Je suis en train de lire le premier tome, et pour faire court, je déteste.
Déjà, ce récit (pour peu que je puisse en juger, et comme je vais sans doute arrêter la lecture ici, je vais rester dans un suspense des plus supportables) est un décalque à peine voilé de Kingdom Come. À un point que c’en est indécent : même élément déclencheur, même clivage entre groupe, même stratégie (la prison, les exécutions, les ultimatums…). C’est quand même un peu beaucoup. De plus, l’ensemble emprunte à d’autres sagas : la conflit entre Wonder Woman et Aquaman renvoie à Flashpoint, qui le précède, je crois. Bref, pas un kopeck d’originalité.
Ensuite, c’est globalement laid. Pas super bien dessiné, avec des décors à peine tracés, des personnages pas expressifs et bien raides, bref du post Image d’énième génération. Pouah.
Enfin la caractérisation des personnages est aberrante. Je crois comprendre que l’enjeu, c’est de présenter des personnages qui correspondent au modèle de base, de créer des événements perturbateurs et de voir comment tout cela glisse dans une évolution qui les mette en porte-à-faux, qui les éclaire sous un jour nouveau. Pour le lecteur qui ne connaît pas (qui ne connaît que le jeu, par exemple), pas de souci, mais le vieux lecteur, lui, il sent bien que cette partie du contrat n’est pas tellement respectée. Le scénario choisit de montrer le basculement (là où la roublardise de Waid et Ross dans Kingdom Come les a menés à passer par un flash-back), mais la contrainte de la pagination (même si c’est un peu décompressé) fait qu’il faut aller vite. Et du coup, les personnages réagissent de manière complètement contradictoire : Superman n’éprouve aucun ressentiment, aucune honte, aucune culpabilité ; Batman est un pleurnichard ; Wonder Woman est une guerrière sanguinaire ; Damian régresse en brute épaisse ; Alfred se met à boire. Ils apparaissent au détour d’une page et font des trucs et disent des choses impossibles dans leur cas personnel. À ce compte, effectivement, il est facile de proposer une version alternative. Mais le vieux lecteur, ne reconnaissant pas ses héros, n’éprouve pour eux à peu près rien.
Après se pose la question du politique.
Les récits qui opposent des super-héros à d’autres super-héros doivent soutenir une thèse. Là encore, c’est le cas de Kingdom Come qui, sous couvert d’un conflit de génération (signe d’une réflexion sur l’évolution de la société), s’interroge sur la notion de pouvoir. Mais on peut également mettre le Squadron Supreme de Gruenwald dans la catégorie des conflits de super-héros constructifs. Sans la thèse, un récit jetant au museau les uns des autres les super-héros ne rend compte que d’une seule chose : la méfiance envers les élites.
Là-dessus, c’est tout à fait le propos d’Injustice, qui met en scène un pouvoir gouvernemental corrompu, paranoïaque et incompétent. Et en même temps assez effacé et absent du récit, si bien que les instances passent pour des pantins. On n’est pas loin d’un discours « tous pourris » qui sent bon les extrêmes.
Pire, le conflit qui se prépare à la fin du tome (ceux qui ont lu plus loin pourront me dire si je me trompe ou non) oppose le surhomme solaire et céleste à l’homme sans pouvoir mais déterminé. Peu importe au final qui compose leur troupe respective, c’est le surhomme contre l’homme. Le pouvoir corrompt, dit le Président à un moment, et ça s’applique donc à la communauté des super-héros. La dictature naît quand le pouvoir des physiquement forts s’exerce.
Outre que c’est un peu agaçant de ne voir en Superman qu’un despote potentiel (confirmant en filigrane les soupçons de fascisme que les exégètes en manque de sensation aimeraient lui coller au costume bleu), comme il est agaçant de lire des commentaires du genre « enfin Superman est intéressant » (comme si un héros ne pouvait être que perverti…), cette approche est également une négation du thème fondateur du super-héros.
À savoir que le super-héros est puissant, et qu’il est héroïque justement parce que l’exercice de cette puissance est bénéfique. Son héroïsme réside ici : je suis potentiellement un dictateur, mais justement, je n’abuse pas de mon pouvoir. Injustice oublie ça en caricaturant le surhomme et en donnant du grain à moudre à ses détracteurs. On peut même penser que ce genre d’approche fait plus de mal au genre que de bien (pas en termes financiers, puisque c’est une manne, mais en termes de perception).
Dans Injustice (comme dans Kingdom Come, même si justement ce dernier déployait une finesse d’écriture absente ici), on oppose le surhomme à l’homme, le pot de fer au pot de terre, pour tirer une morale facile et pas embêtante selon laquelle l’homme démuni mais déterminé se dressera face au pouvoir sans contrôle. Typiquement américain (n’oublions pas que l’Amérique dans son ADN politique voire dans sa constitution voit dans le peuple armé un rempart efficace et magnifié face à un gouvernement félon…), ce raisonnement en vient à des structures caricaturales : Superman méchant, Batman gentil. Superman émotif, Batman réfléchi. Superman violent, Batman stratège.
Le surhomme fatalement corrompu par l’exercice de sa puissance contre l’homme providentiel sorti des rangs de l’humanité, dépouillé de tout (sa famille, ses parents, son fils adoptif) si ce n’est de sa détermination. Là encore, signe d’une méfiance envers les élites que ne vient pas solutionner une quelconque forme d’anarchisme ou de collectivisme (l’homme providentiel devenant chef de guerre et donc parangon de pouvoir à son tour). Vision étriquée.
Cela revient à renverser la valence politique de ces deux personnages fondateurs. Superman, immigré adopté ayant fait du rêve américain sa ligne de conduite et du melting-pot sa forteresse de la foultitude, est évidemment l’expression d’une gauche américaine qui croit à la réussite en dépit des origines. A contrario, Batman, héritier des classes supérieures confit dans son sentiment d’abandon et de vengeance, est l’expression d’une vision conservatrice de la même société. Un gauchiste de la campagne et un réactionnaire de la ville. Avec Injustice, paf, c’est l’inverse : Superman devient la cheville ouvrière d’un « nouvel ordre mondial » post-reaganien, et Batman le défenseur des libertés individuelles et civiques (le droit à la manifestation et à la réunion, par exemple). Là encore, vision complètement caricaturale et déconnectée des origines du genre, le surhomme cessant d’être héroïque puisqu’il cesse d’utiliser sa puissance dans le cadre d’une morale altruiste.
Le cas de Wonder Woman est intéressant, au demeurant (d’autant que c’est un des rares personnages à disposer de quelques séquences un peu subtiles…). Une fois de plus, elle est présentée les armes à la main. C’est un truc assez récent, dans l’histoire du personnage, et sans doute sédimenté autour de la version de l’Amazone dans Kingdom Come, là encore. L’ambassadrice de paix qui devient une guerrière sans pitié, les auteurs ne retenant de l’Amazone que l’image de la virago belliqueuse. Moulton Marston s’en retournerait dans sa tombe, je crois.
Scénario rapide, décompressé et un peu creux (malgré de bonnes articulations de scènes), dessins globalement pourris, personnages montés à l’envers, dialectique basse du front et pour tout dire assez droitière, manque de subtilité, tout cela fait de ce premier tome une lecture assez pénible.
J’arrête là, pour ma part.
Jim