LA LONGUE NUIT DE L'EXORCISME (Lucio Fulci)

REALISATEUR

Lucio Fulci

SCENARISTES

Lucio Fulci, Roberto Gianviti et Gianfranco Clerici

DISTRIBUTION

Florinda Bolkan, Barbara Bouchet, Tomas Milian, Irene Papas, Marc Porel, George Wilson…

INFOS

Long métrage italien
Genre : thriller/horreur
Titre original : Non si sevizia un paperino
Année de production : 1972

Avant d’être reconnu mondialement comme le Parrain du Gore et le Poète du Macabre (avec des films aussi marquants que Frayeurs, La Maison près du Cimetière et son chef d’oeuvre L’Au-delà), Lucio Fulci passa la première décennie de sa carrière à enchaîner les comédies (dont la majorité sont restées inédites en France), avec quelques incursions sur les pistes poussiéreuses du western (Le Temps du Massacre avec Franco Nero en 1966) ainsi que dans le domaine du film historique avec Liens d’amour et de sang (1969), dont on dit que la charge contre l’Eglise Catholique ne fut pas du goût de tout le monde à l’époque (Fulci sera d’ailleurs coutumier du fait).

Lucio Fulci fit ses premiers pas dans dans le genre horrifique en tournant deux giallos (genre qui s’y prête bien) au début des années 70, Le Venin de la Peur (que je n’ai pas encore vu, mais dont j’ai lu beaucoup de bien) en 1971 et La Longue Nuit de l’Exorcisme en 1972. Pour ce dernier, il s’agit en fait d’un titre français particulièrement stupide, puisque la majorité de l’histoire se déroule de jour et que l’exorcisme en question brille par son absence. Le distributeur français, qui a sorti le film sur notre territoire tardivement (en 1978 !), a du vouloir surfer sur le succès de L’Exorciste et de ses nombreuses copies, au détriment d’une quelconque cohérence.
Le titre original est Non si sevizia un paperino, ce qui se peut se traduire par (en me fiant au titre anglais) Ne torturez pas un caneton.

Avec Non si sevizia un paperino, Lucio Fulci s’est démarqué des conventions du giallo, genre principalement urbain et nocturne, en livrant un suspense rural et diurne. Un reporter tenace interprété par Tomas Milian (Le cynique, l’infâme, le violent, O’Cangaceiro) et une voluptueuse jeune femme (la magnifique Barbara Bouchet) secondent les policiers locaux dans leur enquête sur une série de meurtres touchant les enfants d’un petit village reculé de la Sicile. Après une mise en place un peu laborieuse, le récit prend la forme classique d’un whodunit, en multipliant les fausses pistes et les coupables potentiels…mais ce qui intéresse surtout Fulci ici, c’est la description de la vie dans ce village paumé, et le moins que l’on puisse dire, c’est que tout le monde en prend pour son grade.

Les villageois superstitieux sont représentés comme une communauté malsaine, bestiale, effrayante…ils sont prêts à tout pour accomplir leur idée de la justice, jusqu’à lyncher toute personnage différente à leurs yeux (et surtout selon leurs croyances). Les policiers sont généralement incompétents, le journaliste est prêt à tout pour obtenir une bonne photo choc, la riche héritière qui s’ennuie est une (ex-)droguée aux tendances pédophiles et le jeune prêtre étend son influence sur le village en allant jusqu’à censurer les envois que reçoit le kiosquier, histoire que les chères têtes blondes dont il a la charge ne succombent pas à la tentation (là encore, le représentant de l’Eglise n’a pas le beau rôle).

Quant à ces fameuses « chères têtes blondes », les victimes de l’assassin ne sont pas représentés non plus sous un jour très flatteur. Ce sont pour la plupart des petites pestes, qui se moquent ouvertement de l’idiot du village ou de celle que tout le monde prend pour une sorcière (campée par la belle Florinda Bolkan, à l’interprétation enfiévrée, qui avait déjà tourné sous la direction de Fulci dans Le Venin de la Peur).

Il n’y a que deux scènes gores dans Non si sevizia un paperino (Fulci n’insiste pas vraiment sur les morts des enfants), et elles n’ont chacun pas le même impact. On reconnaît bien la patte du futur maître du macabre dans la première, lente, implacable, effroyable et surtout superbement réalisée (avec une judicieuse utilisation d’une bande-son décalée). Ce moment (très) difficile se termine de façon absolument déchirante.

Le final, plombé par un effet spécial atroce, est hélas complètement ridicule…ce qui ne gâche en rien les qualités de ce portrait de la ruralité à la lisière du fantastique, dur, pessimiste et impitoyable. Un long métrage fascinant, à l’ambiance trouble et suffocante, qui figure parmi les films préférés de son réalisateur.

Malgré ces menus défauts, je l’aime beaucoup celui-là.
Je conserve une préférence pour « Le Venin de la Peur » (que je te recommande chaleureusement, à mon tour) et son incroyable ouverture (un quart d’heure de séquences oniriques à l’érotisme torride), mais ce film-là est aussi un immanquable pour les amateurs de gialli.
Il se démarque effectivement par son contexte (de jour et à la campagne, donc) mais aussi par sa « gravité », une caractéristique qui est loin d’être commune à tous les gialli, loin s’en faut (le genre assume même assez bien sa superficialité).

Pour l’anecdote, le « caneton » du titre original, qui fait référence aux enfants, a posé des problèmes à Fulci. « Paperino » est le nom italien de Donald Duck et l’utilisation du terme posait des problèmes de droit, ce qui rendit furieux Lucio Fulci. Il put finalement l’utiliser, mais manifestement rancunier il affublera dix ans après le tueur de son « Eventreur de New-York » de caquètements de canard ridicules, en référence à cet épisode un pénible pour lui mais somme toute anodin… Fallait saisir la référence ; ne reste que ces caquètements à la con qui plombe bien le film, d’ailleurs.