RÉÉDITIONS DC : TPBs, Hardcovers, Graphic Novels

Nous avions laissé Aquaman à la fin de sa première série, tenue alors par Steve Skeates et Jim Aparo, sous la supervision de Dick Giordano. Visiblement, la fin de la parution avait été un peu précipitée, puisque les intrigues en cours (agitation politique sous la surface, surgissement d’une menace écologique, fin d’intrigue bâclée…) laissait un goût d’inachevé. C’était en 1971. Il faudra attendre trois ans, et les pages d’Adventure Comics #435, pour que le Roi des Mers repointe le bout de son nez dans ce sommaire anthologique où il tient une place mineure. Paradoxalement, le héros va connaître une période riche en péripéties et en drames, que les lecteurs peuvent redécouvrir dans les pages du recueil Aquaman: Death of a Prince.

Aquaman_Death_of_a_Prince

Dans les pages d’Adventure Comics #435 à 437, Aquaman vit quelques aventures assez anecdotiques (complot de cours, manigances de Black Manta…) dessinées par un jeune Mike Grell. Les deux premiers chapitres sont écrits par Steve Skeates, habitué du héros, et le troisième par Paul Levitz, qui se familiarise, le tout sous le contrôle éditorial de Joe Orlando.

Pour la petite histoire, l’excellent Jim Aparo livre à la même époque des chapitres formidables consacrés au Spectre, qui occupe le devant du sommaire. On y retrouve ses noirs profonds et matiérés, ses effets d’encrage riche, et des compositions vraiment enivrantes. L’un des sommets de sa carrière.

Le deuxième chapitre apporte une idée qui reviendra fréquemment dans la suite, à savoir celui du double robotique. Ici, il s’agit d’un automate sosie du héros, mais par la suite certains rebondissements s’appuieront sur des poissons robots. Une autre idée, rapidement abandonnée et pourtant intéressante, est celle de l’ambassadeur de la surface venu parlementer en tenue de plongeur.

Après ce galop d’essai, le « monarque maritime » revient dans Adventure Comics #441. Paul Levitz (assisté de David Michelinie, qui prendra une part de plus en plus grande dans les récits) continue à raconter ses histoires, et Jim Aparo retrouve son héros, pour de nouvelles aventures agréables à suivre, mais au dessin plus simple : c’est très élégant et limpide, mais les planches non plus le charme gothique ou baroque de certaines de ses prestations plus sombres. Aquaman affronte un pirate sous-marin (441), une menace nucléaire (442) ou le Fisherman (443). Levitz construit des récits plus ambitieux (parce que plus long) et établit une continuité plus forte, notamment en recourant à des personnages secondaires qu’il ramène d’un épisode à l’autre, à l’exemple du Général Horgan, de l’OTAN, avec qui le héros ne s’entend pas toujours. Et à la fin de cette troisième livraison, le scénariste lance son premier réel subplot en présentant Karshon, un comploteur cherchant à s’emparer du trône.

Depuis Adventure Comics #441, Aquaman est la vedette du titre, figurant sur les couvertures. Son retour est donc acté, et les auteurs jouent la carte du feuilleton. Dans le numéro 445, David Michelinie reprend le récit en cours : Aquaman a été chassé de l’Atlantide par Karshon, et après un affrontement avec une tribu vivant sous le contrôle d’une plante gigantesque qui, en retour, les protège des requins et autres prédateurs, il découvre que Black Manta est à la tête d’un trafic d’armes en Atlantide (intrigue permettant le retour d’Aqualad et Tula, en passant). Au fil des épisodes, on découvre que son vieil adversaire est associé à Karshon.

L’identité de ce dernier est dévoilée dans Adventure Comics #448. Pour l’occasion, Michelinie et Aparo recourent à un personnage qui n’appartient pas au sérail aquamanien, mais vient de la série d’un autre justicier costumé. L’idée sera reprise par la suite afin de mettre un peu de sel dans les aventures du héros, à qui il manque cruellement une galerie de gredins plus riche.

À la fin de l’épisode, le héros a renversé l’usurpateur mais préfère renoncer au trône et s’occuper de sa famille. Il confie la tâche de régner sur ce monde aquatique à Vulko, le fidèle scientifique et conseiller. Michelinie a pris soin cependant de glisser un subplot annonçant de nouveaux développements, en l’occurrence un mystère autour de l’identité d’Aqualad. Entre-temps, les histoires nous avaient laissé entendre que les personnages allaient s’intéresser à la « tribu perdue », motivation forte chez Karshon et chez Black Manta. La nouvelle intrigue autour d’Aqualad se greffe sur le sujet, puisqu’une nouvelle race d’être marins (aux yeux violets) va faire son apparition. Aquaman affronte un nouvel adversaire, le Marauder (449) ainsi que le Weather Wizard, ennemi de Flash (450), et ça fonctionne bien, le héros s’accorde bien à ces changements de schémas.

Relance de l’intrigue avec l’épisode 451, qui voit Topo, la pieuvre domestiquée de « l’aristocrate aquatique », enlever Arthur Jr. À la poursuite de son fils, Aquaman rencontre Starro le Conquérant (là aussi, ça fonctionne très bien, cette rencontre inattendue) qui contrôle une tribu… d’hommes aux yeux violets.

Michelinie tricote les différentes intrigues en cours, et fait revenir Black Manta, qui a capturé Topo et Arthur Jr et force Aquaman et Aqualad à lutter dans l’arène. Hélas, l’alliance des deux justiciers sous-marins ne suffit pas à sauver le bambin. Michelinie signe là l’un des grands drames de la carrière d’Aquaman et de l’histoire de DC : oui, l’homme qui a rendu Tony Stark alcoolique a tué le fils d’Aquaman.

Chose étrange, ce récit, essentiel dans la continuité du héros et particulièrement marquant, ne s’est pas déroulée dans la série principale, mais alors que les aventures du justicier se déroulaient dans un titre anthologique. Plus étrange encore, c’est à ce moment que la rédaction décide de redonner à Aquaman une série régulière. L’intrigue ne fera que rebondir puisque le monarque se lance dans une quête vengeresse et que d’autres subplots ont rempli les pages des chapitres précédents (dont la disparition de plusieurs diplomates). Mais plutôt que de continuer à faire vivre à Aquaman des chapitres courts et denses, DC annonce le retour de sa série (au chapitre 57) et l’arrivée d’Aqualad dans le sommaire d’Adventure Comics.

Là encore, l’environnement éditorial semble un peu précipité. En effet, le premier épisode, composé de dix-sept planches, semble articulé en deux parties, laissant la sensation qu’il s’agit de la réfection de deux chapitres prévus pour Adventure Comics. Les numéros suivants contiendront une première moitié consacrée à Aquaman (par Michelinie et Aparo, bientôt remplacé par un Don Newton très agréable), et une seconde dédiée à Mera (par Paul Kupperberg et Juan Ortiz, encré par Vince Colletta). Le retour à une série régulière a-t-il été précipité, et devait-il intervenir plus tard ?

Michelinie ne traîne pas, réglant très vite le duel entre Aquaman et Black Manta, et avançant ses pions pour l’intrigue en cours, qui voit le Fisherman piéger le héros pour le compte d’un mystérieux commanditaire. Une fois de plus, ce sera l’occasion de faire intervenir un super-vilain peu habitué des eaux dans lesquelles évolue Aquaman, à savoir Kobra, à la recherche de la cargaison du Bellerophon, un navire échoué en profondeur. Menace terroriste, complot, retour du Fisherman et du Scavenger, ça bouge bien.

Plus étonnante est la saga consacrée à Mera. Sur les conseils de Vulko, elle se rend dans l’autre dimension dont elle originaire afin de retrouver Xebel, le savant de là-bas qui dispose peut-être d’un appareil susceptible de sauver Arthur Jr, plongé dans un coma profond. Entre les lignes, les lecteurs modernes constatent que Xebel est ici le nom d’un personnage, et non d’un lieu, et que ce monde dimensionnel n’est pas encore la prison que Geoff Johns définira plus tard.

Le récit est plutôt rapide et sympathique, mettant en vedette une héroïne assez badass pour l’époque. Ce qui frappe, en revanche, c’est que les trois chapitres laissent poindre la possibilité que l’enfant soit sauvé. Mais à la fin, Mera arrive trop tard. Que l’équipe éditoriale est sadique, à faire miroiter une fin heureuse à ce drame d’une ampleur inédite, me semble-t-il. Les editors se sont-ils ravisés au dernier moment ? Ou bien est-ce l’un de ces retours brutaux dont l’histoire des super-héros est coutumière, à savoir que la figure de père s’accorde mal au genre et qu’il fallait revenir à un héros sans entrave. Après tout, les dialogues insistent régulièrement sur le fait qu’Aquaman a été super-héros avant d’être roi. Privé de son trône et désormais de son héritier, correspond-il à des exigences éditoriales formulées alors ?

Le recueil assemble également les chapitres d’Adventure Comics #453 à 455 consacrés à Aqualad, en quête de ses origines. Le jeune homme va fouiller dans les archives de la « tribu perdue » et découvrir qui était son père. Sur des scénarios de Paul Kupperberg, le jeune Carl Potts livre des planches intéressantes et ambitieuses, qui ne sont pas sans dévoiler une influence certaines de Marshall Rogers, dont il singe les onomatopées, les motifs abstraits ou les effets d’ombre. C’est surtout sensible avec l’encrage de Dick Giordano.

Le recueil reprend ensuite avec le dernier épisode de Michelinie et Newton, qui mettent un terme à l’intrigue autour de Kobra. C’est l’heure du départ pour le scénariste (qui se consacre en parallèle à sa jeune série Star Hunters), et c’est Paul Kupperberg qui signe les deux derniers épisodes (#62 et 63) de la série, illustrés encore par Newton. L’épisode 62 arbore la fameuse couverture de la tombe, qui servira à orner le recueil (on remarquera pour l’occasion que le lettrage de la tragique bulle de Mera a été refait, mais si l’on regarde la vieille version, on peut se demander pourquoi elle a été retouchée).

Dans ces deux chapitres, Aquaman affronte d’abord un nouveau venu, Seaquake, puis Ocean Master, lui-même à la recherche d’une arme antique enterrée sous l’Atlantide. Le récit en lui-même est agréable, quoique un peu précipité. On est en septembre 1978 et l’arrêt de la série est sans doute en lien avec la fameuse « DC Implosion » qui frappe le catalogue DC à l’époque. Le récit prévu pour Aquaman #64, signé Paul Kupperberg, Don Newton et Dan Adkins, paraîtra dans Adventure Comics #460, une sympathique intrigue anti-chasse sous-marine qui ne sera pas compilé dans le recueil.

Une fois de plus, le sort d’Aquaman est scellé. Cette fois, les auteurs ont eu le temps de clore les récits en cours, ainsi qu’une période intéressante marqué par un drame qui se fait encore sentir dans la gestion du personnage, des décennies plus tard.

Jim

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