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Au cœur de la série Justice League of America, une tradition bien établie a institué un rendez-vous annuel entre la Ligue de Justice et son homologue la Société de Justice. En cette époque dite « pré-Crisis », donc avec 1986, les deux groupes existent sur deux mondes séparés, le premier vivant sur Terre-1 et le second sur Terre-2 (même si, dans l’ordre chronologique, la Société est apparue avant la Ligue…).

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Les rencontres occasionnées lors de ces réunions ont servi à l’éditeur DC de vitrines pour différents concepts (familiariser les lecteurs avec le principe des Terres alternatives, notamment…) et de nombreux personnages (d’autant que DC rachètent les droits de héros provenant d’autres maisons d’édition, étoffant ainsi son catalogue mais choisissant de placer lesdits protagonistes sur d’autres Terres alternatives). C’est un moyen de présenter tous ces justiciers costumés aux lecteurs, d’en faire la promotion, voire de soutenir des séries nouvelles. C’est aussi un bon moyen de rendre tout ce fatras encore plus complexe qu’il ne l’est, mais ceci est une autre histoire.

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En 1977, le scénariste de Justice League of America est Steve Englehart, dont je relis en ce moment la prestation, ce qui vous vaut, à intervalle irrégulier, ces billets pétillants et plein d’esprit que vous appréciez tant. Mais les lecteurs de la série de TPB Crisis on Multiple Earths, qui compilent les réunions déjà mentionnées plus haut, auront sans doute remarqué que les épisodes d’Englehart ne sont pas cités. Et pour cause : le diptyque mettant en scène les deux groupes en 1977 est confié au tandem Martin Pasko et Paul Levitz, opérant une coupure dans la prestation d’Englehart.

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Disons-le tout de suite, le diptyque, agréable à lire mais très bavard (mais quel comic de super-héros de l’époque n’était pas bavard ?), présente tous les défauts de la production classique du DC des années 1970.

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L’intrigue débute alors que la Ligue et la Société discute des dernières missions. La présence du Psycho-Pirate et une petite note de bas de case relie cet épisode à la série All-Star Comics, qui met en scène la Société de Justice sur Terre-2. La présence des héros de Terre-2 sur le satellite de leurs homologues de Terre-1 reste inexpliquée, mais bon. Admettons. Donc ça papote, surtout pour diffuser des informations qui devraient être bien connues des fans (passons sur la caractérisation à la truelle, avec Superman - de Terre-1 - qui cède facilement aux sous-entendus de Power Girl - de Terre-2 - qui lui fait un rentre-dedans éhonté). Et puis une main géante, d’origine magique comme le précise Doctor Fate, surgit, visiblement à la recherche de quelque chose. À défaut, l’organe préhensile se saisit des héros qui traînent dans le coin et zou, les remporte chez lui… au 30e siècle.

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Là-dessus, les héros, enfermés dans des bulles magiques, découvrent Mordru, le maléfique sorcier tout-puissant (enfin, c’est ce qu’on nous raconte depuis des années) du futur. Superman fait les présentations, ce qui est logique, puisqu’il connaît le lascar pour l’avoir croisé quand il était Superboy et qu’il faisait ses stages d’entreprise au sein de la Légion des Super-Héros : dans l’esprit de Pasko et Levitz, la caractérisation sert à ça, passer de l’information.

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Car les voilà, les justiciers du lointain avenir, ce qui fait trois groupes à animer dans deux épisodes (de trente pages, certes, mais quand même). S’ensuit une longue explication tarabiscotée comme les scénaristes DC les adoraient, et qui fleure bon l’improvisation page après page : Mordru explique qu’il est à la recherche de trois artefacts laissés sur Terre par les Three Demons (ces fameux farfadets démoniaques que Felix Faust avait voulu invoquer dans le passé lointain de la série).

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L’épisode s’emplit donc de longues pages de flash-backs où Mordru explique qu’il est tout-puissant mais qu’il est fatigué (bon, c’est son corps astral qui apparaît, car son corps physique réside encore dans sa prison sous terre, donc il est diminué, d’accord d’accord…), qu’il choisit avec soin ses émissaires mais qu’ils échouent, qu’il sait quand les artefacts sont éjectés du satellite de la Ligue mais qu’il préfère tenter de les chercher quand ils y sont encore… Du grand n’importe quoi, auquel les scénaristes rajoutent un « sort de suggestion » lancé par Doctor Fate qui conduit Mordru à missionner les héros pour sa pomme. Sérieux ?

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Et donc, le reste de l’épisode est composé de chapitres où des petits groupes partent en mission afin d’aider les Légionnaires que Mordru avaient envoyés récupérer les artefacts. Bref, retour à une construction qui avait démontré sa pertinence quinze ans plus tôt, en donnant la vedette tour à tour aux personnages afin que les lecteurs apprennent à les connaître et savourent l’exploration de leurs pouvoirs. Englehart s’est plié lui aussi à l’exercice, mais il en a tiré deux profits : d’une part il isole les personnages et les confronte à des problèmes personnels (Atom avec Willow, par exemple), et d’autre part il divise l’information, afin d’entretenir le mystère.

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Rien de ceci ici : on est simplement dans une structure de quête, avec un but à atteindre, des objets à retrouver, un défi à relever. Au mieux a-t-on droit à un échange entre Green Arrow et Black Canary, qui rappelle que celle-ci vient de Terre-2 et reste attachée à son ancienne équipe. C’est maigre.

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À la fin de l’épisode, les héros reviennent avec leurs amis et les objets, et parviennent à obtenir la libération des otages. Mais Mordru les balaie et active les artefacts afin d’invoquer les Three Demons, qui se retournent contre lui. Bien joué, barbu.

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Le deuxième volet propose de battre des records : les Three Demons ne s’entendent plus, l’un d’eux en a marre de l’humanité, l’autre désire détruire la Terre et le troisième ne souhaite que la richesse. Se rendant compte qu’aucun ne l’emportera, ils décident d’organiser un combat entre champions afin de déterminer quelle vision sera exaucée. Chacun des trois démons prend sous son contrôle magico-mental un groupe, puis c’est la… basttoooooooon !

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Dans le même temps, certains Légionnaires, qui ont échappé au contrôle des démons, tentent de réunir l’esprit de Mordru (séparé de son corps, donc plus faible) avec son enveloppe corporelle, et s’opposent à des Justiciers. Re-baston.

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Alors c’est très sympa, c’est toujours rigolo, les bastons entre héros, surtout à l’époque où ça se résume bien souvent à des effets pyrotechniques et des coups de poing en pleines pages. Mais ça vole pas haut. Reposant sur un principe plus crétin que la première partie, ce deuxième volet est plus rigolo, sans doute parce qu’il est bien moins encombré de flash-backs et d’explications capillotractées.

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Mais au final, les deux scénaristes n’auront livré qu’une intrigue tordue à souhait (nécessitant encore des explications en fin d’épisode, c’est dire), pleine d’action mais où les personnages demeurent somme toute assez creux. Un interlude qui n’apporte rien, au milieu d’une période qui a bien plus de choses intéressantes à proposer.

Jim