REALISATEURS
Gunther von Fritsch et Robert Wise
SCENARISTE
DeWitt Bodeen
DISTRIBUTION
Simone Simon, Kent Smith, Jane Randolph, Ann Carter…
INFOS
Long métrage américain
Genre : drame/fantastique
Titre original : Curse of the Cat People
Année de production : 1944
Le producteur Val Lewton est l’homme qui sauva la RKO de la faillite dans les années 40. Le petit studio était alors fragilisé par une série d’échecs financiers, dont ceux des films d’Orson Welles (Citizen Kane, La Splendeur des Amberson) et il fut décidé de créer un nouveau département consacré aux séries B fantastiques confié à Sid Rogell. Celui-ci engage alors Val Lewton et lui donne le contrôle total de ses films…à quelques exceptions près. Le budget devait être à chaque fois serré et ne jamais dépasser les 150.000 dollars et les titres étaient imposés par le studio. Val Lewton et son réalisateur fétiche Jacques Tourneur ont su tirer le meilleur parti de ces restrictions pour livrer quelques uns des plus beaux films fantastiques de cette époque, en jouant avant tout sur la suggestion.
Dans les longs métrages du duo, le monstre se tapit dans l’ombre et n’est jamais visible…et le frisson est provoqué par l’imagination du spectateur. Une recette qui a fonctionné car La Féline (Cat People en V.O.), tourné pour 134.000 dollars, en rapporta 8 millions et renfloua les caisses vides de la R.K.O.
Le studio a naturellement voulu une suite, que Jacques Tourneur ne tourna pas puisqu’il était occupé avec les deux autres films de sa trilogie fantastique, Vaudou et L’Homme-Leopard. Comme d’habitude, la R.K.O. a fourni le titre, Curse of the Cat People (La Malédiction des Hommes Chats), pour capitaliser sur le succès de La Féline et le vendre comme un film d’horreur. Mais Lewton n’était pas homme à se répéter et il décida d’orienter le scénario vers quelque chose d’entièrement différent, quitte à dérouter le public (qui ne fut cette fois-ci pas au rendez-vous). Dans La Malédiction des Hommes Chats, il n’y a donc pas de malédiction, et encore moins d’hommes chats. Mais bon après tout, il n’y avait pas non plus d’homme léopard dans L’Homme-Léopard…
Dans La Malédiction des Hommes Chats, Kent Smith et Jane Randolph reprennent les rôles de Oliver et Alice Reed, qu’ils ont précédemment tenu dans La Féline. Le temps a passé et ils sont maintenant les parents d’une petite fille, Amy. Ils s’inquiètent pour elle car la gamine est solitaire et ne vit qu’à travers son imaginaire. Rejetée par les autres enfants, elle fait le voeu d’avoir une amie en soufflant les bougies de son gâteau d’anniversaire. Lui apparaît alors Irena, l’ancienne femme de son père (la belle française Simone Simon, star de La Féline), pourtant disparue des années plus tôt…
Si le scénario a été écrit par DeWitt Bodeen, l’auteur du script de La Féline, Val Lewton a mis beaucoup de lui-même dans cette histoire dont on dit qu’elle est en grande partie autobiographique, s’inspirant d’épisodes de sa jeunesse et de ses propres relations avec sa fille. Touchante étude de l’esprit d’une enfant hyper-sensible et incomprise, le récit mêle rêve et réalité dans une suite de tableaux d’une grande poésie. Les fantaisies de la petite fille triste sont superbement mises en images, faisant de Simone Simon une véritable bonne fée surgie d’un conte et une fuite dans une campagne enneigée un moment de terreur enfantin sublimé par l’imagination de l’héroïne.
Aussi beau soit-il (les décors et la photographie sont superbes), La Malédiction des Hommes Chats a aussi ses faiblesses. Il est par moments un peu trop lisse, à l’image des acteurs adultes, Kent Smith et Jane Randolph en tête (mais la jeune Ann Carter est convaincante et Simone Simon est merveilleuse). L’intrigue secondaire concernant la vieille Madame Farren et sa fille tranche aussi un peu trop avec le ton général de l’ensemble.
Deux réalisateurs sont crédités. Il y a de très belles idées de mise en scène mais il est difficile de savoir à qui en attribuer la réussite, tant les deux styles se confondent. Gunther Von Fritsch, metteur en scène autrichien qui n’avait jusque là réalisé que des courts métrages, était en retard sur le planning de tournage et fut donc renvoyé et remplacé par Robert Wise, le monteur de Orson Welles sur Citizen Kane et La Splendeur des Amberson. Le futur réalisateur du Jour où la Terre s’arrêta, West Side Story et Star Trek le film débuta donc officiellement sa carrière derrière la caméra en terminant le travail d’un autre (une commande qu’il n’a jamais vraiment reconnu…pour lui, son « vrai » premier film est Mademoiselle Fifi tourné la même année)…mais la véritable force créatrice derrière La Malédiction des Hommes Chats demeure Val Lewton.