Très étonnant et très sympathique projet que ce Golden Child. On retrouve en partie le Miller nerveux, teigneux, politique et dense des années 1980, étrangement mélangé au Miller décompressé, baroque, épique et surdimensionné des années 2000. Le récit, en termes de tonalité, se trouve à la croisée entre le premier Dark Knight et le Dark Knight Strikes Again, reprenant le commentaire social du premier et les aspects spectaculaires et démesuré du second.
L’association des deux tendances ne se fait pas avec souplesse, cela dit, la lecture de ce « prestige format » (bon sang, que j’aime ces petits bouquins souples à dos carré) donnant l’impression de découvrir deux histoires sans lien. Mais l’énergie est communicative, et si le principe est assez classique (Darkseid organise des élections fantoches et se sert du Joker, qui n’est pas mort - c’est à peine expliqué au détour d’un dialogue - pour répandre son équation d’anti-vie, ce qui rappellera ne serait-ce que le Legends d’Ostrander et Byrne), ça se lit avec élan.
En grande partie parce que Miller renoue avec une densité de texte propre au premier Dark Knight, qui confère un ton épique à l’ensemble. Presque légendaire. Son sens de la formule est particulièrement sensible, et cela crée un rythme de bulldozer qui emporte le lecteur du début à la fin. Ça commence d’ailleurs par des considérations sur les adultes qui évoquera les débuts de Give Me Liberty (on se souvient encore de son « Grown-ups always caugh. »), ça continue par des clins d’œil (« The Arcade. My turf. »), et ça passe par des formules lapidaires dont il a le secret (« This is going to be ugly. This is going to be a mess. This is going to be great. »). On retrouve son habitude de caractériser les personnages par leur voix, cette fameuse « voix tonnerre » dont on a des échos chez ses héros les plus emblématiques (gentils comme méchants, d’ailleurs). Là, c’est celle du « boss » qui est évoquée, mais aussi celle de Darkseid.
Au lettrage, John Workman joue le jeu, entassant des petits blocs de textes qui décomposent le flot de parole et de pensée. On remarquera que, comme dans Superman Year One, Miller change parfois de registre sans que rien ne soit indiqué dans la forme ou la couleur du bloc : parfois, on est sur une troisième personne, un narrateur omniscient, et puis paf, on passe à la première personne, à la voix intérieure du personnage. Ou l’inverse. Miller semble s’émanciper du système qu’il avait contribué à mettre en place (et dont l’une des expressions les plus frappantes se trouve dans Elektra Assassin) , ou bien s’en foutre, et une fois de plus, il brise les règles narratives, et désarçonne son lecteur.
Graphiquement, Raphael Grampa, dont je ne suis pas grand fan, s’inscrit complètement dans la logique graphique du scénariste. Son interprétation du Joker est celle du premier Dark Knight. Son découpage évoque les différentes manières du maître, et il livre même des planches directement inspirées de la composition du premier opus, avec des contrastes visuels très forts. En plus pop encore.
Tant sur la forme que sur le fond, une déclinaison assez étonnante. Dans le bon sens.
Jim