Dr WATSON t.1-2 (Stéphane Betbeder / Darko Perovic)

Je n’ai pas lu ce diptyque, mais ton avis me refroidit un brin.

Du lettrage, tu veux dire ?

Jim

Ah oui, pardon.
Les bondieuseries du samedi, ça ne me réussit pas.

Par contre, à l’occasion, essaie de le lire. J’aimerais bien échanger sur ce titre (ou si d’autres l’ont lu, je suis preneur), parce que je ne sais pas si je suis passé à côté de quelque chose ou si …

Bon, alors, j’ai re-regardé vite fait le lettrage … et en fait, ce n’est pas tout à fait. le lettrage est identique d’un album à l’autre, c’est qu’il n’est pas forcément le cas d’une case à l’autre pour ce qui est de la gestion de l’espace des bulles et des lettres à l’intérieur (je ne sais pas comment on appelle ça)

L’encombrement, souvent.

En gros, ce que tu veux dire, c’est que parfois les bulles serrent le bloc de texte, et parfois, au contraire, elles génèrent une grosse marge autour ?

Le lettrage (informatique, je le soupçonne) en franco-belge est en général une catastrophe. Là, dans l’autre diptyque de Betbeder, Le Retour de Dorian Gray, le studio Charon a fait des bulles en forme de ballon de rugby ou de dirigeable, et c’est affligeant. En plus, c’est parfois mal placé, et plutôt que de déplacer une bulle afin de dégager la queue de bulle de celle qui précède, ils ont préféré faire chevaucher les deux.
Le lettrage est souvent le parent pauvre de la BD, confié soit à des membres de l’équipe (certains savent le faire, mais ils sont rares), soit à des studios à pas cher qui font un boulot à peine digne d’un premier jet. Je trouve ça navrant.

Jim

Voilà, c’est ça.

J’ai cru voir un Cordurié à ce rôle, dans Sherlock …

Je n’ai pas vérifié partout, mais j’ai l’impression que Sylvain assure ce rôle sur tout le Sherlockverse. Et sans doute ailleurs aussi (je n’ai pas l’album sous les yeux, mais j’ai l’impression que c’est lui qui a lettré son tome d’Oracle).
En y regardant de près, je pense que pour beaucoup d’albums, il crée ses bulles lui-même. Je ne parierai pas, mais j’en ai bien l’impression. Si c’est bien le cas, il « triche » un brin puisqu’il utilise des bulles rectangles, ce qui simplifie le boulot à plusieurs niveaux. Personnellement, j’ai toujours préféré les bulles rondes, mais c’est lié à ma culture comics. Indépendamment de ça, Sylvain cale assez bien ses textes dans les bulles. Y a quelques césures par-ci par-là que je me serais arrangé pour ne pas faire, soit en faisant des retours à la ligne à d’autres endroits, soit (si c’est possible) en redimensionnant la bulle. Mais pour quelqu’un dont ce n’est pas le métier, je trouve que la qualité est là, surtout quand on considère le nombre d’albums dont il se charge.
Mais là encore, je dirais que le boulot d’un éditeur, ce serait justement d’alléger celui du scénariste en ouvrant une ligne budgétaire et en faisant bosser un studio de lettrage digne de ce nom. Ça gagnerait, à mon sens, en qualité, en souplesse de travail, en confort pour les autres intervenants.

Jim

Alors, oui, je lettre tous les tomes sur lesquels je bosse.
Pour plusieurs raisons.

La première, c’est que ça me permet de caler les bulles dès l’étape du board.
Je m’assure qu’elles composent au mieux avec le dessin.

Ensuite, je peux sentir la manière dont les dialogues et le dessin se répondent, là aussi dès l’étape du board. Parfois, ce que l’on écrit se révèle moins pertinent sur la planche. C’est une question de musicalité. Il arrive aussi que les textes soient tout simplement mauvais. Bref, je checke.

Enfin, gérer et finaliser le lettrage me permet de peaufiner les dialogues, au fil des relectures et corrections. Avec une sécurité : les bulles sont réalisées sur un calque supérieur. On peut donc modifier un texte ou une bulle sans que le dessin ou la couleur soient impactés.
C’est ma décision, soutenue par mon éditeur. Il n’y a pas un studio de lettrage au monde qui m’apporterait plus de liberté ou de justesse dans la gestion du taff.
En ce moment, Sandrine s’occupe de l’étape de la finalisation parce que, justement, j’ai beaucoup de taff.

J’ajoute que les boards eux-mêmes font l’objet d’un gros suivi de ma part. C’est vraiment une étape cruciale, pour que le dessinateur soit dans les meilleurs conditions à l’étape du crayonné puis de l’encrage. Tout ce qui relève de la narration, c’est réglé.
Là encore, c’est mon choix. J’ai cette compétence. Je m’en sers. Ça m’est particulièrement utile quand je suis associé à de jeunes auteurs ou à des auteurs étrangers peu habitués aux codes du franco-belge. Mais même avec des auteurs capés, ça aide.

Même si je suis loijn de votre monde, je comprends totalement ce fonctionnement.

Quelle drôle d’idée !

Ce type est dingue.
Mais le résultat est là (même si, à mon goût tout personnel, j’aurais préféré des bulles ovales, mais c’est pas si simple à faire).

J’en conclus, peut-être hâtivement, que tu bosses sous Photoshop ?
Tu n’as pas essayé les logiciels de montage, genre InDesign ?

Jim

J’ai fait des bulles ovales sur Androïdes. Des ovales parfaits sous Photoshop. Ça fonctionnait bien pour de la SF. Mais sur de la fantasy ou du victorien, ça me parle moins.

Non.
Quand j’ai arrêté la P.A.O., QuarkXPress régnait encore en maître.
InDesign, je n’ai pas eu l’occasion d’y toucher.
Et je manque de temps pour explorer ce genre de voie.
Je fais avec les outils que je maîtrise.

Demande-lui comment sont ses bulles dans Grands Anciens (que je suis en train de relire et lire)

Je vais zieuter ça.

J’aime bien le principe d’InDesign. Je fais le lettrage sur mes dossiers de présentation avec ce logiciel (bon, pas sur mes albums, je n’ai pas cette prétention).
Le principe est basique : trois « calques », ou « couches », ou chaiplukel nom ils leurs donnent, un pour l’image, un pour les bulles et un pour les blocs de textes. Ce qui fait qu’on peut tout gérer séparément (moi qui suis maladroit comme deux pieds gauches, je verrouille les couches sur lesquelles je ne travaille pas, ça fait de la manip en plus, mais des corrections et des fâcheries en moins), et les fichiers demeurent très léger.

C’est clair que ça demande du temps pour explorer les possibilités. Le truc que j’ai du mal à maîtriser, c’est la forme des bulles. C’est effectivement très délicat de donner aux bulles ovales une belle allure sans que cela ressemble à des dirigeables. Je trouve que Pat Brosseau crée de très agréables formes de bulles, mais pour ça, il faut utiliser une fonction (dont le nom m’échappe tout de suite) qui permet d’altérer la courbure des phylactères. Et ça, je n’y arrive pas. Je connais des potes qui font ça très bien, et d’ailleurs je songe à recourir aux services de l’un d’eux pour l’un de mes projets (mais ce projet connaît d’autres soucis qui font passer ce lettrage en second pour l’instant), parce que moi, je n’y arrive pas.
Je suis assez étonné que les éditeurs ne se rendent pas compte de l’importance d’un bon lettrage. J’en connais très peu qui mettent le sujet au cœur des discussions au début d’un projet. Les gens de Comix Buro font partie de ceux-là. Après, il y a pas mal d’auteurs qui n’ont pas la sagesse de Sylvain, et pour qui les bulles sont des trucs à placer vaguement en haut de l’image, et tant pis si ça coince. Des travaux esthétiques aussi aboutis que ceux d’Alex Alice sur Siegfried ou de Mauricet sur Une bien belle nuance de rouge, ce sont des exceptions.

Jim

Et en manga (en VF), c’est pire…
Déjà, c’est pratiquement toujours la même police qui est utilisée… Ensuite, je sais bien qu’ils doivent souvent composer avec des bulles verticales pour y caler un texte horizontal (les anglophones ont un peu moins le problème : ils utilisent plus de mots courts), mais voir un mot coupé en trois ou quatre morceaux, c’est moche !
Bon, la forme des bulles, en revanche, ne dépend pas de l’éditeur français (sauf quelques rares cas). Et là, il y a de tout.

Tori.

Du temps de Semic (donc ça remonte, certes), j’ai été amené à travailler, de près ou de loin, sur des VF de récits de super-héros par des mangakas (Batman, Spawn…) et j’ai découvert que les éditeurs nippons nous envoyaient, le plus souvent, de simples photocopies. De qualité supérieure, mais tout de même. J’ai eu l’occasion de discuter avec des éditeurs de mangas qui me disait que parfois, c’était même pire, ils envoyaient des exemplaires, que les éditeurs devaient faire démembrer et scanner. Au début des années 2000, de la part d’un pays à la pointe de la technologie, voilà qui m’étonnait. La seule explication (à peine avouée, c’est davantage une réflexion de ma part à l’époque que la confirmation par un professionnel), c’est qu’ils cherchaient à compliquer la tâche des gens afin d’éviter les copies, mais cette forme de protectionnisme paranoïaque me semblait quand même difficile à croire. Et quand il nous est arrivé de recevoir des fichiers informatiques, ils étaient aplatis, ce qui nous épargnait l’épreuve du scann, mais pas les gesticulations de retouches.
Alors je ne sais pas comment c’est aujourd’hui, j’imagine et j’espère que ça s’est amélioré question logistique, mais je demeure convaincu que la tâche des éditeurs français de mangas n’est pas simple.
Après, je sais aussi, pour l’avoir observé, que beaucoup d’éditeurs font appel à des studios qui pratiquent des prix très bas, mais ces prix par exemple n’incluent pas les retouches de bulles. Car soyons sérieux, il demeure possible de retoucher une bulle afin d’en faciliter la lecture, le « respect de l’œuvre originale » est souvent un prétexte avancé qui a bon dos, faut reconnaître. Donc l’un dans l’autre, entre l’éditeur d’origine qui ne fournit pas un matos exploitable et l’éditeur d’arrivée qui fait des économies, on peut aisément imaginer que le résultat n’est pas à la hauteur des attentes.
Là encore, mon expérience dans le domaine date d’il y a quinze ans au bas mot : j’ose espérer que la situation s’est améliorée, au moins pour le premier point.

Jim

Ça s’est amélioré : ils reçoivent désormais des fichiers informatiques.
En revanche, je crois qu’il s’agit souvent de fichiers aplatis (ou de fichiers dont seul le texte est séparé).
Et dans d’autres cas, ils ont la chance que l’auteur travaille en numérique et fournisse à son éditeur japonais (qui les fournit parfois à l’éditeur étranger) des fichiers en plusieurs calques, permettant de retoucher même les onomatopées sans retoucher l’image (bon, après, il faut que la retouche soit bien faite).

C’est vrai, mais la retouche peut aussi se heurter à la volonté des Japonais (qui savent être très rigides, parfois…).
Bon, le plus souvent, il doit s’agir, comme tu l’indiques, d’une mesure d’économie… Mais elle est dommageable au confort de lecture.

Tori.

Je l’ai entendu dire, aussi.

Fatalement, si on paie moins cher, on a un moins bon boulot.

Jim