[quote=« Jim Lainé »]J’ai lu ce numéro, et c’est pour moi la quintessence de tout ce que je déteste chez Bendis, et la démonstration de la médiocrité de son écriture depuis quelques années.
C’est très mal raconté. C’est plein de chapelets de bulles qui fleurent mauvais le remplissage. Ça s’ouvre sur un type de séquence dont raffole Bendis, à savoir le subplot rétroactif (il a utilisé le même procédé dans un épisode récent dessiné par Acuña, où la toubib traîtresse prélève des échantillons sur les champs de bataille des cross-overs précédents), technique qui trahit deux défauts : d’une part c’est du remplissage facile, d’autre part c’est une certaine auto-satisfaction complaisante vis-à-vis de ses précédentes productions, comme pour justifier a posteriori l’importance des sagas insipides et longuettes qu’il a mis en place depuis des années. Cette capacité à passer la brosse à reluire sur les gros événements Marvel des dernières années prend le pas sur une réelle caractérisation des personnages, et là où des gros plans remplis d’émotion aurait pu donner de l’épaisseur et de la crédibilité au changement d’opinion de Simon Williams, on a droit à des doubles pages qui ressemblent à des posters, et non à de vraies cases de BD. Le tout est donc très froid et consomme des pages qui auraient été bien plus utiles si elles avaient été consacrées au récit proprement dit.
Le-dit récit est rapidement évacué dans des combats proprement illisibles sans réel impact émotionnel. Les vilains mis en place (dont un que je reconnais même pas, c’est dire si je commence à être perdu dans cet univers que je croyais quand même bien connaître…) sont des personnages de carton sans épaisseur, ce qui est d’autant plus consternant qu’ils existent pour la plupart depuis des années, qu’ils ont un passé, et qu’on aurait pu avoir droit à une justification de leur engagement au côté de Williams.
Les combats sont mous, mal racontés, et pour tout dire pas intéressants. C’est de la baston sans cervelle, et la fin du premier Annual tombe un peu à plat (oh, un champ de ruine, les Vengeurs à terre, on y croit, c’est terrible). Pour tout dire, si le dessin n’est pas laid, les planches sont fort mal composées. Le combat final entre Iron-Man et Wonder-Man est consternant : réduit à une double page muette, il se résout sur un tour de passe-passe technologique inexpliqué et apparu comme par magie. Ça n’a aucune ampleur épique visuelle, aucune montée dramatique (on aurait pu avoir droit à l’exposition du gimmick, à la contre-attaque de Williams pour le détruire, à des gros plans sur les mains…), et s’il y a surprise chez le lecteur, c’est qu’en tournant la page, il a l’impression d’avoir loupé une ou deux séquences.
Les dialogues sont indigents au possible. Les personnages enfilent des monologues prétentieux, les situations de dialogue sont évitées avec lourdeur, et l’ensemble des personnages se contentent de dire « je ne comprends pas », « je ne sais pas » et autres constatations du vide général du récit. Les rares instants de caractérisation (autour de Squirrel Girl) consistent en des empilements de répliques qui se répètent pour bien marteler l’idée (faut dire que, dans ces moments-là, Dell’Otto cadre de loin, si bien que le peu d’émotion qui pourrait passer est complètement dilué dans des suites de bulles suspendus au-dessus de personnages en pied : au moins, chez Deodato, on a plein de gros plans qui renforcent la moindre étincelle d’émotion). Les héros ne reconnaissent pas leurs adversaires, ne comprennent pas ce qui se passe et ne savent pas quoi faire. Si l’on voulait y voir un commentaire métalinguistique, on pourrait dire que Bendis avoue de cette manière qu’il ne sait pas ce qu’il fait de cette histoire.
La fin, typique de Bendis, est pleine de promesses, qui on s’en doute déjà ne seront pas tenues : le revirement des médias ? Il va sans doute y revenir dans une page, un jour, perdue au milieu de bastons foutraques. Et l’évasion de Williams ? M’ouais, ma foi, c’est intriguant. Mais complètement confus, à l’image du reste du récit. Est-ce que quelqu’un l’a fait évader ? Ou bien le fait que ses pupilles redeviennent normales témoigne-t-il de sa possibilité inédite d’éteindre ses pouvoirs et donc de sortir de la bulle d’énergie ? Bien entendu, c’est pas clair, c’est flou, c’est bordélique, c’est pas édité, et surtout, c’est de l’esbroufe.
Le pire dans tout cela, c’est que tout est affaire de technique d’écriture. Enfin, pas tout, mais pour l’essentiel, si.
Bendis consacre plusieurs doubles pages à des flash-backs sur des cross-overs, ce qui aurait pu être traité en une seule double, avec des gros plans. De même, la présentation de son groupe de vilains, pour l’essentiel muets et inutiles, prend une place énorme, ainsi que l’altercation finale. Toute cette place gâchée, et pendant ce temps, les motivations des personnages ne sont pas fouillées, ni explicites.
Qui plus est, la montée du suspense est complètement inefficace. Déjà, puisqu’il a introduit le « sub-plot » dans le premier numéro de la série, il aurait pu continuer à développer l’intrigue au fil des épisodes, en consacrant une page de temps en temps aux recrutements que Williams opère pour composer son équipe. La technique est classique, mais elle est éprouvée, Stern ou Claremont en ont tiré de bonnes choses. Cela aurait donné à la série une dynamique intéressante, et l’impression qu’une menace sourde et rampante se prépare dans l’ombre. Cela aurait pu épaissir Simon Williams, qui n’apparaît ici que comme un fantoche. Et cela aurait permis de varier la série, qui depuis de trop longs épisodes se contente de répéter la sempiternelle engueulade entre les Vengeurs et Victoria Hands, répétition qui a en plus le défaut de bien montrer que la série n’avance pas.
Bref, une intrigue pas préparée, un surgissement d’ennemi assez mou, une énième confrontation de héros contre héros, une caractérisation inexistante et des doubles pages inutiles dévolues à de belles images sans signification, voilà un résumé parfait de l’insipidité des Vengeurs de Bendis, qui ont connu quelques spasmes de qualité mais qui, dans l’ensemble des sept dernières années, constituent un énorme ventre mou. Hélas très populaire, ce que je ne m’explique pas.
Je relisais (un peu en diagonale, certes, mais je vais m’y plonger avec gourmandise bientôt) les Action Comics de Marv Wolfman. Qu’ils soient dessinés par Curt Swan, Joe Staton ou Gil Kane, ils sont d’une très grande qualité. Et une chose remarquable chez Wolfman, c’est qu’il annonce les vilains assez vite (en l’occurrence, Brainiac ou Vandal Savage). Il ne construit pas de suspense artificiel sur l’éventualité d’une révélation forte en fin d’intrigue ou au détour d’un cliffhanger. Au contraire, on sait qui il affronte assez tôt, et la tension du récit tient à la fois à la révélation du plan machiavélique du méchant, et à la démonstration de l’ingéniosité et du courage du héros pour s’en sortir. Ainsi, dans ses Daredevil, on sait très tôt que le Jester était derrière tout cela. On peut dire la même chose de Stern : dans ses Spectacular Spider-Man, le plan du Beetle est exposé assez vite, c’est son ampleur et son côté implacable qui comptent ; ou dans ses Avengers, l’attaque des Masters of Evil est expliquée en amont, mais le suspense et les conséquences sont les éléments importants du récit, pas de creux effets de manche.
Bendis, c’est tout le contraire, hélas. Une promesse intéressante, aucun suspense jusqu’à la fin, une résolution plate, qui rebondit sur une nouvelle promesse, sans doute toute aussi creuse que la précédente. Pour accompagner cela, Bendis tente de rompre avec des systèmes de narration éprouvés. Par exemple, la caractérisation des vilains, il la place à la fin, sous forme d’interrogatoire. Mais cela ne fonctionne pas, ils sont vaincus et sanguinolents, et le lecteur vient de passer quelques soixante pages à les voir s’agiter comme des pantins sans voix. Ils n’ont pas d’existence, et les quelques paroles qu’ils professent ne témoignent que d’une choses : les personnages ne correspondent pas à ce que l’on sait d’eux, et Bendis une fois de plus n’en fait qu’à sa tête, se moquant bien de toute continuité et du travail de ses collègues.
Alors il est sans doute louable que Bendis tente des effets de style, afin de ne pas raconter comme tout le monde a raconté jusque-là. Cependant, son écriture, consternante pour toutes les raisons énoncées plus haut, ne grandit ni les intrigues ni les personnages. Les héros sont complètement détachés de toute réalité et entièrement sur la défensive. Ils ne savent pas réagir, ni se comporter en équipiers. Les vilains sont réduits à faire de la figuration sans motivation. Et comme toujours chez Bendis, ils sont tournés en ridicule, ils deviennent pathétiques.
C’est triste.
Alors oui, faire du style, c’est bien. Proposer des nouvelles manières d’aborder des personnages, c’est bien. Mais il faut en tirer quelque chose, une matière quelconque. Pas une enfilade de planches molles.
Quand c’est pas cassé, faut pas réparer.
Jim[/quote]
Bref, tu n’a pas aimé.