Après avoir évoqué la séries Blue Beetle des années 2000, j’ai dévoré le recueil format Showcase (gros pavé noir et blanc) consacré à la série des années 1980.
Et c’est une excellente surprise, un vrai plaisir de lecture.
Resituons rapidement : nous sommes en 1986, Crisis on Infinite Earths a redéfini les contours de l’univers DC, et l’éditeur a fait l’acquisition de la ligne « action » de Charlton, récupérant donc Blue Beetle et Question (et quelques autres héros moins connus, Peacemaker, tout ça…).
C’est le vétéran Len Wein qui se charge des scénarios. Là encore à des fins de précisions, rappelons que ce gars a signé quelques passages intéressants sur Amazing Spider-Man ou Thor, chez Marvel, copiant les procédés et le style de Stan Lee. Personnellement, j’aime bien, c’est lisible, carré, solide, les histoires font en général un, deux ou trois épisodes, il sait où il va sans se lancer dans des délires ingérables. Il a la réputation (pas immérité, faut reconnaître) d’être un copieur, de ressortir les vieilles recettes, mais quand le plat est bon, c’est pas grave. Il est également lié à la création de Swamp Thing et Man-Thing, ainsi qu’au lancement des X-Men de 1975. C’est donc un monsieur assez sérieux dans le métier. Chez DC au milieu des années 1980, il fait plein de choses. Pour les lecteurs VF actuels, disons que c’est le dialoguiste du Legends d’Ostrander et du Wonder Woman de Pérez.
Au dessin, il est épaulé par Paris Cullins. Alors moi, je ne connais pas bien. J’associais jusque-là à des prestations secondaires, sans réellement visualiser son travail. Et en fait, c’est plutôt intéressant. Le premier épisode rappelle un peu Pat Broderick (mais la présence de Bruce Patterson à l’encrage n’est pas étrangère à cette parenté), avec un sens du détail et des grands yeux mangas qui lorgnent aussi en direction d’Art Adams. Ça m’évoque également les Spectacular Spider-Man de la période Marie Severin / Ed Hannigan / Al Milgrom, que je tiens en grande estime.
Et progressivement, Cullins va se développer. Ses personnages sont encore un peu raides et hésitants, mais il y a une générosité évidente. C’est riche, c’est copieux, ça en donne pour son argent. Les changements d’encreur (je pense notamment aux épisodes de Del Barras) font ressembler le trait aux travaux de jeunesse de Mark Bagley. Y a de l’énergie, là-dedans.
Par la suite, il sera dépanné par Chuck Patton (encore un dessinateur que je connais mal et mésestime : je dois seulement avoir un Teen Titans Spotlight de lui, or son épisode de Blue Beetle évoque beaucoup l’Alan Davis de la même période, c’est plutôt chouette) puis remplacé par Ross Andru (avec quelques pages de Gil Kane) et Don Heck (super bien encrés, tous deux, par Danny Bulanadi).
La présence de Ross Andru, célèbre dessinateur de Spider-Man (sur des scénarios de Wein, notamment) ne fait que rappeler encore la proximité entre ce héros et un autre Monte-en-l’air.
Bref, graphiquement, c’est plutôt chouette.
La série est très agréable à lire. Wein, qui semble connaître aussi bien le Blue Beetle de Ditko que son Spider-Man (dont il a été le scénariste), goupille des histoires qui sont autant de clins d’œil. Ted Kord, l’héritier du premier tenant du titre, passe son temps à trouver des prétextes pour s’absenter, réitérant les schémas de Peter Parker. Le deuxième épisode propose une citation sans ambiguïté de la célèbre scène où Spidey est coincé sous des poutres.
Les épisodes 5 à 7 marquent la rencontre avec Question, soit deux héros de Ditko dans une même aventure. Le trait de Cullins se stabilise un peu, il intègre quelques astuces de Kirby mais il est en constant hommage à Ditko. Il va jusqu’à utiliser des cases horizontales pour les scènes de baston, avec plein de personnages et plusieurs ilgnes de mouvement, comme le créateur du personnage. L’histoire, narrant un quiproquo tournant à la catastrophe entre un père et un fils, utilise la thématique du masque chère à Ditko tout en jouant sur des ressorts que n’aurait pas reniés Bill Mantlo. Le huitième épisode est une chronique douce-amère de la vie d’un petit criminel, proposant une réflexion sur la rédemption. Classique, là encore très marvélien.
Wein intègre très bien la continuité de sa série à celle de l’univers DC. Les passages obligés par Legends ou Millenium sont très souples et fluides. De même, si ses récits ne sont pas très longs, il déroule des fils rouges sur plusieurs épisodes (par exemple, l’histoire de Chronos, en filigrane sur la première année).
C’est d’ailleurs à ce niveau que Wein tend le bâton pour se faire battre. En effet, la série durant 24 numéros, de juin 1986 à mai 1988. La seconde année est marquée un sub-plot assez intéressant, impliquant un vilain français (un certain Cornelius, sans doute le même que celui de la série télé des années 1970), l’enlèvement d’un savant travaillant pour Kord, le retour des Boy Commandos (ayant pris quelques années), et plein d’autres choses. Mais il semble qu’à un certain moment, le couperet soit tombé : ce qui semblait être une décision bien arrêtée des vilains dans un épisode devient une remise à plus tard dans le suivant (sur le mode « bon, d’accord, on ne le fait pas, mais je n’ai pas dit mon dernier mot »). Ça sent l’intervention de dernière minute (de la part de Denny O’Neil, alors editor du titre), demandant clairement à son scénariste de plier la tente.
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Wein signera encore quelques courts épisodes où reviennent les vilains des premiers épisodes (Chronos, Karapax…), signe que la série boucle la boucle avant de fermer boutique. Dommage, j’aurais bien aimé savoir ce que le scénariste avait en réserve, d’autant qu’il était épaulé, pour ces épisodes, par notre Jean-Marc Lofficier national, qui s’ingéniait à insérer de nombreuses références (Cornélius déjà cité, mais aussi Belphegor…). Il me semble que certaines de ces créations reviennent dans des Deathstroke de Wolfman, ceux du « tour du monde » auxquels Lofficier a également participé. Faudra que j’y jette un œil.
Le gros volume Showcase contient les vingt-quatre épisodes de la série (avec les couvertures, dont une jolie signée Mignola dans son style encore débutant), complétés par le récit publié dans la série Secret Origins (le Showcase consacré à Booster Gold est bâti sur le même modèle). L’ensemble se lit très bien (bon, faut aimer les trucs bavards, mais suffit de savoir lire), et permet de redécouvrir à pas trop cher une série qui mérite d’être connue. Sans être géniale, elle témoigne de la grande santé de DC à l’époque, qui savait faire de bons divertissements en faisant confiance à ses auteurs.
Jim