bennett assure la majeure partie des épisodes. Le #7 est illustré par Andrea Divito, encré par Scott Koblish : c’est moins convaincant que Bennett, malgré la présence de quelques cases particulièrement enlevées. Greg Tocchini n’a pas encore le style qu’on lui connaît aujourd’hui, et ne s’encre pas, si bien que son épisode est peut-être le plus faible du lot. Quant à Dan Jurgens, il assure le spectacle, avec un dernier épisode encré par Tom Palmer (et qui se passe à Paris : les bulles en français sont… risibles).

En résumé, très sympathique série, sacrifiée sur l’autel de l’événement éditorial et du buzz, dans la vaste course en avant que sont devenus les comics dans les années 2000. S’il faut reconnaître que le Captain America de Brubaker constitue un morceau mémorable (malgré ses lenteurs), il faut aussi avouer que le « Disassembled » de Bendis a mis le bazar partout, et reconnaître que deux séries Captain America auraient pu cohabiter, ne serait-ce que quelques mois, afin de laisser les différents auteurs aller au bout de leurs idées.

Jim