REALISATEUR & SCENARISTE
Werner Herzog
DISTRIBUTION
Klaus Kinski, Isabelle Adjani, Bruno Ganz, Roland Topor…
INFOS
Long métrage allemand/français
Genre: horreur
Titre original : Nosferatu: Phantom der Nacht
Année de production : 1979
Nosferatu, Le Fantôme de la Nuit, remake de Nosferatu le Vampire de Murnau, a marqué la deuxième collaboration entre le réalisateur Werner Herzog et l’acteur Klaus Kinski après Aguirre, la Colère de Dieu. Lorsque Herzog a proposé à Kinski de succéder à Max Schreck dans le rôle-titre, celui-ci s’imaginait déjà livrer une de ces compositions hallucinées dont il avait le secret en personnifiant une figure du mal sanguinaire et excessive. Mais cela ne correspondait pas à la vision de Werner Herzog…
Le maquillage créé par la japonaise Reiko Kruk, qui faisait avec ce film ses débuts au cinéma, s’inspire de celui de la version de 1922 en conférant au vampire son aspect monstrueux amplifié par les traits torturés de Kinski. Mais là où le précédent Nosferatu était avant tout une incarnation des ténèbres, il y a quelque chose en plus dans le portrait qu’en fait la relecture de Werner Herzog…
Werner Herzog a choisi de redonner aux personnages leurs noms du matériel à l’origine de l’histoire, le Dracula de Bram Stoker. Pour des questions de droits, F.W. Murnau avait en effet procédé à de nombreuses modifications, dont le changement des patronymes. Ainsi Dracula et Jonathan Harker était devenus respectivement Orlok et Hutter. En 1979, les droits de Dracula étaient retombés dans le domaine public et cet élément précis a pu être réintégré. Mais pour le reste, Herzog a tenu à être le plus fidèle possible au long métrage qui a toujours été pour lui « le plus grand film du cinéma allemand » (c’est ce qu’il a déclaré dans une interview à la fin des années 90).
Le Nosferatu de 1979 rend brillamment hommage à celui de 1922 tout en approfondissant la figure de Dracula. Le regard profondément triste de Kinski, ses manières presque doucereuses, soulignent la solitude écrasante du non-mort, ce qui confère encore plus d’intensité à ses rares accès de fureur (qui n’ont d’ailleurs pas besoin de démonstration ostentatoire tant sa simple présence suffit à immobiliser Jonathan Harker dans une transe hypnotique). Werner Herzog a recomposé des plans de l’oeuvre de Murnau tout en travaillant une atmosphère particulière, qui s’accompagne d’une certaine lenteur maîtrisée. Il n’y a pas d’effets optiques qui nous montrent que Jonathan Harker est passé littéralement dans un « autre monde » sur le chemin qui le mène au château Dracula, mais le réalisateur arrive tout de même à faire ressentir ce passage dans un univers où le rêve se mêle à la réalité par une habile utilisation des décors naturels et les contrastes d’une magnifique photographie.
A partir de ce moment, le récit joue constamment avec les perceptions du spectateur…dans la visite du château de Dracula, aux ombres vivantes, aux présences fantomatiques…dans le voyage en bateau qui mène Dracula à Wismar, près de Lucy, la bien-aimée de Jonathan Harker (comme dans le Dracula de John Badham, sorti la même année, les rôles de Lucy et Mina sont inversés)…
Il y a de très belles idées de mise en scène pour symboliser cette invasion du monde réel par une créature venue d’un monde irréel…comme l’arrivée du bateau, vision troublante qui emplit progressivement l’écran. La ville est endormie quand apparaît le navire de la mort…pour ne plus se réveiller…et ceux qui prétendent détenir la vérité sont alors ridiculisés quand ils tentent de trouver une explication à la pestilence qui s’empare de la région (voir le traitement des figures d’autorité comme le professeur Van Helsing).
Comme dans l’original, le contrepoint entre lumières et ténèbres trouve sa représentation dans le lien qui unit Dracula et Lucy. Dracula, c’est la mort, le changement, une laideur aussi fascinante que la beauté de Lucy (superbe Isabelle Adjani), présence diaphane qui semble elle aussi suspendue entre deux univers. Les deux êtres s’attirent et se rencontrent enfin dans une dernière scène envoûtante. Enfin, plutôt l’avant-dernière scène puisque Herzog a ajouté un épilogue que je n’ai pour ma part jamais apprécié car je trouve qu’il réduit l’impact du sacrifice qui a précédé.
Les liens entre le Nosferatu de 1922 et celui de 1979 se traduisent aussi par le jeu des acteurs hérité du muet, avec ces gestes suspendus et ces regards habités. Il y a tout de même un comédien que je trouve insupportable, et c’est le français Roland Topor qui surjoue à outrance dans le rôle de Renfield. Renfield est de toute façon un personnage du roman de Bram Stoker que j’ai rarement trouvé convaincant à l’écran. Klaus Kinski l’avait même incarné au début des années 70 dans le très mauvais Les Nuits de Dracula de Jess Franco.