LA CIBLE (Peter Bogdanovich)

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REALISATEUR

Peter Bogdanovich

SCENARISTES

Peter Bogdanovich et Polly Platt (avec une participation non créditée de Samuel Fuller)

DISTRIBUTION

Boris Karloff, Tim O’Kelly, Nancy Hsueh, Peter Bogdanovich…

INFOS

Long métrage américain
Genre : drame/thriller
Titre original : Targets
Année de production : 1968

Réalisateur de La Dernière Séance (1971) et de Mask (1985)…entre autres choses car il est aussi scénariste, producteur, acteur et documentariste…Peter Bogdanovich fait partie de ces nombreux metteurs en scènes formés à « l’école Roger Corman ». Alors journaliste et critique de cinéma, Peter Bogdanovich apprend sur le tas en assurant plusieurs postes pendant la production du film de Hell’s Angels Les Anges Sauvages réalisé par le roi de la série B. Roger Corman a ensuite permis à Bogdanovich de faire ses premiers pas derrière la caméra avec deux propositions plutôt improbables.

La première a donné Voyage to the Planet of Prehistoric Women, un patchwork composé de scènes tirées d’un film de S.F. russe et d’une dizaine de minutes ajoutées par Bogdanovich (sous un pseudonyme) parce que le distributeur américain trouvait que cela manquait un peu trop de présence féminine. Plus intéressant fut le deuxième projet, même si son origine est du Corman pur jus.
Roger Corman avait en effet bouclé plusieurs films avec Boris Karloff et la légende de l’horreur lui devait encore deux jours sur son contrat. Parce que chez lui rien ne se perd, tout se recycle, Corman a demandé à Bogdanovich de diriger Karloff pendant ces deux jours et d’utiliser des chutes de montage de l’incohérent The Terror pour donner la moitié d’un nouveau long métrage. Peter Bogdanovich devait alors tourner pendant deux semaines avec d’autres acteurs pour compléter la durée de métrage restant.

Avec la collaboration de sa femme Polly Platt et l’aide non créditée de son ami Samuel Fuller (Shock Corridor), Peter Bogdanovich a trouvé la solution pour faire tenir l’ensemble. Une solution qui a tellement plu à Boris Karloff que le vieux monsieur à la santé déclinante (il est décédé l’année suivante à l’âge de 81 ans) a tenu à tourner trois jours supplémentaires pour presque rien pour compléter ses scènes. Le scénario suit deux intrigues en apparence déconnectées. Boris Karloff joue Byron Orlok (d’après le nom du vampire dans le Nosferatu de Murnau), une star de l’horreur fatiguée qui décide de se retirer après avoir visionné son dernier film (le film dans le film étant The Terror). Un rôle semi-autobiographique pour Karloff (en vrai historien du cinéma, Bogdanovich a eu la bonne idée d’utiliser des éléments de la carrière de Karloff pour construire le personnage), mais avec des différences tout de même car l’immortel interprète de Frankenstein était toujours heureux de tourner malgré son état diminué dans les dernières années de sa vie.

Mais Orlok en a assez. Il se trouve anachronique, les méchants qu’il joue palissant face aux monstres bien réels (il montre alors une coupure de journal sur un massacre commis par un jeune homme armé). Karloff livre une de ses meilleures compositions dans le rôle de cet homme usé mais toujours digne. Il y a de la tristesse dans cette évocation du temps qui passe, mais aussi quelques pointes d’humour bienvenues. Peter Bogdanovich s’est donné le rôle du jeune réalisateur qui tente de convaincre Orlok de jouer dans son prochain film, un projet éloigné de ses derniers navets horrifiques, ce qui donne lieu à une astucieuse mise en abyme.

Parallèlement, le spectateur suit le parcours de Bobby, un américain moyen obsédé par les armes à feu (La Cible est l’un des premiers longs métrages qui ont traité de ce sujet hélas encore tristement d’actualité) qui perd pied au sein d’une famille castratrice. Avec une terrible froideur, Bobby abat sa femme et sa mère et se met à tuer des gens au hasard. Inspiré par les actes de Charles Whitman, cet ex-marine qui avait liquidé des dizaines de personnes au hasard sur la tout de l’université du Texas avant de se suicider, Bobby (joué par un certain Tim O’Kelly, un acteur qui n’a pas mené une grande carrière) est au centre de scènes anxiogènes, dans lesquelles Bogdanovich tire bien parti de son budget modeste. Avec de bonnes idées, simples et efficaces comme l’absence de musique (la seule musique que l’on entend dans La Cible est diégétique) qui donne un aspect presque clinique aux actes du tueur.

Le malaise est souvent présent, notamment lors de la scène de l’autoroute, héritée du traumatisme de l’assassinat de Kennedy. Les destins d’Orlok et de Bobby se rejoignent dans le dernier acte, un brillant exercice de suspense dans un drive-in qui projette The Terror. Le tireur, aussi froid que méthodique, continue son carnage jusqu’à un final vertigineux. Très bonne série B, La Cible, qui fait partie des meilleures productions de Roger Corman, a offert à Boris Karloff son dernier grand rôle.

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