VALHALLA RISING (Nicolas Winding Refn)

Je viens de voir Valhalla Rising, un film de 2009, par Nicolas Winding Refn, qui s’est taillée une réputation qui a dépassé les frontières de son pays, le Danemark, avec Drive.

Le pitch est assez simple : il y a plus de mille ans, dans les déserts frileux de la Scandinavie, un guerrier borgne et muet, capturé par un barde nordique, parvient à s’échapper. S’ensuit un récit de voyage, pas réellement initiatique, où One-Eye, accompagné d’un enfant blond, traverse les étendues battues par les vents, rencontre un équipage de Vikings, et des Chrétiens illuminés qui rêvent d’une Nouvelle Jérusalem.

Le film est aussi aride que les décors, aussi froid que les ciels parcourus de nuages tristes, aussi silencieux que les guerriers désœuvrés qui s’allient et s’affrontent au fil du récit. C’est âpre, cruel, sans concession. L’absence d’illustration musicale rend la narration encore plus sèche.
La violence virile, sans retenue et sans remords, peut évoquer les films les moins hollywoodiens de Paul Verhoeven, par exemple. Mais au contraire de Verhoeven, Nicolas Winding Refn propose des plans larges, une caméra fixe, un montage réduit au strict minimum, qui n’est pas sans évoquer les jeux géométriques que l’on peut trouver chez Kubrick. Tout cela renforce la lenteur, et bien sûr l’absurdité du récit et des destins des personnages.

Jim

j’ai bien aimé ce film, pas autant que **Bronson **(qui reste un film extrêmement marquant), mais nettement plus que **Drive **pendant lequel je me suis ennuyé à mourir.

Et pour ceux qui en veulent toujours un peu plus, une excellente émission en podcast du magnifique tandem du** 7ième Antiquaire** où il est question de Valhalla Rising.

Bronson est en effet assez impressionnant, par contre le viking silencieux, j’ai tenu 25 minutes avant de lâcher l’affaire!

Chef-d’oeuvre total, pour ma part, que ce film, qui narre en quelques sorte les aventures d’Odin sur tombé sur Terre (comme l’avaient très justement signalé Manticore et Artemus sur l’ancienne version de S.P.), qui traite de mythologie avec beaucoup de finesse, et se révèlera, pour le spectateur attentif, comme un film de S.F. absolument passionnant (oui, de S.F. !).

Grosse influence de Kubrick, mais c’est pas nouveau chez Refn (voir « Bronson » justement, avec Tom « Bane » Hardy, impressionnant).

Tu parles ici des thèmes et des sujets. Et si je suis d’accord pour dire qu’il y a une énonciation forte, des idées, tout ça, ça ne l’emporte pas assez, pour moi, pour me saisir comme ça t’a saisi.
J’ai du mal à le voir comme un chef d’œuvre, pour ma part, d’autant que des tas de points structurels se retrouvent dans l’autre film que j’ai vu, Drive : le rapport à l’enfant, les visions du futur, le ciel nuageux…
Du coup, j’ai l’impression que le cinéaste ne s’est pas mis à la disposition de son sujet, mais au contraire a cherché un sujet qui lui permettent de passer ce qu’il a à dire ou à montrer. Et du coup, cela me semble anti-kubrickien.
(Ça demeure ceci dit une découverte, de mon côté…)

Jim

En tout cas, je ne regrette pas d’avoir ouvert cette discussion, ça amène plein de gens à apporter plein de choses…

jim

Multiposteur !!!

[quote=« Jim Lainé »]Tu parles ici des thèmes et des sujets. Et si je suis d’accord pour dire qu’il y a une énonciation forte, des idées, tout ça, ça ne l’emporte pas assez, pour moi, pour me saisir comme ça t’a saisi.
J’ai du mal à le voir comme un chef d’œuvre, pour ma part, d’autant que des tas de points structurels se retrouvent dans l’autre film que j’ai vu, Drive : le rapport à l’enfant, les visions du futur, le ciel nuageux…
Du coup, j’ai l’impression que le cinéaste ne s’est pas mis à la disposition de son sujet, mais au contraire a cherché un sujet qui lui permettent de passer ce qu’il a à dire ou à montrer. Et du coup, cela me semble anti-kubrickien.
(Ça demeure ceci dit une découverte, de mon côté…)

Jim[/quote]

Je ne crois pas du tout que se mettre au service de son sujet soit la marque du cinéma Kubrickien, qui me semble plutôt être le cinéaste par excellence qui « tire » le sujet à lui. Du coup, des films qui peuvent sembler thématiquement très éloigné l’un de l’autre (« Orange Mécanique » et « Full Metal Jacket », par exemple) racontent pratiquement la même chose (liberté individuelle vs la société, l’endoctrinement, et plus largement, la vraie fixette kubrickienne, la défiance vis-à-vis du discours…).
Ce qui m’amène au point suivant : je comprends qu’on puisse apprécier un bon dialogue bien écrit et bien mis en scène (c’est mon cas aussi), ça fait partie intégrante du cinéma, mais je ne pense pas que ça soit l’essence de cette discipline (ce qui est logique, sinon il faudrait jeter tout le cinéma muet aux orties).

Les dialogues ou les discours ont toujours constitué de la matière cinématographique de premier ordre, mai bizarrement assez souvent pour exprimer (comme chez Kubrick) une certaine méfiance vis-à-vis du discours et de sa logique. Ex : dans les « screwball comedies » à la Howard Hawks, les acteurs déclament de véritables logorrhées verbales, mais en général elles expriment l’inverse de ce que pense le personnage, et tout le travail du cinéaste est de montrer ce hiatus par la mise en scène et la monstration du corps qui prononce ce discours. Un personnge prétendant haïr son interlocuteur alors que tout dans son attitude corporelle (ou ses lapsus) indique exactement le contraire, typiquement…

On peut aussi penser à Chaplin qui a été un grand metteur en scène de muet, et qui se frotte au discours pour en dénoncer le potentiel poison (cf. « Le Dictateur »).
Pour revenir à Kubrick, il est vraiment le cinéaste par excellence qui pense la toute-puissance des images par rapport au discours, à cause de l’impuissance de celui-ci à évoquer (logique) l’indicible.

Pour « Valhalla Rising », il est intéresssant de signaler la façon dont Refn a procédé (un peu chaotique).
Refn a vendu son projet comme un « Pusher » chez les Vikings (de son propre aveu, avant « Drive », il vendait toujours ses projets comme ça, pour rassurer les producteurs), plutôt un film d’action à la « Pathfinder », on va dire. Sauf que 15 jours avant le tournage, il se rend compte qu’il n’a pas du tout envie de faire ça. Il convoque son scénariste pour ménager en catastrophe des pistes lors du tournage, et c’est ensuite au montage (!) qu’il trouve son film, c’est-à-dire lorsqu’il le déstructure pour en complexifier le propos (en introduisant la notion de voyage dans le temps, et les visions fulgurantes de « One-Eye »). Il en parle dans une excellente interview présente dans le DVD de « Valhalla Rising ».

Il indique dans la même interview qu’il a voulu créer une figure « mythique » de cinéma de genre, à mi-chemin entre le samouraï Yojimbo et l’Homme sans nom de Leone…

[quote=« Photonik »]
Je ne crois pas du tout que se mettre au service de son sujet soit la marque du cinéma Kubrickien, qui me semble plutôt être le cinéaste par excellence qui « tire » le sujet à lui. Du coup, des films qui peuvent sembler thématiquement très éloigné l’un de l’autre (« Orange Mécanique » et « Full Metal Jacket », par exemple) racontent pratiquement la même chose (liberté individuelle vs la société, l’endoctrinement, et plus largement, la vraie fixette kubrickienne, la défiance vis-à-vis du discours…).[/quote]

Kubrick, c’est quand même le gars qui change son éclairage en fonction du sujet (voir le travail des lumières dans Barry Lyndon).

Leone fonctionne régulièrement en confrontant ses personnages, en bâtissant des « équipes », et en plaçant des dialogues qui font mouche, et qui sont bien moins lapidaires que ce qu’on croit. C’est les dialogues qui font exister les personnages, ainsi que leur rapport à des figures qui ont autant de potentiel mythologique. Leone, dans cette optique, met en scène des trinités.
Le côté hiératique des personnages de Winding Refn selon moi ne fonctionne pas parce qu’ils sont seuls au milieu du récit, quoi. Seuls et muets.

Jim

[quote=« Jim Lainé »]

Kubrick, c’est quand même le gars qui change son éclairage en fonction du sujet (voir le travail des lumières dans Barry Lyndon).

Jim[/quote]

Justement : il a choisi un sujet lui permettant ce type d’éclairage…
Kubrick n’hésite jamais à changer substantiellement le matériau d’origine pour coller au mieux à sa vision, et Stephen King en sait quelque chose. L’exemple le plus parlant, c’est le thriller d’espionnage « Red Alarm » (ou Alert ?) très premier degré à l’origine qu’il a progressivement détourné, pour en faire la comédie que l’on sait avec « Dr Folamour ».

Leone a des jolis dialogues, pas forcément lapidaires c’est vrai (il y a de longs monologues par exemple assez régulièrement), mais je dirais que la caractérisation de ces persos passent plutôt par leurs actes. Dans le cas du perso de Eastwood dans le « Bon, la Brute et le Truand », si on s’en tient aux dialogues, le personnage est une ordure intégrale. Mais il y a le passage muet avec la dernière clope offerte au soldat confédéré blessé, près du cimetière, qui change toute la donne.

Pour les persos de Refn, et notamment One-Eye dans « Valhalla Rising », je ne dirais pas qu’il est perdu au milieu du récit, mais plutôt qu’il est le récit. Et l’enfant en est le spectateur…

Dans le cinéma muet, on voit fréquemment des personnages dialoguer entre eux (même on n’entend pas les paroles prononcées) et on lit les intertitres retranscrivant lesdits dialogues. Donc, AMHA, le « texte » (oral ou écrit) fait partie intégrante du cinéma.

[quote=« Photonik »]
Dans le cas du perso de Eastwood dans le « Bon, la Brute et le Truand », si on s’en tient aux dialogues, le personnage est une ordure intégrale. [/quote]

« Blondin, t’es la pire ordure que cette terre ait jamais portée. »

La conclusion parle d’elle-même.

Dans le cinéma muet, on voit fréquemment des personnages dialoguer entre eux (même on n’entend pas les paroles prononcées) et on lit les intertitres retranscrivant lesdits dialogues. Donc, AMHA, le « texte » (oral ou écrit) fait partie intégrante du cinéma.[/quote]

Ah non, c’est faux.
Tu as raison sur le fait que le cinéma (muet ou parlant) peut faire usage du texte (écrit ou oral), mais tu en tires une conclusion erronée… Il y a des milliards de films qui sont totalement muets, et ne font aucune usage du texte, même s’ils font usage du « son », mais ce n’est pas la même chose (je pense au « Dernier Combat » de Luc Besson). Et si l’on va sur le terrain du cinéma d’avant-garde / expérimental, n’en parlons même pas.
Donc, le texte ne fait pas partie intégrante du cinéma ; tout au plus peut-on dire que dans le cadre du cinéma « narratif », il est prédominant.

[quote=« Photonik »]Ah non, c’est faux.
(…) Il y a des milliards de films qui sont totalement muets, et ne font aucune usage du texte, même s’ils font usage du « son », mais ce n’est pas la même chose (je pense au « Dernier Combat » de Luc Besson). Et si l’on va sur le terrain du cinéma d’avant-garde / expérimental, n’en parlons même pas.
Donc, le texte ne fait pas partie intégrante du cinéma ; tout au plus peut-on dire que dans le cadre du cinéma « narratif », il est prédominant.[/quote]

Oui, mais dans ce cas-là, c’est une « transgression » : le cinéaste joue sur l’attente du public du texte. Le texte est « présent par son absence », si tu préfères.

Non.

J’insiste, mais il existe des tas d’oeuvres (« Man with a Movie Camera » de Vertov) qui se passe de texte (de TOUT texte) et qui n’en sont pas moins du pur cinéma…
Je me répète : difficile de se passer de texte (dans tous les sens où tu le définis) dans le cinéma narratif. Pour le reste, le texte n’est qu’un outil supplémentaire, un apport technique (comme le furent en leur temps la couleur, le son, le scope, la 3.D. et j’en passe…), mais ne fait pas partie du cinéma par essence.

L’essence du cinéma, c’est : le cadre, le point de vue, la durée. La perception du mouvement, quoi.

[quote=« Photonik »]Non.

J’insiste, mais il existe des tas d’oeuvres (« Man with a Movie Camera » de Vertov) qui se passe de texte (de TOUT texte) et qui n’en sont pas moins du pur cinéma…[/quote]

Au début de L’Homme à la caméra, il y a, si mes souvenirs sont bons, un texte dans lequel Vertov explique sa démarche…

Oui, tu as raison, il y est bien, ce texte. Je ne m’en souvenais pas mais je viens d’aller vérifier.

Et tu sais ce qu’il dit, dans ce texte ?
Que son film est une tentative de créer un nouveau mode de communication, purement cinématographique, sans l’appui d’une histoire, du théâtre (jeu d’acteurs),et…sans intertitres !!!

Je l’ai vu au cinéma (je ne pouvais pas louper Mikkelsen et le réalisateur des Pusher)…et j’ai été hypnotisé du début à la fin. J’ai rarement ressenti ce genre de sensations dans un cinéma, j’étais en plein rêve, ça ne plaira pas au plus grand nombre mais quel choc visuel et sonore.

L’opinion du Cercle, je m’attendais bien sûr à un lynchage en règle…et l’intervention finale de Philippe Rouyer est juste monumentale, déjà que je l’adorais, là, je l’ai idolatré, à voir absolument pour les fans du film:

canalplus.fr/c-cinema/cid266 … cieux.html

[quote=« Nookie »]
L’opinion du Cercle, je m’attendais bien sûr à un lynchage en règle…et l’intervention finale de Philippe Rouyer est juste monumentale, déjà que je l’adorais, là, je l’ai idolatré[/quote]

Ouais, enfin face à lui, il a Jean-Marc Lalanne et Christine Haas, qui sont toujours dans l’insatisfaction, le chipotage et l’ergoterie. Y a qu’à entendre Lalanne au Masque et la Plume, il n’aime rien et l’exprime sur son ton habituel en hypotension. Rouyer a pour lui sa passion, mais aussi sa lecture fine et technique (il n’écrit pas à Positif pour rien). On peut ne pas partager son avis, mais lui, au moins, on est sûr qu’il nous parle d’images.

Jim