LA FOIRE DES TÉNÈBRES (Jack Clayton)

REALISATEUR

Jack Clayton

SCENARISTE

Ray Bradbury et John Mortimer, d’après le roman La Foire des Ténèbres

DISTRIBUTION

Vidal Peterson, Shawn Carson, Jason Robards, Jonathan Pryce, Diane Ladd, Royal Dano, Pam Grier…

INFOS

Long métrage américain
Genre : fantastique
Titre original : Something Wicked this way comes
Année de production : 1983

Cela se passait en octobre, un mois privilégié pour les garçons, un mois de froid, de bourrasques, de longues nuits, de sombres promesses…un mois où les journées raccourcissent et où les ombres s’allongent…un mois où le souffle du vent vous entraîne dans une course folle à travers les champs…où des milliers de citrouilles attendent d’être coupées…

Greentown, Illinois…une ville que les fidèles lecteurs de Ray Bradbury ont souvent eu l’occasion de visiter. La Foire des Ténèbres suit les pas de deux jeunes garçons inséparables, Will Holloway et Jim Nightshade, les meilleurs amis du monde, de véritables frères de sang. Will et Jim auraient également pu naître le même jour, mais le destin en a décidé autrement. Will est né le 30 octobre à minuit moins une minute…Jim est né deux minutes plus tard, le jour d’Halloween. Will le blond représente l’ordre, la maîtrise de soi; Jim le brun représente l’insaisissable, le fougueux. Et même son nom de famille le destine symboliquement aux ténèbres. C’est peut-être pour cela que Jim a été le premier à entendre la petite musique transportée par le vent d’octobre annonciatrice de l’arrivée dans sa petite ville de l’étrange Pandemonium Carnival de Mr Dark.

Dark est là pour se nourrir des âmes des habitants de Greentown, de leurs rêves et de leurs destins brisés…mais il aura face à lui Jim et Will, qui n’ont pas l’intention de se laisser faire, et aussi Charles, le père de Will, le bibliothécaire, qui sait encore malgré son âge ce que c’est d’être un enfant. Il les croit, il sait qui sont les « gens d’octobre » et il sait que quelque chose de mauvais est à leurs trousses…

Au début des années 80, Walt Disney Pictures cherchait à se défaire de la réputation d’un studio uniquement spécialisé dans l’animation et les films familiaux qui lui collait à la peau. À la recherche de thèmes plus « adultes », Disney acheta les droits du roman « La Foire des Ténèbres », jusque là détenus par la Paramount, et sollicita son auteur, Ray Bradbury, pour écrire un nouveau scénario. Pour le réalisateur, la production suivit la suggestion de Bradbury d’engager Jack Clayton, avec qui il entretenait de bons rapports depuis le Moby Dick de John Huston (sur lequel Bradbury était scénariste et Clayton co-producteur).
Ce n’était pas la première adaptation littéraire sur laquelle avait travaillé Jack Clayton puisqu’on lui doit notamment une version de Gatsby le Magnifique, ainsi que le superbe Les Innocents, d’après la nouvelle Le Tour d’Ecrou de Henry James.

Pour le rôle de Mr Dark, Peter O’Toole et Christopher Lee faisaient partie des choix rêvés de Ray Bradbury, mais le studio préféra opter pour un relatif inconnu afin de garder un budget raisonnable. Le comédien britannique Jonathan Pryce, qui n’avait pas encore tourné Brazil de Terry Gilliam, fut alors engagé. Le rôle très important de Charles Holloway revint au vétéran Jason Robards (Il était une fois dans l’Ouest) qui lui conféra tout le charisme et la sympathie naturelle que le personnage devait dégager. Bradbury avouera des années après la sortie du roman qu’il représentait un « éloge de son propre père ».

Au fur et à mesure de l’avancée du tournage, des dissensions apparurent entre Clayton et Bradbury d’un côté, qui souhaitaient rester le plus proche possible du roman, et Disney de l’autre, qui recula devant les aspects les plus sombres de l’histoire et réclama un film plus accessible pour un public familial. Jack Clayton finit par accéder aux demandes de la production et un nouveau scénariste fut amené pour effectuer quelques réécritures, au grand dam de Ray Bradbury.
Le premier montage ne plut guère au studio, qui reprit le projet des mains de Clayton et entreprit de dépenser quelques millions de plus pour retourner quelques scènes (dont le final), refaire le montage et changer la musique, la première bande originale signée George Delerue ayant été jugée trop « sombre » (il y en a qui ont vite retourné leur veste après la note d’intention originale)… celle-ci fut remplacée par une composition de James Horner.

Après de mauvaises projections-test, Ray Bradbury fut à nouveau appelé pour écrire un nouveau prologue et un nouvel épilogue, mais malgré cela, La Foire des Ténèbres connut un échec cinglant au box-office. L’auteur parlera de ce montage final comme d’« un grand film, non…mais un joli film tout à fait convenable ».

La Foire des Ténèbres, le film, n’a en effet pas la puissance évocatrice de La Foire des Ténèbres, le roman. Mais malgré les problèmes survenus durant la production, le résultat final ne manque pas d’élégance, bien qu’il ne reflète pas totalement la vision originale des auteurs.
Les thèmes de l’oeuvre de Bradbury, l’ambiance et le ton de sa narration, sont bien présents; l’interprétation est excellente et donne une grande véracité aux relations entre les personnages qui sont au coeur du récit (la fraternité, l’amour père-fils…) et cette reconstitution de la vie au coeur d’une petite ville du Midwest avec son atmosphère automnale participe à une totale immersion.

Pendant une grande partie du métrage, son versant horrifique est également d’une grande efficacité et l’une des scènes rajoutées pendant la post-production troublée demeure particulièrement terrifiante pour un arachnophobe tel que moi. Mais après une belle montée en puissance, ponctuée de moments tendus et palpitants, le climax entre Mr Dark, Charles Holloway et les enfants se révèle hélas décevant, avec des effets peu convaincants.

Cette note négative n’est toutefois pas suffisante pour diminuer le plaisir ressenti à la redécouverte de cette évocation de l’enfance pleine de poésie, de frissons et avant tout de coeur, qualité essentielle face aux ténèbres qui accompagnent le passage des gens d’octobre.

D’où viennent-ils ? De la poussière.
Où vont-ils ? Vers la tombe.
Le sang coule-t-il dans leurs veines ?
Non, simplement un vent nocturne.

Jonathan Pryce prouvait dès cette époque qu’il pouvait dégager un charme bien dark.

Bob Peak :