RÉÉDITIONS MARVEL : TPBs, omnibus, masterworks, Epic…

Et puisque l’on vient de parler du trio de guerriers qui accompagnent Thor dans ses aventures, signalons un autre recueil, toujours dans la prestigieuse présentation de la collection « Marvel Premiere Edition » : The Warriors Three Unleashed.

Plus fourre-tout que l’autre recueil, le sommaire de celui-ci est également plus disparate et visuellement plus inégal. Tout commence avec Thor King-Size Special #2, daté de 1966, et dont je n’avais là aussi guère de souvenir (le récit n’a pas été traduit avant une intégrale chez Panini, et si je l’ai dans un Essential, j’ai dû passer les pages un peu vite). L’intrigue, basique, montre Odin organiser un tournoi dans lequel s’inscrivent Thor et ses trois amis. Exilé, Loki projette son esprit dans l’armure du Destroyer, un être artificiel apparu quelque temps plus tôt dans la série régulière, et se lance à l’assaut d’Odin.

L’intrigue est rapidement évacuée, témoignant d’un certain degré d’improvisation de la part de Lee et Kirby (qui, sans doute, doivent considérer que les épisodes dits « Special » ne doivent pas porter à conséquence, les vrais événements devant se produire dans la série mensuelle).

Le récit est donc assez oubliable, même si Kirby déploie son énergie habituelle (en 1966, il entre dans la période où il tutoie les astres). L’encrage minimaliste de Colletta est sans doute aussi pour beaucoup dans l’attrait général de l’épisode.

Le sommaire propose ensuite quelques back-ups, tirées de Thor #400 (la rencontre entre les trois lascars), 410 (un récit dessiné par Herb Trimpe où Volstagg raconte, en vers), 415 (un épisode encore dessiné par Trimpe où Hogun tente de se débarrasser d’un garçon qui veut devenir son élève) et 416 (une petite pépite dessinée par Mark Texeira où l’on rencontre la femme qui compte le plus pour Fandral). Rien de bien inoubliable, même si les planches de Texeira sont vraiment éblouissantes.

Suit un petit récit extrait de Marvel Comics Present #66, écrit par Sholly Fisch et dessiné par Sam Grainger dans une approche humoristique, où Volstagg, sous le charme de l’Enchanteresse, dérobe un joyau. C’est amusant, décalé, là aussi complètement dispensable.

Volstagg encore ouvre le bal dans un récit de complément pour Thor Annual #17 (de 1992, on en a parlé récemment à cause du cross-over « Citizen Kang »), par John Lewandowski et Kevin Kobasic, où les trois guerriers se mettent en quête de réunir la fiancée d’Ulik le Troll et son grand amour. Là encore, humour, comédie et intrigue sans conséquence sont au rendez-vous.

Au milieu de ce sommaire divertissant et amusant mais sans grande ambition surgit le Marvel Super-Heroes 80-Pages Special de l’automne 1993. Ce numéro, qui présente des récits inédits d’Iron Man, Thor et Doctor Druid (et non Hulk comme l’indique la couverture), mérite qu’on s’y attarde un peu.

La série Marvel Super-Heroes, lancée en 1990, tourne autour d’un postulat éditorial voisin de celui qui a prévalu pour la première version de Marvel Fanfare, à savoir qu’on peut y offrir un refuge pour les histoires qui n’ont pas été publiées. À la différence de Marvel Fanfare, cette série trimestrielle (le numéro évoqué ici est le quinzième et dernier) ne propose pas d’encadrement éditorial et ne revendique pas la même exigence qualitative. Les planches publiées sont d’un niveau moyen inférieur (même si on y trouve des choses magnifiques, comme une histoire de Vision & Scarlet Witch par Mantlo et Mignola - dans son style ploogien - ou un épisode du Black Knight par un Alan Davis en pleine forme, sans compter de nombreuses aventures de Speedball, notamment par son créateur Steve Ditko). Mais le principe général est le même, offrir à des histoires refusées pour mille raisons une occasion de toucher le public, le tout avec quelques illustrations d’auteurs divers (là aussi moins bon). C’est notamment dans Marvel Super-Heroes que l’on peut lire les deux épisodes de Ms Marvel que Mike Vosburg a dessinés, avant l’arrêt de la série, un document historiquement passionnant. Bref, cette série fourre-tout mérite qu’on y fouille, même si ce qu’on en remonte n’est pas toujours d’un niveau étourdissant.

Donc, dans ce dernier numéro, il y a deux histoires liées à Asgard, une aventure de Thor par Scott Lobdell et Don Heck, et un récit consacré à Volstagg par Walt Simonson et Joe Barney. Difficile à dire si ce récit a été écrit à l’époque où Simonson travaillait sur Thor, s’il était prévu dans le sommaire d’un Annual (sa longueur, dix-sept pages, pourrait laisser penser qu’il s’agit d’une back-up). Plus intéressant est le fait que les planches soient dessinées par Joe Barney.

Dans mon esprit, le nom de Joe Barney est associé à un célèbre projet avorté, chez DC, celui d’une série régulière consacrée à Gorilla Grodd. Le projet devait être écrit par Cary Bates, et au moins deux pages circulent un peu partout, montrant les planches de Joe Barney encrées par Terry Austin. Et c’est plutôt joli, la preuve :

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Mais la « DC Implosion » passe par là et ce projet de série Gorilla Grodd ou Gorilla City tombe à l’eau. J’ai ensuite repéré le nom de Joe Barney dans une aventure de Hulk publiée dans Marvel Fanfare #7. Mais justement, Marvel Fanfare, c’est un titre où se retrouvent des épisodes refusées précédemment, donc je peux facilement imaginer que le dessinateur a encore rencontré des difficultés pour être publié, difficultés que je crois déceler dans la parution de ce récit consacré à Volstagg dans Marvel Super-Heroes. Croyant voir en Joe Barney la figure d’un « artiste maudit », le héros d’un destin contrarié, j’ai tout de même découvert que cet illustrateur a travaillé auprès de Neal Adams, fréquentant l’informel groupe des Crusty Bunkers puis travaillant dans l’officiel Continuity Studio sur des publicités. C’est là qu’il rencontre des gens comme Carl Potts ou Larry Hama, ce dernier avec qui il réalisera les storyboards de l’adaptation de 2010, pour laquelle Tom Palmer fera le dessin et les couleurs (ne vous y trompez pas si vous avez la version Lug : dans les crédits, ils traduisent « layouts » par « dessins », alors qu’il s’agit plutôt de storyboards poussés ou d’esquisses, tandis que Palmer est crédité pour « finishes, inks and coloring », ce qui veut dire qu’il a finalisé le dessin). Depuis lors, Joe Barney est passé par la case multimedia, fondant son propre studio de publicité et promotion par la bande dessinée, et travaillant dans des milieux aussi divers que le cinéma, le dessin animé ou les jeux vidéo. Loin de la figure de l’artiste maudit, il a fait carrière ailleurs que dans les comic books, et semble avoir survécu à l’expérience (il faudra que je regarde son What If? #70, qui me semble un rare exemple d’une BD de sa main publiée en temps et en heure).

Pour en savoir plus sur Joe Barney, on peut aussi lire une interview :

Je n’ai vu que quelques illustrations de Joe Barney, je n’ai lu que deux épisodes (et deux pages), il est donc difficile de parler de son style, mais on y retrouve souvent une massivité sans doute héritée de Kirby, une certaine limpidité dans le trait, des personnages hiératiques et une volonté d’être dynamique et puissant. Si j’osais des comparaisons, je dirais que son travail pourrait s’apparenter à ce qu’un Joe Bennett peut faire, mélangeant le réalisme et l’exagération. On peut y voir aussi du Jon Bogdanove. Voire de l’Erik Larsen, un peu.

Joe Barney semble dépendre de son encreur (comme beaucoup, vous me direz). Dans Marvel Fanfare, il est encré par George Freeman, qui lui confère une ligne souple, déliée, fluide. Sur la couverture de Marvel Super-Heroes, il est encré par Larry Mahlstedt, et la parenté éventuelle avec Bennett ou Larsen semble plus palpable. Hélas, ce n’est pas lui qui encre les pages intérieures, mais un certain Frank Turner, dont les pin-ups émaillent le sommaire de plusieurs numéros de Marvel Super-Heroes, sans que l’on puisse être véritablement impressionné par la démonstration. Cela ressemble une fois de plus à une occasion ratée.

Simonson tricote pour Barney une histoire classique (à nouveau, Volstagg est sous l’emprise de l’Enchanteresse qui, une fois de plus, convoite un diamant colossal, mais cette fois-ci le joyau scelle une porte retenant des Géants loin d’Asgard. On retrouve les décalages entre la réalité et l’interprétation qu’en fait le volumineux vantard, qui brille auprès de sa nombreuse descendance avec de se faire rabrouer par sa moitié.

Sous l’encrage maladroit, on sent un crayonné dynamique, vivant, expressif, parvenant à mélanger l’action et la caricature, et on se plaît à songer à ce que ça pourrait donner avec un soutien visuel plus professionnel.

On peut d’ailleurs émettre les mêmes regrets pour le dernier épisode du sommaire, le Journey into Mystery #-1 appartenant à l’opération « Flash-back ». Le récit s’inscrit dans le cadre de la réfection de Thor en Journey into Mystery (à hauteur de Heroes Reborn), une période durant laquelle le scénariste Tom DeFalco entraîne tous les personnages secondaires de la série dans une longue intrigue contre un ennemi bien connu (je vous aide : un échappé d’une mythologie voisine, qu’il a déjà utilisé dans les épisodes dessinés par Ron Frenz).

Le principe de l’opération « Flashback », aussi appelée « Minus One » (pour « moins un ») est de dévoiler une aventure passée des héros. Tom DeFalco s’en sort bien, mais il est aidé ici par les Deodato Studios, un nom collectif qui dissimule différents illustrateurs exploitant le nom d’un dessinateur vedette de l’époque. Pour le coup, ce récit n’est pas prodigieusement laid, mais on retrouve tous les tics navrants de l’époque, à commencer par une représentation pour le moins machiste de l’anatomie féminine. Difficile d’identifier le style des auteurs anonymes s’agitant sur les planches. Parfois on croit reconnaître le travail d’un Ed Benes de l’époque, ou d’Adriana Melo. Gageons qu’ils se sont mis à plusieurs, et regrettons que Gil Kane n’ait réalisé que la couverture, assez chouette.

Cet épisode, un peu extirpé de son contexte, conclut un recueil anecdotique, qui vaut surtout pour son caractère historique, et qui à mon sens ne mérite nullement le format élégant et agréable des « Marvel Premiere Edition ».

Jim