Bon, j’ouvre une discussion sur Super 8, film que j’adore (pas autant que Cloverfield, mais pas loin).
En fait, l’envie d’en parler est venue de la discussion consacrée à Mission Impossible, et notamment des échanges concernant les rapports que des réalisateurs comme Abrams ou DePalma entretiennent à l’image et au regard.
On se doute que J. J. Abrams, qui a produit Cloverfield (un film presque définitif dans le sous-genre du film à caméra embarquée) et qui a tourné Super 8 (une mise en abyme de l’art du cinéma, donc du mensonge, qui est aussi un hommage au cinéma de Spielberg auquel il a biberonné), a une vision, des idées, des envies et sans doute une théorie de l’image. L’image rapportée ou enregistrée, l’écran, la représentation, ont une importance assez grande dans Fringe, par exemple (comme témoignage du passé, comme ressort de suspense, comme pièce à conviction…). Les décalages de narration qu’induit l’insertion d’une image d’écran dans l’image globale filmée permettent aussi des sur-cadrages, c’est-à-dire des images dans l’image. On retrouve ça aussi dans Alcatraz, par exemple. Dans une moindre mesure, l’image témoignage, l’image à distance, a son importance aussi dans Lost. Et du coup, chaque image d’un genre nouveau apporte non seulement un traitement de l’image différent, mais aussi un niveau de narration différent. Abrams développe toute une sémiologie de l’image au fil de ses productions.
Et je crois que ça marche d’autant mieux dans Super 8 que le cinéma de Spielberg s’intéresse à l’image et à son cadrage. Dans les productions plus récentes de Spielberg, on a un travail sur l’image rapportée et enregistrée (image vidéo ou de caméra dans Jurassic Park, écrans tactiles virtuels dans Minority Report…). Les visions incomplètes des précogs de Minority Report posent la question de la perception de l’image quand elle est incomplète ou sans relief, par exemple. Donc là aussi, sémiologie de l’image. Comme les images des médias dans Sugarland Express, par exemple.
Mais dans les premiers films de Spielberg, on a non pas l’image rapportée, mais l’image sur-cadré, avec l’utilisation d’éléments du décor qui viennent s’intercaler entre le personnage et l’action, et délimiter l’image que le personnage voit. C’est la vitre de la voiture du héros de Duel, par exemple, qui passe l’essentiel du film à ne voir le monde que par les portières ou le rétroviseur (et quand il sort de la voiture, c’est pour voir le camion qui le poursuit à travers la vitre du relais routier : quand il sort du relais, le camion s’en va (le tunnel joue aussi le rôle de sur-cadrage qui sépare le héros de l’action). Dans Les Dents de la Mer, le Chef Brody, une fois sur le bateau, est souvent derrière la vitre, à observer l’action de loin. La vitre agit comme ses lunettes durant tout le film, en obstacle qui l’éloigne des réalités. Il n’est donc pas étonnant que lorsque le requin le rattrape, il brise la vitre. Et ce genre d’utlisation de la fenêtre comme écran sur un monde extérieur, on le trouve encore avant. Dans son épisode de Night Gallery, « Eyes » (une histoire de regard, tiens, justement), les vitres ont une importance primordiale. Dans Something Evil, la mère de famille observe le jardin, le vieux jardinier et la menace qui pèse sur sa famille par la vitre. Et je suis sûr qu’on peut trouver des exemples dans « Murder by the Book », son épisode de Columbo : ne serait-ce que l’épicière qui regarde la voiture du romancier par la fenêtre de son magasin, par exemple : franchir la porte et rejoindre la voiture scelle son destin.
C’est un peu pour cela que j’adore Super 8. Parce que ça parle de cinéma, de la magie de la fiction, mais aussi de toute une tradition qui passe d’auteur en auteur.
Sur l’ancien Superpouvoir, on avait eu des échanges formidables concernant ce film, j’aurais dû sauvegarder tout ça, c’est toujours de l’excellent matériel. Donc à défaut, je remets ici un début de discussion, on verra ce que ça donne…
Jim