Mark Texeira :
HULK #1 (#34 et 35) :
Après Paul Jenkins, le scénariste Bruce Jones a pris les commandes de la série Incredible Hulk au #34 (du volume 2). Son premier épisode donne l’impression d’évoluer en terrain connu : encore une fois, Bruce Banner est sur les routes, un vagabond tentant d’échapper aux forces qui se sont liguées contre lui et son alter-ego monstrueux. Un schéma déjà vu/lu à plusieurs reprises et popularisé notamment par la série TV des années 70. Mais ici, c’est le traitement qui fait la différence…
Bruce Jones installe dès le début les éléments d’un suspense paranoïaque. Des extraits de journaux télévisés parlent des conséquences tragiques de la dernière colère destructrice du titan vert; Banner communique par mails avec un certain « Mr Bleu » qui lui donne des informations et il est poursuivi par des « Hommes en Noir ». Dans le #34, la présence de Hulk est réduite au strict minimum…on l’entraperçoit par écran interposé et les yeux verts annoncent le début d’un changement dont seule l’issue nous est montrée. Et c’est très bien comme cela, car (très) efficacement mis en scène et illustré par un John Romita Jr parfaitement à l’aise avec le ton particulier voulu par Bruce Jones.
Le scénariste s’intéresse également à la nature de la transformation et à la façon dont Banner a perfectionné le contrôle de son Mr Hyde (en employant différents moyens, dont un repris dans le long métrage L’Incroyable Hulk en 2008). Ce démarrage peut sembler un peu lent, mais ce « faux rythme » sert la narration et plonge directement dans une ambiance souvent étouffante…
Je suis juste un peu moins convaincu par le #35, pris dans le mois « nuff said », pendant lequel les comics concernés se sont retrouvés privés de paroles. Je ne garde pas un très bon souvenir de cette initiative (j’ai préféré le mois « flashback » de la fin des années 90) et s’il y a ici quelques bonnes idées (comme le découpage de la scène de la révélation de Hulk), l’ensemble manque d’impact…
Oui. J’en ai très peu lu de ces « nuff said », mais le seul qui fut convaincant était le X-Men de Quitely (normal non? ^^)
Au point que dans un épisode ultérieur de Peter David, il qualifie ça d’un mix de X-Files et du Fugitif.
Et quand Dauterman (meilleur illustrateur que storyteller) a remaké ces planches-là (sous couvert d’hommage), la comparaison ne s’est pas faite en sa faveur.
Le spectacular par (j’ai un trou de mémoire. Jenkins ?) avec un Spidey un peu clown était très bien aussi.
J’aime beaucoup l’épisode nuff said d’x-force aussi
Joseph Mackie :
INCREDIBLE HULK #328 (1986) :
Si les scénaristes Bill Mantlo et Peter David ont offert au géant de jade deux de ses meilleurs runs, la période d’un an et demi séparant ces deux longs cycles s’est en revanche plutôt apparentée à une ère de vaches maigres (en dépit du passage d’un John Byrne ayant joué la carte de l’éloctrochoc virant au capharnaüm), autant sur le plan de la qualité que des ventes, au point d’amener la série régulière au bord du précipice qu’est le seuil d’annulation (et cela seulement 4/5 ans après l’arrêt de la populaire série tv, diffusée en parallèle des runs de Roger Stern & Bill Mantlo).
John Byrne (dont la prestation fut aussi courte que la poignée de numéros de la série originelle de 1962/63 par Lee/Kirby/Ditko) et Al Milgrom (dix numéros et puis s’en va) ne sont pas restés longtemps sur Incredible Hulk, mais ils ont néanmoins eu le temps de pas mal secouer le cocotier de la continuité : la scission de Hulk & Bruce Banner dans deux corps distincts (puis leur réunification forcée), un Doc Samson cyclothymique (donc méconnaissable) se prenant pour le capitaine Achab à la poursuite de sa baleine verte, la formation de l’équipe des Hulkbusters, le mariage soudain de Bruce Banner et Betty Ross, la transformation de Rick Jones en Hulk ou encore la mort de l’ex-général Thaddeus Ross. Autant d’apports avec lesquels David a du se dépatouiller avant d’être en mesure de donner une nouvelle direction à une série en quête de renouveau.
Mais avant de reprendre la série au long cours, Peter David s’est d’abord occupé d’un fill-in méconnu, pouvant être vu comme une audition pour ce job pas vraiment convoité (comme l’admet le scénariste, si Harras s’est tourné vers lui c’est bien parce qu’il en était arrivé au stade de récurer les fonds de tiroirs, tant les autres scénaristes n’étaient pas prêts à se dévouer). Un numéro déconnecté des intrigues en cours (histoire de ne pas marcher sur les plates-bandes d’un Milgrom sur le départ) et ainsi voué à avoir un très faible impact sur la continuité du moment.
Un côté anecdotique que le scénariste est arrivé à tirer en sa faveur, se servant de l’aspect intimiste de ce numéro (avec un Bruce Banner seul dans le désert) pour mieux explorer l’état d’esprit et les névroses du personnage principal, annonçant mine de rien l’approche psychologique de son grand run à venir. Dès ce numéro-là, PAD a déjà bien en main le personnage et ses personnalités multiples, qu’il s’agisse de Bruce Banner ou du Hulk gris (là où celui-ci ne faisait guère plus de la figuration chez Al Milgrom en restant dans l’ombre du Hulk vert version Rick Jones).
Loin de se contenter d’y aller dans le bourrin à tout va, PAD y privilégie l’introspection à l’action, poussant dans ses retranchements un Bruce d’humeur morbide (à nouveau tenté par l’option du suicide pour mieux se libérer de son pesant fardeau) tout en se servant des mirages du désert pour le confronter à moults hallucinations chargées en symboles et autres adversaires métaphoriques. Bien avant de consacrer tout un numéro au monde intérieur de Banner (Incredible Hulk #377), PAD avait ainsi fait une première percée dans ce domaine, pas aussi aboutie que les fois suivantes bien sûr mais pas dénué d’intérêt pour autant. Le meilleur étant encore à venir…
HULK #2 et 3 (#36 à 39) :
Le premier arc narratif de Bruce Jones sur la série Incredible Hulk (#34 à 39, réunis dans les trois premiers numéros de l’éphémère revue lancée par Panini à l’été 2003) correspond aux derniers épisodes illustrés par John Romita Jr, qui avait rejoint le titre au #24. Un JRJr qui n’a pas eu beaucoup d’occasion de dessiner le titan vert car Bruce Jones a dans un premier temps utilisé le colosse avec parcimonie (dans les #36 et 37, on le voit encore brièvement sur des écrans de télévision ou par l’intermédiaire des souvenirs de Leonard Samson), privilégiant la mise en place de son intrigue au long cours…
Bruce Jones continue d’entretenir le mystère sur le destin du petit Ricky Myers, le gamin qui aurait trouvé la mort suite aux dernières destructions perpétrées par Hulk, en introduisant deux personnages (Mr Slater et Miss Verdugo) liés à une organisation secrète bien décidée à utiliser le sang de Hulk pour mener ses propres expériences. Les pièces s’assemblent, les alliances fragiles se forment avant la réunion des protagonistes dans un petit resto de campagne qui permet enfin à Hulk de se révéler et de tout casser (il fallait bien que JRJr le dessine en pleine page avant de partir)…
Les auteurs rendent un bel hommage au Frankenstein de James Whale dans les premières pages du #39, référence judicieuse (et très bien orchestrée, en passant du paysage mental de Hulk à la réalité) qui s’applique aussi bien au géant de jade qu’à certains de ses poursuivants. Bruce Jones distille quelques éléments au compte-gouttes avant une fin qui pratique encore l’ellipse. Mais cela fonctionne…et la dernière case ajoute une nouvelle fois une touche horrifique à ce thriller paranoïaque…
Percutant !