Excellent choix, les annonces pour 2013 sont pour le moment excellentes, j’espère qu’on aura de belles rééditions en ce qui concerne Superman également .
Le scénariste et responsable éditorial Archie Goodwin compte, dans les rangs de ces hommes de l’ombre à la barre des catalogues de nos maisons d’édition favorites, parmi les plus influents de l’histoire des comics. Fin dénicheur de talents, raconteur d’histoires exigeant, il a laissé une trace indélébile et son nom est associé durablement à certaines des périodes les plus intéressantes de la bande dessinée américaine. Et notamment, il a laissé sa marque sur Batman, raison pour laquelle il a droit à un tome de la fameuse collection des « Tales of the Batman ».
Le tome contient quelques histoires consacrées à Batman que Goodwin a rédigées alors qu’il avait déjà de longues décennies d’écriture derrière lui, notamment une saga dans Legends of the Dark Knight (publiée après son décès et dont les dialogues sont finalisés par James Robinson, dont Goodwin a été l’editor sur Starman), illustrée par Marshall Rogers, ou encore le Night Cries peint par Scott Hampton. Mais ces deux récits datent des années 1990, à une période où le personnage est déjà bien installé, en pleine gloire.
Cependant, à une époque où Batman peinait à s’imposer en tête du catalogue DC et où tous les comics en général peinaient à trouver leur public dans les kiosques, Goodwin faisait partie des forces vives dans les rédactions. Actif chez d’autres éditeurs, notamment Warren, il est chargé par Julius Schwartz de s’occuper d’anthologies de guerre (faisant travailler des gens comme Walt Simonson, Jim Starlin, Howard Chaykin…), avant de récupérer les rênes éditoriales de Detective Comics, dont Schwartz lui confie aussi le scénario.
C’est ainsi qu’il va écrire Detective Comics#437 à 443. Il est assisté pour cette tâche de Jim Aparo, un expatrié de Charlton qui œuvre dans un style réaliste fait d’éclairages contrastés, un peu comme une sorte de Neal Adams en moins exubérant. Goodwin lui écrit des histoires d’enquêtes sur mesures, avec musées, artefacts maudits, voleurs… Il met en scène un Bruce Wayne qui déploie de grandes quantités d’énergie pour masquer sa double identité, les scènes revêtant une certaine ironie.
Dans le même temps, Goodwin lance une back-up, un récit de complément avec un nouveau personnage. En fait, il s’agit d’une nouvelle version d’un personnage ancien, le Manhunter. Produire une back-up permet de séparer le sommaire en deux parties et donc d’alléger le travail du dessinateur de chacune d’elles, assurant l’acheminement des planches dans des délais convenables (l’une des difficultés de DC et Marvel à cette époque est liée aux retards de production).
L’histoire nous permet de suivre une enquêtrice internationale à la poursuite d’un assassin insaisissable, le fameux Manhunter. Si les histoires de Batman se lisent en un épisode, celles du Manhunter composent un feuilleton au long cours qui constitue la véritable raison pour laquelle les lecteurs de l’époque reviennent acheter le numéro du mois suivant. L’énergie des planches de Walt Simonson, complice fréquent de Goodwin (ils réaliseront ensemble, entre autres, les adaptations d’Alien et de Rencontre du Troisième Type), n’est pas pour rien dans le charme de ce serial.
Goodwin ne délaisse pas Batman au profit de son nouveau héros. Il profite de ses histoires pour faire avancer le mythe. Par exemple, dans Detective Comics#438, il donne un destin à Ubu, le colossal garde du corps de Ra’s al Ghul, et donc connecte son récit aux légendaires épisodes de Denny O’Neil et Neal Adams, renforçant au passage cette fameuse continuité qui manque peut-être aux héros DC à cette époque et qui séduit une partie du lectorat.
Il prête son fauteuil de scénariste à Steve Englehart pour Detective Comics#439, un épisode dans lequel son collègue confronte le héros au souvenir de ses parents : un épisode méconnu dans la production d’Englehart, mais très riche d’émotions.
Le dessinateur de ce chapitre, Sal Amendola, qui officie aussi dans la veine d’Adams, retrouve Goodwin pour le #440, petite fable écolo où le Chevalier Noir prend le parti d’un animal face au shérif (ça pourrait presque être du Bill Mantlo).
L’épisode « Judgment Day! » de Detective Comics#441 permet à Goodwin de travailler avec un autre jeune dessinateur de l’époque, Howard Chaykin, dont l’encrage est encore buissonneux et nerveux (perso : j’adore ce style presque brouillon !). L’épisode, qui s’ouvre sur une prise d’otage, est l’occasion de présenter un personnage destiné à connaître un grand destin dans l’univers de Gotham, le policier Harvey Bullock. Goodwin dresse le portrait d’un flic mal embouché et sans doute corrompu. Le personnage sera repris par Conway qui en fera une sorte de faire-valoir de Gordon inséparable de son stock de sandwichs dégoulinants, puis Dixon et ses contemporains (sans doute sous l’influence du dessin animé de Dini et Timm) l’installeront en flic bougon mais incorruptible, fidèle à son commissaire. Il fait ici ses premiers pas.
Le Detective Comics#442 marque l’association de Goodwin avec Alex Toth pour une histoire taillée sur mesure pour ce dernier, puisque le scénariste y inclut un avion. On voit que Goodwin fait de la série un canevas qu’il adapte aux goûts et aux compétences de ses illustrateurs, tout en développant l’univers et en lui donnant de la cohérence.
Tout ceci ne va pas durer puisque Goodwin sera appelé vers d’autres défis éditoriaux (des années plus tard, il s’occupera du magazine Epic et de la ligne éditoriale du même nom chez Marvel, puis de Legends of the Dark Knight ou Starman chez DC, sacré palmarès), laissant la série aux mains de Schwartz et d’autres editors.
Detective Comics#443 est donc le dernier de son court règne. Il profite de l’occasion pour conclure la saga de Manhunter, faisant se croiser les deux personnages dans un récit commun. Les deux héros figurent également sur la couverture, dessinée par Jim Aparo.
Le feuilleton Manhunter est particulièrement novateur. Goodwin y parle de clonage (on est en 1974, Kirby a évoqué l’idée dans Jimmy Olsen et Ira Levin ne publiera Ces Garçons qui venaient du Brésil que deux ans plus tard, bref l’idée est encore neuve à l’époque), de super-soldat, de conclave scientifique, d’immortalité… Le climat de paranoïa annonce d’une certaine manière ce que l’on pourra trouver par la suite dans la série X-Files ou les films consacrés à Jason Bourne.
Cette période à la fois dense et riche constitue l’une des étapes de modernisation de Batman, un peu coincée entre les initiatives de Denny O’Neil et Adams et la prestation d’Englehart et Rogers, un peu éclipsée aussi par la célébrité de ces deux exemples. Cette réédition, qui date déjà de 2013, est l’occasion de retrouver le frisson d’un personnage en pleine transformation.
Et puisque l’on parle de Manhunter, il existe de nombreuses rééditions, datant d’une époque où les compilations dans des formats moins fragiles étaient rares. Il faut dire aussi que le feuilleton a récolté plusieurs pris et contribué à bâtir la réputation de ses auteurs : Goodwin a remporté le Alley Award du meilleur scénariste en 1973 et 1974, et Simonson a remporté celui de la meilleure histoire en 1973 et du meilleur feuilleton en 1974. Rien que cela justifie que leur prestation sorte du lot.
La première réédition date de 1979, et on la doit à la petite structure Excalibur Press. L’ouvrage s présente sous la forme d’un album souple, à dos carré, et les planches sont en noir et blanc. Le format est plus grand, et permet d’admirer, sous une nouvelle couverture, le travail de Simonson sans les couleurs. L’ensemble est supervisé par Roger Slifer, qui a été scénariste et responsable éditorial.
En 1984, DC publie une première compilation, là encore sous une couverture inédite. Le style de Simonson a changé (c’est celui qu’il arbore sur Thor, par exemple). À cette époque, DC rééditait sous la forme de comics plus épais certaines de ses pépites, mais le tirage doit être moindre, en tout cas les fascicules en question sont recherchés.
Pour l’occasion, le recueil est accompagné d’un texte de Goodwin retraçant les origines du projet, et les planches sont remises en couleurs par l’encreur Klaus Janson. C’est toujours Roger Slifer qui est crédité de la supervision éditoriale.
Une autre compilation verra le jour bien des années plus tard. Elle paraît en 1999, soit l’année suivant le décès de Goodwin. Sous une couverture dotée d’une cinquième couleur, ce qui permet d’avoir un pelliculage doré sur l’illustration inédite, le recueil comprend une dernière histoire muette, sorte de conclusion tardive à la saga.
Le scénariste et le dessinateur avaient en tête un épisode de conclusion, une sorte de « bouclage de la boucle », mais aucun d’eux n’avait eu le temps de s’y consacrer, et le développement de l’histoire n’était pas allé plus loin qu’une trame détaillée. Après le décès de son complice, Simonson envisage dans un premier temps d’abandonner le projet. Il me semble que c’est son épouse, la scénariste Louise Jones-Simonson, qui lui glisse à l’oreille que, puisque les dialogues ont jusque-là été assurés par Goodwin, l’hommage serait plus fort si, justement, ce dernier chapitre était muet. C’est ainsi que l’ensemble de cette dernière aventure, qui voit le Manhunter mener la chasse à un énième clone, est exempte de toute bulle, sauf à la toute fin.
De toute bulle, mais pas de toute onomatopée, les sons si caractéristiques au style de Simonson étant présents sur les planches.
C’est d’ailleurs à partir de cette version (donc avec les couleurs de Janson, tout ça, qu’Urban a proposé son édition française dans les pages de Batman Univers Hors Série#5, qui doit sans doute être encore dénichable chez quelques libraires :
Il y a une vingtaine d’années, j’ai découvert ce que l’on appelle le « Levitz Paradigm », aussi appelé « Levitz Grid ». Il s’agit d’une sorte de grille dans laquelle se développe les intrigues, principales et secondaires, au fil d’épisodes qui se suivent. Paul Levitz est réputé pour avoir formalisé le truc, ce qui ne veut pas dire obligatoirement qu’il a inventé le système.
En gros, il s’agit de lancer une intrigue, puis de la maintenir tout en lançant une autre, puis une autre.
Il existe des schémas, qui personnellement ne me semble ni convaincants ni clairs, mais bon…
Grosso modo, l’intrigue importante, qu’on baptisera « A », occupe le plus grand nombre de pages dans l’épisode. La deuxième intrigue importante (« B ») est traitée à l’aide de subplots, des séquences d’une page ou deux. S’il y a des intrigues secondaires (« C » et « D »), elles seront traitées à la hauteur de quelques cases, si la place le permet. Et quand l’intrigue « A » est résolue, l’intrigue « B » est promue intrigue principale, et les deux autres prennent plus d’importance, libérant peut-être quelques cases pour le début d’une intrigue « E ».
Voilà comment Denny O’Neil formule le truc dans le DC Comics Guide to Writing Comics :
Basically, the procedure is this: The writer has two, three, or even four plots going at once. The main plot — call it Plot A — occupies most of the pages and the characters’ energies. The secondary plot — Plot B — functions as a subplot. Plot C and Plot D, if any, are given minimum space and attention — a few panels. As Plot A concludes, Plot B is « promoted »; it becomes Plot A, and Plot C becomes Plot B, and so forth. Thus, there is a constant upward plot progression; each plot develops in interest and complexity as the year’s issues appear.
Je reste dubitatif que Levitz ait utilisé ce genre de trucs bien souvent. D’une part parce que, sur pas mal de séries à part Legion, il n’avait guère de visibilité, et ne dépassait pas souvent le stade de l’intrigue principale agrémentée de quelques subplots (le début de sa reprise de All-Star Comics ressemble à ça, notamment au sujet de ce qui tourne autour du Psycho-Pirate, et en effet on sent bien qu’une intrigue chasse l’autre, mais c’est pas fréquent). D’autre part on sait aussi que sur Legion, à partir de l’arrivée de Giffen, Levitz fournit à son dessinateur des récits de moins en moins structuré. Vers la fin de la Great Darkness Saga, il fournit un plot qui tient sur une petite page. Levitz occupera des fonctions éditoriales de plus en plus importantes, et le temps qu’il consacre à l’écriture est réduit. En d’autres termes, je trouve que c’est un bien grand mot pour caractériser l’écriture de Levitz, qui me semble nettement plus tâtonnante et moins structurée que ça.
Je reproche aussi à cette technique d’être mécanique. Il manque de l’émotion. Et si effectivement il utilise cette méthode afin de faire monter des mystères et des surprises, ça ne marche pas souvent. Les transitions ne sont pas toujours aisées, chez lui (et dans Legion, où il y a mille personnages et mille décors, l’effet est amplifié). Tout cela manque d’émotion, mais aussi de préparation. Et sur ce genre de choses, un Claremont parvient à conférer plus de drame et d’empathie, et un DeFalco amène mieux ses surprises.
Enfin, je trouve que ce système est un peu érigé en institution. Alors que certains auteurs ne l’utilisent pas. Un exemple frappant, c’est Mike Baron. Sur Nexus, par exemple, ce dernier est capable de laisser une intrigue mûrir en coulisses sans recourir à des subplots. Là où Claremont fait un rappel presque à chaque numéro, Baron était capable de laisser un personnage évoluer loin du regard du lecteur, et de le ramener à un moment clé, en expliquant clairement en quoi il avait évolué. Et ça marchait (je citerai par exemple l’évolution des filles du héros : quand elles reviennent, on comprend le chemin parcouru). Donc en soi, le « Levitz Grid » n’est pas l’alpha et l’omega de l’écriture de feuilleton en BD.
Pour l’anecdote, il semblerait que l’image ci-dessus soit la « Levitz Grid » qu’Alan Moore a utilisée pour Big Numbers (c’est visiblement reproduit d’un bouquin, mais ça ne me dit rien : je n’ai cependant pas toute la littérature sur Moore). Bon, pour moi, ça ressemble surtout à un plan narratif revêtant une forme de tableau, puisqu’on voit bien qu’il n’y a pas d’abandon d’une intrigue pour une autre ni promotion d’une intrigue secondaire à la place d’une intrigue principale.
Quoi qu’il en soit, cela reste très impressionnant de minutie et de vision.
Se tenait-il strictement à cette règle ? Car cela voudrait dire qu’une intrigue principale ne devait jamais être « neuve » aux yeux du lecteur, car toujours préparée en filigrane sur plusieurs numéros !
Je ne pense pas. Je crois qu’il avançait en tâtonnant : dans les années soixante-dix, il « débutait » sur des séries qui étaient abritées dans des sommaires de titres fragiles, susceptibles de s’arrêter, ou dans des back-ups allant d’un titre à l’autre (c’est le cas de Huntress). Dans ce cas précis, il gérait une seule intrigue et faisait avancer les personnages secondaires, eux-mêmes porteurs d’intrigue, mais ils restaient suffisamment en retrait pour qu’il n’y ait pas de sensation d’histoire irrésolue.
Dans les années quatre-vingts, je crois qu’il se reposait énormément sur ses dessinateurs et rédigeait de vagues plots assez courts, et là, la gestion des intrigues dépendait, selon moi, de la manière dont l’illustrateur organisait son découpage.
Je pense que c’est l’idée. Ça se voit dans les récits que j’ai évoqués un peu plus haut : l’intrigue du Master Summoner, qui conclut la période All-Star de la Société de Justice, est amorcée à grands renforts de subplots d’une page ou deux dans chaque épisode. De sorte que, quand ça se précise, le lecteur n’a pas la sensation d’un truc sorti du chapeau. Pareil en ce qui concerne Huntress : les épisodes consacrés au Joker se greffent sur ceux dédiés à l’évasion.
Théoriquement, c’est plutôt pas mal. Et cela n’empêche pas l’irruption d’une intrigue « surprise », même si là, je n’en vois pas d’exemples sur les deux séries mentionnées, qui sont soit organisées selon ce schéma, soit distribuées dans des périodes trop courtes pour que l’on puisse observer une variation.
Après, effectivement, le danger de cette méthode, c’est de tout bien annoncer en amont : cela favorise la fidélisation du lecteur, mais peut diminuer la marge de manœuvre et donc la possibilité de glisser des surprises.
De nos jours, faut voir dans quelle mesure cette méthode est applicable. Les équipes éditoriales, même dans le cas d’une série qui marche bien avec un scénariste engagé sur le long terme, continuent à penser en termes d’édition TPB. Mais un exemple me vient à l’esprit de prestation qui correspond assez à ce qu’une « Levitz Grid » pourrait être : les Detective Comics de James Tynion IV. En fait, il ne consacre pas toujours des pages à des subplots, il réserve plutôt cela à des dialogues véhiculant l’information, mais grosso modo, il a quand même annoncé la League of Shadows dès son premier arc, chaque aventure nourrissant les suivantes. Sauf qu’il est assez rusé et qu’il n’hésite pas à glisser le doute (toujours dans les dialogues) afin de distraire l’attention, et à opérer des détours (par le Victim Syndicate, par exemple), qui eux-mêmes vont nourrir d’autres intrigues secondaires.
Je vois dans cette méthode une sorte d’adaptation de la « Levitz Grid » aux réalités éditoriales d’aujourd’hui.
(Même si je continue à trouver qu’appeler ça « Levitz Grid » ou « Levitz Paradigm » est un peu trop ronflant : c’est du subplot de feuilleton, comme Claremont nous en a donné des exemples désormais incontournables).
Ce titre était considéré comme une des deux principales réussites de l’après Kirby (aux côtés du Orion de Simonson) dans l’article de Fournier sur le 4th World (Comic Box jesaispluscombien, avant la parution du Mister Miracle de King).
J’ai lu les trois numéros qui étaient traduits dans le volume Urban intitulé La Légende de Darkseid (où c’était en bonus de la mini-série Legends), et j’ai pas trouvé ça fou-fou.
Je n’en ai lu que des morceaux, je n’ai pas été impressionné. Ça a l’air sympa, mais sans plus. Cela dit, je n’en ai qu’une vision parcellaire.
(Ce qui me fait penser que je dois reprendre ma relecture de l’intégrale Orion, tiens !)