La brigade fut une réponse, jouant sur plusieurs niveaux de lecture, à la question : pourquoi n’y a t il pas de super héros français.ou plus généralement européen et plus généralement encore pourquoi n’y a t il pas de sf sur le vieux continent ?
Au moment de la Brigade, Lehman formule une réponse forte : les camps !
Les camps furent le crépuscule de l’imaginaire européen. Et sans imaginaire, pas de futur embrassé par la conscience, pas de surhomme volant capable de résister au ridicule de sa propre représentation.
Vous verrez en lisant l’ultime volume de cette saga que la réponse de Lehman, avec le temps, c’est légèrement déplacée, glissant de l’oubli et du temps à l’espace et à l’univers partagé. Intéressant.
Lecture jubilatoire, forte, emballante, la brigade condensait dans son final exceptionnel toutes les dimensions de lecture possibles dans le même temps que se défaisait sous les yeux du lecteur la métaphore qui les rendait possibles. Glaçant, terrible.
Votre serviteur a toujours eu une hypothèse alternative, plus ou moins compatible avec la thèse de Lehman et tirée d’une expérience personnelle :
Une affinité constatée dans la façon dont furent abordées par moi même les champ super héroique, politique et philosophique. Ce jeu de piste et de reconstitution de généalogie qui se répéta dans des champs pourtant diverses, était il le fait d’une inclination singulière ou le signe d’une unité possible bien que masquée de ces champs par delà leurs différences évidentes ?
La question trouva en forme de réponse dans un constat : la place de l’imaginaire diffère du tout au tout entre le monde anglo-saxon et le français.
L’unité, la fameuse, celle par exemple de l’univers partagé qui court en filigrane dans ce volume, l’unité, reprenons, celle de l’Amérique comme celle de la grande Bretagne, quoique de façon différente, sont, à la différence de la France, assurées par l’imaginaire.
Born in the usa, être américain, être sujet de la reine pour les anglais, mais passons, quel sens cela a t il ? Un sens mouvant emplis d’un imaginaire en recomposition hollywoodienne ou le cinéma, la fiction, les genres tiennent et tenurent dans la fabrique un rôle majeur.
Fort différente, la citoyenneté républicaine assura en France une unité qui teint à distance les imaginaires régionaux lorsqu’elle ne les combattit pas avec vigueur.
Ainsi bien avant la seconde guerre mondiale, le discours politique tenait ici la fonction que l’imaginaire assurait là bas. L’écrit tenait ici le rôle que l’image avait là bas, celui de permettre l’unité que la démocratie met ,de fait, à mal en se fondant sur la reconnaissance de désaccords irréductibles.
N’était ce pas à prendre en compte lorsque se posait la question de la réception et du rayonnement des genres entre ici et là bas et accessoirement, cela ne pouvait il expliquer pourquoi il fut si facile au jeune français que je fus de passer du super héros, à la politique en passant par la philo sans avoir l’impression de changer d’objet ?
Ce fut, pour moi, au delà du talent de compteur de Lehman, le charme irrésistible de la brigade que d’avoir su marier grande littérature, philosophie et politique aux portraits des super héros français, permettant ainsi de retrouver mon questionnement au coeur même de la bande dessinée.
Charme retrouvé dans la série masqué et curieusement et pas sans une certaine déception, charme absent de cet ultime volume.
A la lecture des notes, Lehman ne semble pas avoir été convaincu par la tentative de super héros français au présent que représente masqué et qu il appuya sur le situationnisme.
il est plus convaincu, nous dit il, de ce qu’il propose ici et à raison tant l ampleur narrative est sans commune mesure.
Dans ce volume, pas de jeu symbolique entre les registres politique, super héroïque et philosophique. Des mentions certes, avec beaucoup d’humour, il n’y a en jamais eu autant, mais servant ici à la caractérisation des persos et non à faire raisonner l’imaginaire à partir d un matériau issu de la vie culturelle.
Est ce que cette déception, toute personnelle, s’avérera éphémère ? Cédera t elle rapidement devant les qualités par ailleurs indéniables de l’opus ? C 'est possible tant le récit reste maîtrisé, les portraits réussis, et le plaisir de lecture présent.
Lehman estime t il finalement que le travail de singularisation des super héros français fut suffisamment accompli lors des sagas précédentes et qu’il n’a pas à y revenir, préférant ici s’atteler à une unification mondiale des imaginaires ?
C’est certainement, ce qu’il fait.
A moins que l’absence ici de la dimension symbolique corresponde à un amère constat de la part de Lehman : il n’y a plus en France, aujourd’hui, de vie culturelle suffisamment riche pour qu’elle soit intégrée à la fabrique d’un imaginaire super héroïque qui plus est absent, ou présent par intermittence, et à reconstruire ?
Il faut avouer qu’on s’interroge sur ce que Lehman aurait pu mobiliser cette fois ? Et aussi regrettable soit il, c’est un fait qu’à l’heure actuelle, il n’y a plus de vie culturelle en France.
Quoiqu’il en soit, ce tome participe largement à la reconstruction et à l’unification d’un imaginaire à la fois propre à la France et également mondialisé. La démonstration est faite : les super heros français, peuvent exister, existent au présent et doivent exister encore demain.