Donc, Resurrection Man.
Quelques précisions en guise d’introduction. La série est lancée en 1997, avec des scénarios de Dan Abnett et Andy Lanning, et des dessins de Jackson Guice, dans le style instable qu’il adopte quand il n’est pas encré. Et même si Ray Kryssing assure une partie de l’encrage, on retrouve les hésitations confinant à la maladresse qui caractérisent certaines de ses prestations, où son trait hésite entre l’inspiration photographique et l’interprétation décalée. C’est toujours très joli, mais il manque l’affirmation d’une patte qui ferait la différence (c’est là qu’un Denis Rodier, durant la période Superman, stabilisait le style en lui donnant de la cohérence).
Autre précision : jusque-là, je n’avais lu de Resurrection Man que le numéro relié à la saga « One Million ». Dans ce récit situé dans un futur lointain, très lointain, le héros était opposé à Vandal Savage. Cela m’avait donné de fausses impressions sur la série, et j’étais, jusqu’à la lecture du TPB, persuadé que les deux ennemis se connaissaient depuis bien plus longtemps, au point que je pensais que les pouvoirs de l’homme qui ne meurt pas remontaient à la préhistoire qui a vu naître l’homme des cavernes immortel. C’est donc une découverte totale, pour moi.
Le héros en question, c’est Mitch Shelley. Dès la première planche du premier épisode, les bases sont posées : Mitch n’est pas immortel à proprement parler. Au contraire, il peut mourir, mais à chaque fois il revient à la vie (quelle que soit la blessure), et à chaque nouvelle vie (plus que nouvelle incarnation, puisqu’il dispose toujours du même corps), il développe un nouveau super-pouvoir. Rien que dans le premier épisode, il meurt deux fois, histoire de faire bonne mesure et de bien montrer le système.
Le problème de Mitch, c’est qu’il est amnésique. À chaque fois qu’il meurt, il des flash qui lui montrent des bribes de souvenirs, comme sous l’effet d’un choc, comme si sa mémoire allait être « rebootée ». Mais il est bien incapable de reconstituer son passé. Grâce à l’aide d’une bibliothécaire, il parvient à trouver quelques informations, et découvre que Mitch Shelley était avocat avant de disparaître dans une explosion. Décidant de se mettre en quête d’information, il est interrompu par l’irruption de deux femmes (les deux tueuses du tandem Body Double) qui le traquent, on ne sait pas encore bien pourquoi.
Dans le deuxième épisode, Mitch croise la Ligue de Justice, aux prises avec un colosse dans lequel je crois reconnaître Amazo (mais je ne suis pas bien sûr). S’étant mis en tête qu’il avait été un avocat véreux, Mitch décide d’utiliser ses pouvoirs pour aider son prochain, la présence des justiciers étant l’un des éléments déclencheurs de sa prise de conscience.
Les prochains épisodes sont consacrés à sa quête. Il retrouve sa femme et son ancien associé, met bien entendu les pieds dans le plat d’un complot ayant visé à se débarrasser de lui, ce qui attire l’attention d’une détective privée et d’un flic véreux. À nouveau, les complices tentent de le tuer, ce qui tourne au grand-guignol puisque, justement, Mitch renaît à chaque fois, malgré l’acharnement de ceux qui visent à le détruire.
Parallèlement à cela, un autre être à pouvoir le suit comme son ombre : Hooker, qui dispose de capacités surnaturelles et qui développe un tempérament d’assassin, le traque et semble parfaitement capable de le « renifler » de loin. Bien sûr, Hooker finira par retrouver Shelley, ce dernier ayant été capturée par la détective privée alors qu’il sortait tout juste de sa tombe. Les scénaristes laissent entendre que les pouvoirs des deux adversaires sont liés, que leur rencontre est littéralement explosive, mais ils ne donnent guère plus d’explication.
Bien entendu, au fil des morts à répétition, Mitch développe des super-pouvoirs qui varient en nature et en puissance. Et après la rencontre avec Hooker, il se retrouve nanti d’une carapace qui lui permet de faire irruption au milieu des différentes parties concernées.
Le sixième épisode est consacré aux Body Doubles (pas formidablement dessiné par Joe Phillips), qui ont enfin capturé le fameux « Resurrection Man » qu’elles livrent à leur commanditaire, un certain Mr. Fancy, directeur du « Lab ». Le récit est connecté au cross-over « Genesis » (qu’il faudra que je lise un jour, tiens), et plutôt rondement mené, jetant un autre éclairage sur l’intrigue.
L’épisode 7, sous une belle couverture de Tom Grindberg qui rend hommage à Wrightson, conduit Mitch à Gotham, ville en plein chaos qu’il traverse (et où il meurt plusieurs fois), attirant l’attention de Batman. Le chevalier Noir comprend que cet homme, dont la réputation lui est parvenu et qu’il pensait n’être qu’une légende urbaine, a un but, qui nous est révélé à la toute fin : Mitch souhaitait renouer avec la bonne qui, dans son enfance, a été la seule mère qu’il ait connue.
Le chapitre suivant est une petite histoire située dans une bourgade fêtant Halloween. Là encore, les scénariste tissent une histoire d’un seul tenant, qui confine à la fable charmante avec une petite chute à clin d’œil. Signalons que ces deux épisodes affichent la fameuse cohérence graphique que j’évoquais plus haut, l’encrage de Guice évoquant sans conteste le trait de Joe Kubert. Dommage que toute la série n’ait pas adopté un style aussi énergique, qui court-circuite l’aspect photographique parfois déplaisant du dessinateur.
Fort des informations récupérées lors de la capture par les Body Doubles, Mitch renoue avec Kim, la détective privée qui l’avait précédemment assommée, afin d’en savoir plus sur le « Lab ». Son périple le conduit sur le chemin de Lucky Falcone, un mafieux lié à l’affaire, mais surtout de Hitman.
Abnett et Lanning prennent le temps également de raconter le devenir des autres personnages (l’épouse de Mitch internée, Keach le flic ripoux en prison…). Ce qui permet de donner beaucoup de cohésion à la série et de préparer les rebondissements à venir.
La présence de Hitman permet aux auteurs de jouer avec ironie et sadisme sur les déclinaisons de pouvoir chez Mitch, Monaghan s’évertuant à tuer et retuer son allié de circonstance jusqu’à ce qu’il développe des pouvoirs suffisamment intéressants pour lui permettre de prendre le « Lab » d’assaut.
Bientôt, Mitch fait face à Mr. Fancy, et découvre que ses pouvoirs proviennent de la nanotechnologie. Infesté par des « Teknites » (ou « Tektites », les scénaristes et les lettreurs ne semblant pas s’accorder sur la graphie, d’un épisode à l’autre), Mitch est perpétuellement reconstruit, les robots microscopiques reconfigurant son métabolisme à chaque fois, ce qui lui confère des pouvoirs. Plus spectaculaire, Shelley découvre que Hooker est en réalité le précédent directeur du « Lab », sur qui la nanotechnologie a eu un effet moins heureux.
Tout cela finit dans une explosion, Shelley et Hooker disparaissant. Le treizième épisode s’intéresse à un shérif ayant croisé Mitch quelques années plus tôt, et le chapitre prend la forme d’une petite fable, plus sérieuse que celle de l’épisode 8, et très marquante. Abnett et Lanning glissent également une idée intéressante : le pouvoir dont dispose Mitch à ce moment influence sa personnalité, ce qui pose la question, à long terme, de ce que Mitch peut conserver d’une « vie » à l’autre.
L’épisode 14, dernier de cette compilation, gère l’après. Kim et sa sœur sont toujours sans nouvelles de Mitch. Keach est possédé par une entité qui lui permet de s’évader. Le crâne de Hooker a été récupéré par un jeune et riche milliardaire, bailleur de fonds pour le « Lab » et commanditaire des Body Doubles. et la dernière planche laisse entrevoir que Mitch est désormais sous la forme d’un fantôme. Fin de la compilation.
Parlons-en un peu de cette compilation, justement. La rédaction fait le choix de ne marquer aucune rupture entre les épisodes, entassant les couvertures à la fin du recueil. C’est sans doute un choix éditorial lié à la pagination (placer les couvertures revient à loger également une page en verso dans le chemin de fer, si bien que quatorze couvertures, ça fait vingt-huit pages en tout à rajouter), mais le procédé demeure assez inélégant. Pire, il y a une page pixellisée, une rupture inutile dans un épisode, et une double page publiée recto-verso. Bref, le recueil fait preuve d’un manque d’attention flagrant (une de ces erreurs, ça va, l’ensemble dénote un désintérêt flagrant).
Pire que tout, le recueil n’aura visiblement pas eu le succès escompté puisqu’il ne sera pas suivi d’un tome 2 qui aurait pu permettre de collecter l’ensemble. J’ai parcouru en diagonale la suite, et le dernier récit semble très intéressant, faisant revenir les Forgotten Heroes et développant les liens qui unissent (ou pas) Mitch à Vandal Savage. Ça semble avoir du souffle, dommage qu’il faille courir après les fascicules pour compléter ce qui semble être une série secondaire de grande qualité. Il est difficile de déterminer si Abnett et Lanning avaient tout en tête dès le début, ou s’ils ont adapté le récit au fur et à mesure de l’avancée (le traitement de Hooker semble pencher pour cette explication), mais dans l’ensemble, ça reste une lecture très agréable.
Jim