Iron Man #114 est daté de septembre 1979. Avengers Annual #9, sort dans la foulée d’Avengers #188 (évoqué quelques posts plus haut) lui-même daté d’octobre 1979 : les lecteurs fidèles n’ont pas long à attendre, d’autant que la dernière planche d’Iron Man #114 annonce qu’Arsenal va revenir dans une aventure des Vengeurs, sans préciser laquelle.
Le scénario est signé Bill Mantlo, scénariste de la première apparition. De là à penser qu’à l’origine, l’idée était peut-être prévue pour une aventure de Tête de Fer, ce n’est pas impossible, d’autant que Tony Stark occupe pas mal de place dans le récit. L’imprécision de la mention figurant à la fin d’Iron Man #114 suggère que, peut-être, Mantlo pouvait éventuellement devenir le scénariste régulier de la série Avengers, emportant avec lui certaines de ses sous-intrigues. Après tout, c’est bien lui qui signe le scénario d’Avengers #188, il est donc dans les petits papiers de la rédaction. Mais un autre scénariste est dans le même cas, David Michelinie, qui travaille sur la série Avengers depuis quelques mois (parfois à plusieurs) et bénéficie de l’appréciation de Jim Shooter. Ce qui peut expliquer que l’intrigue de Mantlo soit reléguée dans les pages de l’Annual à venir, dont les dessins sont confiés à Don Newton, un formidable dessinateur réaliste qui s’est fait remarquer sur les aventures de la Famille Marvel ou d’Aquaman, chez DC.
Donc, l’intrigue : Iron Man convoque l’équipe, et si la discussion est houleuse, tout le monde s’accorde à fouiller les sous-sols afin au mieux de retrouver Arsenal, et à défaut de trouver des indices.
Dans les sous-sols, justement, Arsenal est toujours là, bénéficiant d’une réparation fournie par des machines visiblement autonomes. Et quand les Vengeurs décident de fouiller les niveaux inférieurs, Hawkeye, Beast et Yellowjacket découvrent un trou dans un mur menant à une série de cavernes qui ne sont pas recensées dans les plans du manoir. Bon, qu’est-ce qu’ils font ? Bah ils vont voir, pardi !
De leur côté, Iron Man et ses compères, qui ont mis un peu d’eau dans le vin de la relation acide qu’ils entretiennent avec Henry Peter Gyrich, apprennent par ce dernier qu’un savant, le professeur Singer, a peut-être trouvé une piste correspondant au problème en cours.
Le scientifique explique avoir retrouvé trace d’un être humanoïde appelé Arsenal. La créature a été développée en 1944, par les scientifiques américains qui estimaient nécessaire de créer une arme, une « doomsday weapon » selon les termes de Singer, visant à protéger l’Amérique dans l’éventualité où l’Allemagne nazie l’emporterait : c’est le « Project Tomorrow ».
L’appareil, armé jusqu’aux dents synthétiques, est couplé à une unité de contrôle appelée Mistress. Et le tandem artificiel est disposé afin de se réveiller, par alerte sonique, en cas de défaite des Américains.
Bien entendu, c’est à ce moment que Singer dévoile aux Avengers que l’un des savants en charge du « Project Tomorrow » n’est autre que Howard Anthony Stark. À relire l’épisode, je me pose la question suivante : quand est-ce qu’on appris que le second prénom de Howard était celui qu’il allait donner à son fils ? Ici ?
Autre question qu’il faudra que j’élucide, c’est : quand donc Thor a-t-il appris la réelle identité de son collègue Iron Man ? Ah, que de relectures en perspective !!!
Bien entendu, les héros eux aussi ont des questions (bon, pas les mêmes que moi, oui oui…). L’une d’elles trouve assez vite sa réponse : ayant échappé de peu à l’assaut d’Arsenal, que les trois fouinards ont fini par rencontrer dans les cavernes, Yellowjacket parvient à contacter ses amis dans la salle de réunion, et les informer que le « Project Tomorrow » était basé… sous le Manoir Stark !!!
S’ouvre alors la seconde partie de l’Annual. Les héros, bien conscients qu’ils affrontent une arme créée par Howard Stark et persuadée d’être attaquée par des agents nazis, luttent dans des pages bien musclées contre Arsenal, lui-même guidé par les conseils de Mistress.
C’est d’ailleurs en décidant de s’en prendre à cette conseillère informatique plutôt qu’à son gros bras mécanique que les Vengeurs, à l’initiative de Cap, parviennent à renverser la vapeur.
Parvenant jusqu’à l’unité centrale de Mistress, Iron Man libère Hawkeye et Beast. Et une fois seul, il fait face à l’alliée d’Arsenal. Le héros en armure avait une autre question à poser à Singer. Mais il n’a jamais eu le temps d’avoir la réponse. Qu’importe, la réponse, il la connaît : la personnalité de Mistress a été forgée à partir de celle de la femme qu’aimait Howard Stark. Retirant son heaume, Tony Stark se dévoile à Mistress et lui apprend que la guerre a été gagnée, que le « Project Tomorrow » n’a jamais été annulé ni reprogrammé, et au contraire a été oublié, et que Howard Stark ainsi que son épouse sont morts depuis lors.
Ne pouvant supporter la révélation, Mistress commence à effacer ses banques de données et à détruire son équipement : la disparition de l’unité de contrôle entraîne la défaite d’Arsenal. Pour la deuxième fois, Tony Stark voit partir sa mère.
L’épisode se conclut sur la solitude du héros, dans une de ces scènes d’émotion qu’affectionne Bill Mantlo, personnage voûté, courbé, écrasé par le destin et plus seul que jamais.
Bien entendu, Dan Slott se souviendra plus tard de cet épisode qui, étonnamment, depuis Mantlo, n’avait que peu nourri les intrigues autour d’Iron Man ou des Avengers. Je n’ai pas une connaissance parfaite de la série Iron Man, mais j’ai bien l’impression que c’est l’une des premières occurrences, voire la première, des entreprises et des échecs de Howard Stark. À ce titre, cet Annual est un tournant.
Le récit est composé en deux parties clairement identifiées. La première partie est encrée par Jack Abel, qui fait la démonstration de son style propre, mais un peu plat et lisse (je rédécouvre son travail, et si je n’aime pas tout, j’y vois moins de défauts qu’avant). La seconde est encrée, embellie peut-on carrément dire, par Joe Rubinstein, l’encreur que Don Newton désirait avoir quand il a commencé, très brièvement, à travailler pour Marvel. Le résultat est incomparablement meilleur : des ombres, des modelés, des effets pyrotechniques, des trames, bref, tout un… arsenal graphique du meilleur effet. L’équipe Newton / Rubinstein est excellente.
Mais alors, pourquoi deux encreurs, pourquoi deux parties ? Il semble clair, comme nous l’avons évoqué plus haut, que le récit était prévu en deux parties d’une série. La présence centrale de Tony Stark et de sa famille plaide pour une histoire d’Iron Man à l’origine. Et si l’on compare avec les récits qui suivent Iron Man #114, on remarque que Tony Stark, à l’issue d’Iron Man #116 (le premier Michelinie) se retrouve dans une situation de désespoir solitaire comparable (mais cette fois pour la seule raison qu’il est séparé de Whitney Frost). Si les deux chapitres consacrés à Arsenal avaient été publiés à la suite de sa première apparition, on aurait donc sans doute eu, là aussi, un Tony Stark déboussolé. Mais peut-être cela aurait-il fait trop.
L’intrigue a donc glissé (comme le suggère la mention à la fin d’Iron Man #114) dans le programme éditorial de la série Avengers. C’est là qu’intervient Don Newton. Contacté par Marvel, il exprime clairement son goût pour Captain America dont il désire illustrer les aventures. La rédaction n’a pas de place sur la série du héros patriote, première désillusion, mais lui propose deux épisodes des Avengers. Deuxième désillusion : Rubinstein, qu’il souhaite voir encrer ses planches, n’est disponible que pour le second chapitre. Troisième désillusion : pour des raisons obscures de calendrier, les deux épisodes sont compactés dans un Annual.
Déçu de ne pas avoir l’encreur qu’il souhaite, de devoir attendre pour dessiner le héros dont il rêve, et d’être ballotté de projet en projet, Newton retournera chez DC illustrer (très bien) les aventures de Batman, ne dessinant plus tard qu’un autre épisode d’Avengers, le numéro 204. Il est décédé en 1984, à 49 ans, de complications cardiaques, ce qui est d’autant plus triste que ses progrès et son niveau ne cessaient d’augmenter.