LES PROJETS AVORTÉS

Merci pour ce billet, Marko, je n’avais tout simplement jamais entendu parler de ce projet moi non plus. Il n’est pas surprenant, connaissant ses habitudes de « control-freak » (depuis l’amère expérience de « Dune »), que Lynch se soit opposé au projet…

Par rapport au film de 1992, la préquelle « Fire Walk With Me », j’en suis moi aussi très fan et n’ai jamais compris le rejet des fans. Il est toutefois à signaler que le film a depuis subit une nette réévaluation critique, à l’aune des films suivants de Lynch (« Lost Highway » et « Mulholland Drive » surtout), dont « Fire Walk With Me » est clairement le prototype.

Jack!, par rapport à ce que tu dis des attentes de certains fans, j’espère quand même qu’ils ne sont pas trop nombreux à attendre une résolution rationnelle de toutes les intrigues en cours : cela me semble parfaitement antithétique avec l’esprit du show… Pour mémoire, Lynch et Frost souhaitaient initialement (mais on ne les a pas laissés faire) ne jamais révéler l’identité du meurtrier de Laura Palmer ; un choix qui aurait été sacrément couillu, et qui en dit long sur l’envie de « résolution » des deux bonhommes.
A ce titre, l’idée de la piste extra-terrestre potentiellement explorée par Matt Haley me semble la fausse bonne idée par excellence (ça n’a pas fait du bien à la franchise « Highlander », par exemple, même si ces deux univers fictionnels divergent et pas qu’un peu…).

J’attends pour ma part de la saison 3 plus de mystères, plus d’étrangeté, plus d’absences de résolution. :wink:
L’essayiste Guy Astic, qui a beaucoup écrit sur Lynch, a une formule qui résume bien cette idée : il y a une différence entre un mystère et une énigme. La deuxième trouve une résolution et le premier non. « Twin Peaks » tire une bonne part de son intérêt de l’authentique aura de mystère qui s’en dégage.

C’est pas faux. J’ai revu les deux premiers il y a quelques semaines et ils partagent un squelette similaire.

Le pire, c’est que j’ai l’impression que c’est ainsi qu’ils vendent la série aux États-Unis. « Vous attendez depuis 20 ans, voici enfin les réponses… »

Voilà, c’est l’idée qui m’a fait tiquer dans la chronique de Marko. Pourquoi ?

D’autant que si on résume un peu, Twin Peaks se passe d’explication. La série suit l’enquête de deux agents de l’ordre, Dale Cooper et Tommy Hawk, pour découvrir le meurtrier de la jeune Laura Palmer. Suivant les pistes avec ses méthodes non-orthodoxes et l’aide de son natif de collègue, Cooper commence à percevoir l’envers du décor ; deux lieux interdimensionnels, la loge blanche, endroit idyllique, et son ombre, la loge noire, où chaque Homme affronte son double intérieur au risque d’y être substitué (le Murmudraï chez Grant Morrison). De cette dernière loge s’échappent des parasites maléfiques qui s’adonnent à leurs passions en possédant les habitants alentours : détruire, violer, massacrer, éviscérer, manger de la soupe, etc. C’est aussi simple que cela.

Ce que j’attends de la troisième saison, c’est davantage de clés pour comprendre ce que racontent Lynch et Frost et de nouvelles serrures pour m’y perdre à nouveau.
T’façon, je continue de penser que le nain n’est rien de plus qu’une déformation grotesque de Lynch qui rigole de ses marionnettes lorsqu’elles découvrent les coulisses (après tout, Bob le tueur n’est rien de plus qu’un Ensemblier). .issua elogir ej cnod tE

Et plus de gens piégés dans des boutons de portes. Et plus de « bonne tasse de café ». C’est dit.

Quitte à y aller moi aussi de ma petite théorie sur le sens véritable de « Twin Peaks » (sachant que la tienne me paraît très porteuse), je m’appuierais sur une intuition évoquée par l’essayiste et rock-critic Greil Marcus dans « The Shape of things to come ».
Marcus pense que l’univers de « Twin Peaks », en partie vision idéalisée/fantasmée d’une Amérique qui vivrait toujours d’une certaine façon dans la prolongation des années 50 (ressenties par beaucoup d’américains comme idylliques), comme si cet univers n’avait jamais connu les décennies suivantes, est hanté.
L’univers parasitaire/parallèle cauchemardesque qui vient hanter cet univers de « Twin Peaks », c’est le nôtre.

A l’aune de cette piste de réflexion, je trouve particulièrement injuste les critiques parfois violentes dont Lynch a fait l’objet quant à la résolution de l’intrigue du meurtre de Laura Palmer ; un personnage fait remarquer à l’agent Dale Cooper qu’il est difficile d’imaginer qu’un espèce de succube est le responsable. Cooper répond alors : « tu préfères opter pour la culpabilité de son père ? ».
On a beaucoup reproché cette réplique à Lynch, notamment dans les milieux féministes. En gros, la critique porterait sur la naïveté supposée de Lynch : si les succubes n’existent pas, les pères abusifs, incestueux voire infanticides existent bel et bien.
Critique injuste ; non seulement Lynch ne le sait que trop bien (en sous-texte, c’est bien de ce genre d’horreurs dont il nous parle), mais en plus la réplique de Cooper souligne l’élément que j’évoque plus haut, cette idée que l’univers en apparence idyllique de « Twin Peaks » est bouffé dans ses soubassements par une dimension alternative horrible, cauchemardesque : la nôtre.

Une fuite du réel qui vient parasiter l’American Way of Life imaginaire. Je ne pense pas que nos deux hypothèses soient très différentes. Cela dit, la troisième saison pourrait mettre à l’épreuve cette « prolongation des années 50 ».

Non, elles ne sont pas très différentes, ou plutôt elles peuvent très bien être complémentaires.
Cet idée du réel cauchemardesque qui hante la fiction, elle est aussi présente dans « Mulholland Drive », dont la dernière ligne droite peut être vue de la même manière.

Je pense que c’est aussi un peu le sujet de « Lost Highway » où le frottement de « deux réalités » vient perturber l’histoire du film.

Absolument.
L’essayiste Pacôme Thiellement développe d’ailleurs l’idée qu’il y a deux Lynch, avant et après « Twin Peaks » (la série). Les films du deuxième Lynch sont tous basés sur le même moule, celui de « Twin Peaks » le film.
Thiellement va même jusqu’à évoquer la belle idée selon laquelle Lynch lui-même, allégoriquement, est passé par la Black Lodge, et que c’est son doppelganger qui en est revenu pour faire les films post-« Twin Peaks », très noirs et désespérés.

C’est la seule explication possible. Je me sens bête de ne pas y avoir pensé tout seul.

Ça c’est superbement dit.

Il y a de fortes chances qu’on en reparle bientôt dans la section ciné-club.

Je sais. Ce mec est un génie. Ni moins, ni moins.

Aaah, c’est bon, ça !!

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AN EVENING WITH SUPERMAN (Barry Windsor-Smith)

Dans la seconde moitié des années 90, Barry Windsor-Smith soumet à Paul Levitz un projet de graphic novel de 120 pages consacré au plus iconique des super-héros. Pour cette occasion spéciale, BWS ne souhaite pas en faire une énième oeuvre mainstream publiée dans le cadre des séries mensuelles, à l’instar de son célèbre Weapon X, mais plutôt quelque chose de vraiment à part, dans le style plus sophistiqué selon lui de son Storyteller; et éloigné de ce fait des conventions inhérentes au genre, sans combats ni scènes de voltige, pour pouvoir ainsi se cantonner dans une veine plus intimiste.

L’artiste voulait ainsi appréhender le personnage d’une façon plus terre-à-terre, par le biais de sa rencontre avec Lois Lane, qui apprend à le connaître en se chargeant de son interview.
Au cours de cette histoire, la journaliste devait en effet se voir accorder la toute première interview exclusive du kryptonien, qu’elle ne peut s’empêcher de voir comme une sorte de dieu, alors que celui-ci veut justement lui montrer à quel point il est humain, en tentant de démystifier l’image qu’il véhicule auprès du commun des mortels. Ce point de départ était un moyen pour l’auteur d’explorer les failles de tous les personnages, et pas seulement celles du héros.

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Windsor-Smith avait également souhaité développer l’identité visuelle bien spécifique de son récit, en changeant le style d’architecture de Metropolis, via une sorte de patchwork visuel mêlant les objets et influences de diverses périodes distinctes, avec notamment l’esthétique et la technologie des années 40 qui cohabitent avec le style Art déco, tout en empruntant des éléments à l’ère victorienne, avec des touches de style d’ameublement de type Empire.

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Avec un tel parti-pris, ce type d’approche rappelle quelque peu la fameuse série
Batman: The Animated Series, qui au-delà de son de son statut d’adaptation exemplaire, s’est distinguée grâce à son propre style visuel, inspiré par le Superman des frères Fleischer, et surnommé depuis le « Dark Déco ».
Ce visuel intemporel fut ainsi le meilleur moyen pour faire cohabiter la technologie contemporaine et des éléments plus rétro (la télévision en noir et blanc, les appareils photo munis d’ampoules flash), le tout plongé dans une esthétique de film noir du plus bel effet; notamment lors des épisodes qui se concentraient sur les gangsters de Gotham, tel les grandioses « It’s Never Too Late » et « The Man Who Killed Batman ».

D’après les dires de BWS, celui-ci a en réalité plutôt lorgné sur le premier Batman de Burton, et notamment le travail remarquable d’Anton Furst sur le plan de la direction artistique, en particulier sur l’architecture de la ville, inspirée par l’expressionnisme allemand.

Malgré les retours positifs de l’éditeur, l’artiste a dû ronger son frein et contenir son inspiration débordante, car il lui a fallu attendre le feu vert pendant plusieurs mois, en attendant que le contrat soit finalisé. BWS considérait à ce moment-là qu’il aurait dû prendre de l’avance afin que le graphic novel soit quasiment prêt au moment de la finalisation du contrat. Le projet semblait alors en bonne voie de concrétisation, et une des planches était même présente à la fin de l’ouvrage Superman: The Complete History.

C’est en réalité la manière dont le dessinateur a abordé la figure du kryptonien qui explique cette longue attente, puisque selon lui il a été confronté à un problème lié aux personnages iconiques et hyper populaires, dont l’image de marque doit être préservé en vue du merchandising, pour que la licence reste abordable, voire plus ou moins immuable dans ses fondamentaux.
BWS a estimé qu’il était pourtant possible d’avoir une approche clairement plus axé pour le lectorat adulte, en citant comme précédent Superman: Peace on Earth de Paul Dini et Alex Ross.

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L’angle choisi par l’artiste s’est heurté aux réticences de l’éditorial, qui a imposé une censure sur le plan de la caractérisation, empêchant ainsi Perry White de boire de l’alcool, ou encore de se montrer sexiste et chauvin. Son utilisation du mot « vierge » a également fortement déplu aux éditeurs, malgré que le terme soit utilisé dans le cadre d’une blague de journaliste à l’encontre de Lois Lane.

Ce n’était d’ailleurs pas une première pour l’artiste, puisque celui-ci a eu le même désagrément en ce qui concerne l’utilisation proscrite du mot « goddamn », dans le cadre d’un autre projet avorté, une histoire portant initialement sur la jeunesse du géant de jade, qui aurait dû être publié en 1984, et dont on aura sans doute l’occasion d’évoquer de nouveau sur ce thread. Mais ça c’est une autre histoire…

Source : barrywindsor-smith.com

Très belle découverte, merci.
(C’est très très dommage que ce projet n’ait pas abouti)

Le dessinateur Denis Medri a dévoilé sur sa page Deviantart la couverture du projet avorté Batman : Rebel Yell qu’il préparait avec son collègue Scott Lobdell (Red Hood/Arsenal) au début de l’année 2015.

Si on sait très peu de chose de l’histoire, on peut dire que cette mini-série en 6 numéros nait lorsque Lobdell découvre les illustrations que Medri réalise sur son temps libre et où il mélange l’univers de Batman (et d’autres super-héros) avec une imagerie de Rockabilly.

Ce sous genre du Rock’n’Roll, popularisé par Elvis Presley avec la musique That’s All Right Mama (1954), ce caractérise par ses références à la culture populaire des années 50 (courses automobiles, Diner, jeunes amourettes, gangs) et à l’accoutrement de l’époque (blouson en cuir, coupe banane, chemise à col ouvert, etc.)

Oh Yeah !

Source : denism79.deviantart.com

Rigolo !

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Après la réinvention du titre Swamp Thing par Alan Moore, c’est véritablement une arrivée en masse d’artistes anglais qui a lieu dans le milieu des comics US, et cela sous l’égide de l’éditrice Karen Berger, à qui l’on doit la création de l’imprint Vertigo en 1993, permettant ainsi à cette bande de créatifs d’avoir une plus grande marge de manoeuvre et une autonomie accrue. Durant cet âge d’or créatif, la reprise de la Doom Patrol par Grant Morrison s’est vite imposée comme une des plus grandes réussites de la période.

Le choix du scénariste paraît encore plus pertinent rétrospectivement , puisque après tout il s’agit d’une série qui en son temps, sous l’égide d’Arnold Drake, a placé la barre très haut dans l’exploration de concepts tous plus bizarres et étranges les uns que les autres, et cela avant même que Morrison ne place les potards à 11 dans ce domaine grâce à son imagination foisonnante. L’ADN du titre a tout de même été respecté par le scénariste, à tel point que le créateur de la série a considéré que c’était cette version qui était la plus proche de l’esprit de la série originale.

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Au début des années 90, Morrison s’était associé à Brendan McCarthy en vue de produire l’épisode 45 de la Doom Patrol. McCarthy avait déjà aidé à bâtir l’identité graphique du titre, et on lui doit notamment certains designs de la série Zenith du même scénariste.
Le dessinateur est surtout connu pour avoir été un fréquent collaborateur de Peter Milligan, il s’était d’ailleurs occupé des couvertures, et parfois même des intérieurs, de la géniale série Shade the Changing Man.
Contrairement à la Doom Patrol de Morrison, celle-ci n’a pas gardé autant d’éléments en commun avec la série initiale, si ce n’est sur le plan de l’inventivité visuelle, marqué par la progression phénoménale de Chris Bachalo, qui a véritablement commencé à développer le style qu’on lui connait à partir de cette série.

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L’épisode en question devait se concentrer sur le personnage de Danny the Street, rien de moins qu’une rue consciente, animée d’une vivre propre, qui reste à ce jour un des concepts les plus barrés d’une série plutôt généreuse de ce côté-là.

Le récit était ainsi conçu à la manière de certaines histoires DC du Silver Age, mais il n’est pas allé au-delà de l’étape du script, qui est resté dans les cartons jusqu’à ce que McCarthy finisse par remettre la main dessus.
L’emploi du temps surchargé de l’artiste dans le domaine de l’industrie cinématographique a eu raison de l’avancée du projet (McCarthy a eu notamment un rôle important durant cette décennie dans l’élaboration des designs et des story-boards de Mad Max : Fury Road).

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L’épisode 45 finalement publié a plutôt mis l’accent sur un autre sujet, puisque celui-ci marque la première apparition du Beard Hunter, un pastiche bien senti du Punisher. Cette création est assez symptomatique de la distanciation de l’auteur vis-à-vis du Grim n’ Gritty à partir d’une certaine période, quitte à critiquer les succès commerciaux de l’époque lors du one-shot Doom Force Special #1 où il brocarde les séries de Rob Liefeld par le biais d’une irrésistible parodie.
Si on se fie à la couverture de cet épisode, signée par Giffen et Mignola, le créateur d’Hellboy ne semble pas avoir gardé un très bon souvenir de son travail de commande sur la série X-Force, comme en atteste sa signature équivoque (« Mignola Doin’ Penance »).

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Sources :
sites.google.com/a/deepspacetra … .com/site/
forbiddenplanet.co.uk/blog/
rhbfictions.blogspot.fr
timemachinego.com/linkmachinego/

Étonnantes les recherches de Brendan McCarthy pour Mr. Négatif et les Homme-Ciseaux. J’aime particulièrement la tête qu’il a fait à ces derniers.

Sacré Grant Morrison. Il ne nous l’a jamais (re)faite celle-là.

Alors comme ça on aurait pu avoir droit à ça en plus de tout le reste, dans ce run invraisemblablement fabuleux. On a pas complètement perdu au change quand même : en l’état, le numéro 45 (avec le Beard Hunter, donc) est déjà une merveille, irrésistiblement drôle.
Merci pour tes indispensables posts, Marko !!

Ouaip, c’est passionnant !