FEUX CROISES (Edward Dmytryk)

REALISATEUR

Edward Dmytryk

SCENARISTE

John Paxton, d’après le roman de Richard Brooks

DISTRIBUTION

Robert Young, Robert Mitchum, Robert Ryan, Gloria Grahame, Sam Levene, Lex Barker…

INFOS

Long métrage américain
Genre : drame/thriller
Titre original : Crossfire
Année de production : 1947

En 1947, année de sortie de Feux croisés, dix personnalités du cinéma, réalisateurs, scénaristes et producteurs, furent convoqués par la Commission sur les Activités Anti-Américaines pour répondre des accusations sur leur supposée activité communiste. Parmi ces « Dix d’Hollywood », tels que l’Histoire viendrait à les appeler, les plus connus étaient le romancier et scénariste Dalton Trumbo (Vacances Romaines, Exodus, Spartacus…) et le réalisateur Edward Dmytryk.
À cette époque, Edward Dmytryk était principalement connu pour le film Les Enfants d’Hitler, un réquisitoire contre le fascisme. Mais c’est son adhésion au parti communiste en 1944 qui attira l’attention de la Commission sur lui…ainsi que les choix des sujets qu’il mettait en scène.

En 1946, il réalise Jusqu’à la fin des temps, un drame sur la réinsertion difficile de trois marines dans la vie civile. Il y dirigeait déjà Robert Mitchum, qu’il retrouva l’année suivante dans Feux croisés, film noir qui traite de l’antisémitisme au sein de l’armée américaine…un changement par rapport au roman de Richard Brooks dont est inspiré le long métrage, puisque c’est un soldat homosexuel qui y était battu à mort. L’homosexualité était encore un sujet tabou dans les années 40 mais Edward Dmytryk a su jouer sur l’ambiguïté de certaines scènes pour évoquer, non sans une certaine ironie, l’histoire à l’origine de Feux Croisés.

crossfire_robert_mitchum

Feux Croisés est l’une des toutes premières oeuvres cinématographiques à avoir traité de l’antisémitisme et du syndrome post-traumatique des militaires revenus du front. Mais contrairement au Mur Invisible de Elia Kazan, produit par la toute-puissante 20th Century Fox, celui d’Edward Dmytryk, à la croisée du film noir et du drame social, est un tout petit budget d’à peine 250.000 dollars distribué par la RKO. Le réalisateur a tiré le meilleur parti de ses décors de studio assez restreints, notamment grâce au superbe travail du directeur de la photographie J. Roy Hunt, dont la technique du low-key lightning, qui désigne une prise de vue volontairement sous-exposée et éclairée par une seule source de lumière, est à l’origine de plans à l’atmosphère subtilement travaillée, soulignant les contrastes des relations entre les personnages.

Dès la première scène, dans laquelle le spectateur assiste à un « combat de silhouettes » qui fait un bon usage des ombres et des lumières pour entretenir son suspense, Edward Dmytryk utilise habilement les recettes du film noir. Mais l’enquête deviendra presque annexe, car l’identité du tueur ne fait vite aucun doute, pour se concentrer sur l’étude de caractères…ce qui donne une deuxième moitié très intéressante mais tout de même un peu trop verbeuse.

L’interprétation des « trois Robert » est excellente : Robert Young (le futur Dr Marcus Welby de la télévision) en flic fatigué, Robert Mitchum (qui venait d’être nommé à l’Oscar pour Les Forcats de la Gloire) en militaire un brin désabusé (le genre de composition dans lequel il excellait) et un intense Robert Ryan (Nous avons gagné ce soir).
Moins connu, George Cooper, qui campe Mitchell, le principal accusé du meurtre qui ouvre le récit, retranscrit bien le désarroi de son personnage avec son regard hanté et son apparence fiévreuse.

Après la sortie de Feux Croisés, qui fut l’un des succès de l’année 1947, Edward Dmytryk fut condamné par la Commission des Activités Anti-Américaines et s’exila en Angleterre pendant deux ans. Il finit tout de même par rentrer aux Etats-Unis pour purger sa peine. Cédant à la pression, il dénoncera certains de ses camarades, dont son ami Adrian Scott, co-producteur de Feux Croisés, ce qui ne lui sera jamais totalement pardonné.
Il tournera ensuite certains de ses meilleurs films, comme les westerns La Lance Brisée et L’Homme aux colts d’or ainsi que le film d’aventure Ouragan sur le Caine avec Humphrey Bogart, peuplés de magnifiques personnages ambivalents, avant de prendre sa retraite dans les années 70 pour devenir professeur de cinéma.