Alors à ce sujet, je me faisais une réflexion différente il y a quelques temps (à l’occasion d’une conférence où j’avais parlé des adaptations filmées). En gros, je me disais que la vague actuelle de films de super-héros a fait en une décennie le parcours que le genre a fait en plus de cinquante ans (si l’on compte le début de la vague, grosso modo, à X-Men, dont l’adaptation est sortie en 2000).
Watchmen, c’est 2009. Kick-Ass, c’est 2010. Grosso modo, en moins de dix ans, le cinéma a rattrapé cinquante ou soixante-dix ans d’évolution papier, où l’on est passé par tous les stades (le réalisme d’O’Neil et Adams, le commentaire de Moore, la déconstruction de Millar…) tranquillement et naturellement, alors que ça s’est fait en accéléré dans les salles obscures.
Et en fait, l’approche « moderne » que l’on connaît depuis une ou deux décennies dans les comic books, et qui s’appuie sur d’autres décennies de héros « classiques » et d’intrigue plus « premier degré » (avec les milliards de guillemets de circonstance, je brosse le portrait à la louche, là…), est complètement inversée au cinéma : c’est en partie sur cette approche moderne faite de commentaire et de déconstruction que la vague cinéma s’appuie, y compris pour des versions classiques (l’Avengers de Whedon est, dans cette perspective, « classique »).
Grosso modo, si l’on admet que les histoires de super-héros se diviseraient en « naïves » et « adultes »*, on pourrait dire que les versions « adultes » se sont appuyées sur les versions « naïves » dans les BD, et que les versions « naïves » s’appuient en partie sur les versions « adultes » au cinéma. La tendance est inversée.
Donc, grosso modo, pour un public qui ne connaît pas aussi bien que nous, vieux lecteurs, l’univers des super-héros, le cinéma propose très vite des versions commentaires (Incassable, c’est 2000, hein, la même année que X-Men) et refait le parcours en dix ans seulement.
C’est donc toute une nouvelle génération d’amateurs qui vient vers les super-héros, y compris ceux qui sont « classiques » ou « naïfs », les « traditionnels ». Sans doute dans le même mouvement que celui lancé par le cinéma. Ils profitent des rééditions, de la présence en rayon, tout ça… Et ils arrivent avec un bagage différent, ils arrivent avec parmi leurs références déjà Blade, Watchmen, Kick-Ass, Defendor ou Super Hero Movie, autant de « perversions » du genre.
(Rajoutons à cela que la vague ciné des super-héros semble loin d’être terminée…)
Fatalement, ça change l’approche.
Jim
- On se doute bien que cette distribution ne tient pas longtemps : l’exemple des Avengers de Stern, cité par Nemo plus haut, est l’exemple type d’un comic que les non connaisseurs pourrait croire « naïf », alors que c’est « adulte ». Comme quoi, mainstream et intelligence ne sont pas antinomiques, contrairement à ce qu’une partie de la critique voudrait encore nous faire croire.
On peut peut-être substituer à cette distinction une autre, qui distribuerait entre « comics qui veulent distraire » et « comics qui veulent être intelligents ». Ça décrit mieux le regard critique de certains. Et moi, j’aime bien. Et j’ai déjà choisi mon camp : je connais des comics qui veulent distraire qui sont intelligents, alors que j’ai déjà croisé des comics qui se veulent intelligents et qui ne distraient pas…