Les deux grandes parties suivantes, qui tournent autour des pulsions orientalistes traversant le monde du Docteur Strange, contiennent le même type de déception que ce qu’on a constaté précédemment.
Déjà, les deux parties auraient dû être inversées. En effet, Charline Lambert débute le chapitre intitulé « Karma is a Bitch » en reliant d’une manière causale l’hubris (notion grecque) au karma, qui serait selon elle sa sanction, la marque de la punition face à l’orgueil. Pourquoi pas, mais quitte à associer ainsi deux concepts très éloignés par le temps et la géographie, autant faire un sort définitif à cet orientalisme de bazar qui est utilisé dans les récits. Elle ne le fera qu’au chapitre suivant, en se dissimulant derrière des citations et l’idée d’un syncrétisme narratif, mot savant pour décrire ici un fourre-tout bien utile aux scénaristes. Plus que syncrétisme, il aurait fallu dire clairement qu’on a affaire ici à une boîte à outils qui sont autant de raccourcis et de clichés, et les reconnaître comme tels. Mais au lieu de ça, on a droit à des circonvolutions un brin empêtrées.
La place donnée d’ailleurs à l’orientalisme est un peu encombrante, tant les connaisseurs de la série savent que les auteurs successifs ont rajouté des couches et des couches (Roy Thomas a mis une bonne louche de Lovecraft dans la tambouille, par exemple), qui viennent tempérer le goût exotique que l’autrice met en avant.
L’effet, au final, c’est de tout mettre à même hauteur, au même niveau de signification et d’importance. J’en ai parlé sur les origines du héros, mais c’est valable un peu pour tout, par exemple pour la place de Wong (et si elle avait inclus, par exemple, les épisodes de Jason Aaron ou de Brian K. Vaughan, elle aurait pu voir l’évolution des choses). Elle ne se place pas dans une perspective historique, donc tout est dans tout et inversement.
Dans le cas de Doctor Strange et de ce fameux syncrétisme, c’est un brin fâcheux. Parce que Steve Ditko, à part la domiciliation tibétaine des origines du Sorcier Suprême, a créé un panthéon et une cosmogonie d’un genre nouveau. Là, pour le coup, son approche est peut-être comparable à celle de Lovecraft, en ce sens que tous deux proposent une vision du monde indépendante des mythologies, des symboliques classiques, freudienne, bachelardienne, jungienne ou autre, ou de la Bible. Rare sont les auteurs qui ont su marcher dans les pas de Ditko (je pense à Roger Stern, surtout, là où Claremont pioche dans les mythologies, où Aaron plonge dans la psychanalyse…). Le syncrétisme que décrit Charline Lambert arrive plus tard, mais s’il s’enracine si bien, c’est peut-être que le terreau est fertile, à cause de son caractère novateur, original. Et ça, ce n’est dit nulle part.
Jim