LES FUTURS DE LIU CIXIN - LA PERFECTION DU CERCLE (Xavier Besse)

C’est l’histoire d’une obsession. Et moi, j’aime bien les récits d’obsession. Donc je suis servi, parce que c’est même l’histoire de deux obsessions. Et donc l’histoire de deux folies.

D’un côté, on a un savant qui s’oppose aux superstition et propose à un empereur de calculer des milliers de décimales du chiffre Pi, afin de découvrir les secrets de l’univers. De l’autre côté, l’Empereur, que ses docteurs soignent à l’aide d’une décoction à base de mercure (on devine d’emblée les ravages sur son état mental), se croit dépositaire de la volonté des dieux. Chacun de ces deux hommes commet bien entendu le péché d’orgueil, le premier s’estimant capable de comprendre les règles régissant le monde et le second affirmant être le seul digne d’en recevoir l’enseignement (et donc de mener l’humanité vers le prochain stade de l’évolution, tout ça tout ça…). Sur cette base, on a donc un balancement narratif entre l’alliance et le duel qui assemble ou oppose le souverain et le savant, tous deux pensant, tour à tour, que leur interlocuteur est digne ou indigne du cadeau qui lui est fait.

C’est classique, mais plutôt bien mené. Là où ça devient intéressant, c’est que le savant monopolise l’armée du souverain afin d’établir des chaînes de calcul avec entrée et sortie, à la manière d’un ordinateur géant. L’idée, graphiquement, est très porteuse, et surtout donne au récit une autre dimension, puisqu’il oppose le collectif (l’armée, qui perd son sens en devenant un outil neutre et servile) à l’individuel, marqué par les deux personnalités orgueilleuses décrites plus haut et par les différents courtisans qui complotent dans les coulisses impériales. On retrouve cette dialectique qui me semble parcourir la collection (et donc les textes de Liu Cixin, auteur visiblement en bonnes grâces dans son pays), et qui entretient un rapport ambivalent avec l’individu, parfois héroïque, parfois en perdition. À bien relire les différents tomes, d’ailleurs, il semble que le héros des récits soit positif à partir du moment où ses actions servent la communauté (à l’image de la scientifique dans Pour que respire le désert… même si, dans Les Trois lois du monde, les héros sont inconscients de leur héroïsme et ne sauvent la Terre qu’à la faveur d’un bourrage de crâne fort opportun).

Ici, l’individuel est porteur de malheur, puisqu’il monopolise le collectif à des lubies orgueilleuses, le privant de sa fonction (ici, une armée inopérante et sous-entraînée). Voilà qui jette un éclairage particulier sur la dimension politique de ces récits.

Jim