DÔMU - RÊVES D'ENFANTS (Katsuhiro Ôtomo)

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Je viens de relire, pour la énième fois, Dômu, et c’est toujours un régal. Le récit a été traduit d’avoir en trois albums grands formats dans les années 1990, avant d’avoir le droit à une intégrale, en 1997, en 2003 et en 2008. J’ai l’édition de 2003, pour ma part, qui présente quelques petits soucis de numérisation (clarté du trait, interférences sur deux trois pages), dans la collection « Styx ». Sa couverture, étrangement, n’est pas la plus représentative du lot.

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L’action se déroule dans un quartier tranquille composé de barres d’immeubles. Enfin, pas si tranquille que ça, puisque la police y enquête sur des morts suspectes, sans doute des accidents, mais dont la fréquence éveille l’inquiétude. Le récit est donc, dans un premier temps, construit comme une intrigue policière, avec les enquêtes de voisinage, les réunions au commissariat, l’accumulation des preuves et des témoignages… et aussi l’impact que cette enquête infructueuse peut avoir sur les policiers.

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Parallèlement, on suit quelques personnages de ce grand ensemble, vaste aréopage de paumés divers qui permettent à Otomo, en creux, de dresser un portrait de la société urbaine moderne, avec ses dépressifs, ses chômeurs, ses alcooliques, ses désespérés. Au-delà de ce commentaire social, l’auteur nous balade dans ces perspectives de béton et met en scène des séquences de hantise diverses, nous faisant très vite comprendre que le quartier sert de terrain de jeu à un petit vieux sadique aux pouvoirs mentaux indéfinis mais visiblement immenses. Dans la foulée, il nous présente une petite fille qui semble être la seule à comprendre ce que fait le vieillard et à lui opposer une forme de résistante. C’est bougrement habile, puisque, outre le duel qui s’installe, articulé autour d’une lutte des âges et d’une lutte des sexes, Otomo donne à son lecteur plus d’informations que n’en trouvent les policiers. Cette rupture permet de faire glisser plus facilement le récit policier dans une ambiance fantastique, d’abord lorgnant vers les récits de fantômes et de possession pour finalement exploser en film catastrophe.

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Otomo n’hésite pas à balancer quelques scènes chocs, dans une décompression assez épatante où il insiste sur la suspension du temps, comme si l’horreur était vue au ralenti : l’impact émotionnel sur les personnages et sur le lecteur est évident.

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Parallèlement, il développe un sens de l’ellipse assez renversant. Là aussi, c’est parfaitement maîtrisé. Il parvient à sauter des causes aux conséquences avec une minutie incomparable, et à rendre l’intrigue plus oppressante encore en lui donnant un caractère inéluctable : les policiers sont impuissants, les habitants sont des spectateurs inquiets (ou manipulés), l’angoisse monte, laissant l’auteur en mesure de passer sous silence certaines scènes ou d’insister sur certaines autres. Magistral.

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En plus de cela, Otomo étale une science du cadrage incroyable. On est en 1983, Otomo a vingt-neuf ans, et il a une narration impeccable. Il le confirmera l’année suivante sur Akira, mais ici déjà, il maîtrise parfaitement l’art de centrer une case tout en glissant des détails qui viennent casser la symétrie. De même, sa gestion des champs et contre-champs est irréprochable. L’art de la mise en scène atteint des niveaux incroyables. Une approche narrative qui influencera pas mal de monde, parfois pour le meilleur (je pense notamment à Frank Quitely).

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Évitant tout manichéisme (la petite fille, si elle est visiblement du bon côté, ne fait pas que des choses bien, mais on peut mettre cela sur le compte de sa jeunesse ou de la panique), Otomo parvient à donner beaucoup d’émotion à son récit. Qui plus est, malgré la dernière séquence (qui reste assez pingre en matière d’explication), le récit n’est pas réellement résolutif, et laisse le lecteur réfléchir à la portée de sa conclusion.
Magnifique.

Jim

Je l’ai découvert via la première version, en trois albums… Une vraie claque !
J’avais une quinzaine d’années, et ce titre m’a marqué.
J’ai la version en trois volumes et, comme toi, l’édition de 2003.

C’est vrai qu’elle est un peu hors-sujet.

Je crois que je préfère Dômu à Akira… Et je conseille régulièrement aux gens d’essayer de le trouver… Malheureusement, il n’y a plus d’édition en cours de commercialisation.

Tori.

Je l’ai lu la première fois dans la version en trois tomes, mais je crois que je l’ai emprunté à un pote (je ne sais pas qui…). J’ai mis longtemps à le trouver.

Je sais pas trop. Dômu, c’est une ou deux heures de lecture, tranquille. Akira, c’est plusieurs après-midi d’été, sur la chaise longue au soleil (il y a des récits que je relis comme ça : je me prends le TPB, pour Dark Knight ou Watchmen ou Ronin, ou la pile de bouquin pour Akira, et je profite d’une belle journée d’été… ou de plusieurs journées !).
Pour les deux, j’aime bien la capacité d’Otomo à poser un cadre et à en sortir.
Et puis bon, dans Akira, y a tellement, mais tellement de scène que j’adore !!!

Jim

A tout hasard, vous connaîtriez la différence entre les éditions de 2003 et 2008 ?
En médiathèque il m’est plus simple de trouver celle de 2003, mais s’il existe des améliorations notables sur celle de 2008, je me débrouillerai autrement. Mais je préfère d’abord demander aux experts.
Merci à vous.

L’année.

Ah c’est tout ?
Ou une il s’agit d’une jolie pirouette qui ne m’aide pas des masses. :wink:

Une taquinerie !

Hé hé, m’en doutais. Commence un peu à connaître le bonhomme…

Le prix.

Non, plus sérieusement, il me semble que l’édition de 2008 est en sens de lecture japonais, contrairement aux éditions précédentes.

Tori.

Merci Tori.
Et merci Soyouz pour le sourire.

Old Geek Man nous parle de Domu :

Jim

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