RÉÉDITIONS DC : TPBs, Hardcovers, Graphic Novels

Le scénariste et responsable éditorial Archie Goodwin compte, dans les rangs de ces hommes de l’ombre à la barre des catalogues de nos maisons d’édition favorites, parmi les plus influents de l’histoire des comics. Fin dénicheur de talents, raconteur d’histoires exigeant, il a laissé une trace indélébile et son nom est associé durablement à certaines des périodes les plus intéressantes de la bande dessinée américaine. Et notamment, il a laissé sa marque sur Batman, raison pour laquelle il a droit à un tome de la fameuse collection des « Tales of the Batman ».

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Le tome contient quelques histoires consacrées à Batman que Goodwin a rédigées alors qu’il avait déjà de longues décennies d’écriture derrière lui, notamment une saga dans Legends of the Dark Knight (publiée après son décès et dont les dialogues sont finalisés par James Robinson, dont Goodwin a été l’editor sur Starman), illustrée par Marshall Rogers, ou encore le Night Cries peint par Scott Hampton. Mais ces deux récits datent des années 1990, à une période où le personnage est déjà bien installé, en pleine gloire.

Cependant, à une époque où Batman peinait à s’imposer en tête du catalogue DC et où tous les comics en général peinaient à trouver leur public dans les kiosques, Goodwin faisait partie des forces vives dans les rédactions. Actif chez d’autres éditeurs, notamment Warren, il est chargé par Julius Schwartz de s’occuper d’anthologies de guerre (faisant travailler des gens comme Walt Simonson, Jim Starlin, Howard Chaykin…), avant de récupérer les rênes éditoriales de Detective Comics, dont Schwartz lui confie aussi le scénario.

C’est ainsi qu’il va écrire Detective Comics #437 à 443. Il est assisté pour cette tâche de Jim Aparo, un expatrié de Charlton qui œuvre dans un style réaliste fait d’éclairages contrastés, un peu comme une sorte de Neal Adams en moins exubérant. Goodwin lui écrit des histoires d’enquêtes sur mesures, avec musées, artefacts maudits, voleurs… Il met en scène un Bruce Wayne qui déploie de grandes quantités d’énergie pour masquer sa double identité, les scènes revêtant une certaine ironie.

Dans le même temps, Goodwin lance une back-up, un récit de complément avec un nouveau personnage. En fait, il s’agit d’une nouvelle version d’un personnage ancien, le Manhunter. Produire une back-up permet de séparer le sommaire en deux parties et donc d’alléger le travail du dessinateur de chacune d’elles, assurant l’acheminement des planches dans des délais convenables (l’une des difficultés de DC et Marvel à cette époque est liée aux retards de production).

L’histoire nous permet de suivre une enquêtrice internationale à la poursuite d’un assassin insaisissable, le fameux Manhunter. Si les histoires de Batman se lisent en un épisode, celles du Manhunter composent un feuilleton au long cours qui constitue la véritable raison pour laquelle les lecteurs de l’époque reviennent acheter le numéro du mois suivant. L’énergie des planches de Walt Simonson, complice fréquent de Goodwin (ils réaliseront ensemble, entre autres, les adaptations d’Alien et de Rencontre du Troisième Type), n’est pas pour rien dans le charme de ce serial.

Goodwin ne délaisse pas Batman au profit de son nouveau héros. Il profite de ses histoires pour faire avancer le mythe. Par exemple, dans Detective Comics #438, il donne un destin à Ubu, le colossal garde du corps de Ra’s al Ghul, et donc connecte son récit aux légendaires épisodes de Denny O’Neil et Neal Adams, renforçant au passage cette fameuse continuité qui manque peut-être aux héros DC à cette époque et qui séduit une partie du lectorat.

Il prête son fauteuil de scénariste à Steve Englehart pour Detective Comics #439, un épisode dans lequel son collègue confronte le héros au souvenir de ses parents : un épisode méconnu dans la production d’Englehart, mais très riche d’émotions.

Le dessinateur de ce chapitre, Sal Amendola, qui officie aussi dans la veine d’Adams, retrouve Goodwin pour le #440, petite fable écolo où le Chevalier Noir prend le parti d’un animal face au shérif (ça pourrait presque être du Bill Mantlo).

L’épisode « Judgment Day! » de Detective Comics #441 permet à Goodwin de travailler avec un autre jeune dessinateur de l’époque, Howard Chaykin, dont l’encrage est encore buissonneux et nerveux (perso : j’adore ce style presque brouillon !). L’épisode, qui s’ouvre sur une prise d’otage, est l’occasion de présenter un personnage destiné à connaître un grand destin dans l’univers de Gotham, le policier Harvey Bullock. Goodwin dresse le portrait d’un flic mal embouché et sans doute corrompu. Le personnage sera repris par Conway qui en fera une sorte de faire-valoir de Gordon inséparable de son stock de sandwichs dégoulinants, puis Dixon et ses contemporains (sans doute sous l’influence du dessin animé de Dini et Timm) l’installeront en flic bougon mais incorruptible, fidèle à son commissaire. Il fait ici ses premiers pas.

Le Detective Comics #442 marque l’association de Goodwin avec Alex Toth pour une histoire taillée sur mesure pour ce dernier, puisque le scénariste y inclut un avion. On voit que Goodwin fait de la série un canevas qu’il adapte aux goûts et aux compétences de ses illustrateurs, tout en développant l’univers et en lui donnant de la cohérence.

Tout ceci ne va pas durer puisque Goodwin sera appelé vers d’autres défis éditoriaux (des années plus tard, il s’occupera du magazine Epic et de la ligne éditoriale du même nom chez Marvel, puis de Legends of the Dark Knight ou Starman chez DC, sacré palmarès), laissant la série aux mains de Schwartz et d’autres editors.

Detective Comics #443 est donc le dernier de son court règne. Il profite de l’occasion pour conclure la saga de Manhunter, faisant se croiser les deux personnages dans un récit commun. Les deux héros figurent également sur la couverture, dessinée par Jim Aparo.

Le feuilleton Manhunter est particulièrement novateur. Goodwin y parle de clonage (on est en 1974, Kirby a évoqué l’idée dans Jimmy Olsen et Ira Levin ne publiera Ces Garçons qui venaient du Brésil que deux ans plus tard, bref l’idée est encore neuve à l’époque), de super-soldat, de conclave scientifique, d’immortalité… Le climat de paranoïa annonce d’une certaine manière ce que l’on pourra trouver par la suite dans la série X-Files ou les films consacrés à Jason Bourne.

Cette période à la fois dense et riche constitue l’une des étapes de modernisation de Batman, un peu coincée entre les initiatives de Denny O’Neil et Adams et la prestation d’Englehart et Rogers, un peu éclipsée aussi par la célébrité de ces deux exemples. Cette réédition, qui date déjà de 2013, est l’occasion de retrouver le frisson d’un personnage en pleine transformation.

Jim