J’ai lu hier soir le TPB Inhumans: By Right of Birth, qui reprend le fameux graphic novel écrit par Ann Nocenti, ainsi qu’un fascicule revenant sur l’histoire des Inhumains, nettement plus anecdotique.
Le graphic novel en question, sortie en 1988, j’en avais entendu parler depuis des commentaires dans les pages de Scarce, et je n’avais pas eu l’occasion de le lire. Le confinement a ses bons côtés.
Tout commence alors qu’un mariage est bientôt célébré en Attilan. Les dialogues nous apprennent que c’est chose rare, que le conseil génétique n’est pas toujours disposé à autoriser de tels dérapages, et que la fête sera d’autant plus fastueuse que les occasions sont rares. En quelques lignes, la scénariste parvient à éclairer les aspects obscurs et inquiétants d’une société en autarcie articulée autour d’obsessions eugénistes.
Parallèlement, la reine Medusa apprend à son mutique époux Black Bolt qu’elle attend un enfant, qu’elle promet être un héritier. Une certaine tension se crée, et on découvre bien vite que les inquiétudes du souverain sont liées au fait que le conseil, qui s’exprime par la voix du Chief Justice braqué sur ses traditions, n’apprécie pas la nouvelle, et suggère à la future maman de se débarrasser de l’enfant à naître. Les arguments qui pointent sont associés à la lignée, les autorités craignant que le bambin n’hérite soit de la voix de son père, soit de la folie de son oncle Maximus, soit des deux (tant qu’à faire).
Medusa décide donc de quitter Attilan, de se rendre sur Terre, malgré la menace de la pollution qui avait justifié le déménagement sur la Lune, et d’y donner naissance à son enfant. Elle est bientôt rejointe par divers membres de la famille royale qui choisissent de l’épauler, déçus par la rigidité du conseil (que Gorgon voyait comme un repère moral et politique). S’ensuit une intrigue à coloration écolo où Crystal tente de chasser toutes les traces de pollution afin de garantir la santé au petit, pollution qui finira par s’incarner dans une créature elle aussi nouvelle-née et tentant de comprendre le monde hostile où elle a pris conscience.
À la fin du récit, alors que le bébé est venu au monde et que la famille royale s’est débarrassée de la menace tout en prenant conscience que le monstre n’existe que par leur volonté de manipuler leur environnement, Medusa revient auprès de Black Bolt et tente de convaincre le conseil de protéger la vie de l’enfant… en vain, puisque les parents sont séparés de leur rejeton.
L’ensemble est plutôt pas mal, et Ann Nocenti dresse le portrait d’une société oppressante loin de l’utopie isolationniste qui transparaissait dans la version de Kirby et de ses successeurs immédiats. L’entreprise est plutôt louable et courageuse, même si elle ne manque pas de maladresse par certains côtés.
Par exemple, la scénariste perd un peu de temps à mettre en scène les chicaneries entre membres de la famille royale (Gorgon et Karkak n’en finissant pas de se chamailler), ce qui permet d’éclairer les visions de chacun et donc d’établir un tableau de la société, mais ce qui détourne un peu de la situation politique générale (là où, par exemple, insister davantage sur le Chief Justice, en essayant d’étayer sa vision des choses, aurait permis de gagner en pertinence, en objectivité).
De même, le parallèle entre la manipulation génétique et l’impact écologique, s’il repose sur une approche assez logique (deux aspects de la dialectique nature / culture), finit par interférer un peu dans le discours. Le monstre né des quatre éléments manipulés est lui aussi un enfant « innocent » découvrant le monde, mais la longue séquence sur Terre apparaît presque comme une diversion éloignant les auteurs de la critique politique qui commençait pourtant à gagner en force. En bref, un peu comme si deux histoires avaient été condensées de force en une seule.
Cependant, Ann Nocenti est parvenue à faire une chose très intéressante : elle a donné une voix particulière à chacun des personnages qui (me) donnaient jusque-là l’impression de tenir à peu près tous le même discours, le même son de cloche, dans leurs aventures précédentes. Ne serait-ce qu’en matière de perception, chacun d’eux voit les choses différemment, ce qui finit, paradoxalement, par les rapprocher.
On pourra cependant lui reprocher d’écrire Maximus comme s’il s’agissait de Loki, sur le mode du comploteur rieur et narquois. Mais elle parvient à fragiliser le personnage, là encore parfois à gros traits, mais cela donne un apprenti despote éclairé d’une lumière nouvelle (pour l’époque).
Question dessin, c’est assez formidable. Bret Blevins officie avec le talent qu’on lui connaît, dessinant notamment un Black Bolt majestueux, aux larges épaules et aux hanches fines qui n’est pas sans rappeler la version qu’en donne Mike Zeck.
À l’encrage, Marvel a eu la bonne idée de recruter Al Williamson, formidable dessinateur de strips, connu pour ses histoires dans les EC Comics et pour son travail sur Star Wars (et pour avoir accompagné John Romita Jr lors d’une transformation passionnante de son style). Ensemble, ils livrent un travail tout en finesse, avec des ombres, des modelés, des drapés… Un mariage épatant.
Le sommaire du petit recueil comprend également Inhumans Special: The Untold Saga, qui se donne pour but de retracer dans l’ordre les péripéties que l’on connaît déjà concernant ces personnages (l’amnésie de Medusa, la séparation de Johnny et Crystal).
Le script est signé de Lou Mougin, un auteur venu du fanzinat qui s’est également illustré sur un épisode d’Avengers Spotlight. Le dessin est confié à Richard Howell, ce qui en soi n’est pas une mauvaise idée dans le sens où ce dernier sait ajouter des touches kirbyennes à son travail (bon, surtout le Kirby des romance comics, mais c’est pas grave). La mauvaise idée réside dans l’encrage de Vince Colletta, qui amollit l’ensemble et n’arrive pas à embellir les cases les plus faibles, ne faisant ressortir que les faiblesses du dessin de Howell.
La plongée dans ce recueil, qui est complété par la reproduction d’un article paru dans Marvel Age et de quelques fiches du Marvel from A to Z (où l’on se rend compte que Rubinstein a sans doute encré toutes les illustrations, tant son nom revient), m’a permis de me rendre compte qu’il y avait beaucoup de choses que j’avais oubliées ou que j’ignorais sur les Inhumains (je ne savais pas que Karkak disposait de pouvoirs « naturels » et non fournis par les brumes, et je ne me souvenais plus qu’il était le frère de Triton…). Et ça m’a donné envie de me replonger dans d’autres récits.
Jim