RÉÉDITIONS MARVEL : TPBs, omnibus, masterworks, Epic…

Ces derniers temps, je me suis replongé dans les Captain America de Mark Waid. Comme je l’avais dit un peu plus haut, si j’ai adoré son premier tour de piste, dont les qualités (la rapidité, la densité, la générosité, la capacité à articuler la seconde intrigue sur la première…) me séduisent et m’emportent, j’ai été moins emballé par la relance, lors de l’opération « Heroes Return ». Je trouvais que ça mettait du temps à démarrer. J’ai reparcouru ces premiers épisodes, et mon impression est un peu adoucie : c’est pas mal. Ça met du temps, effectivement, les récits se suivent avec quelques subplots, mais privilégiant les récits courts axés sur une thématique (la Capmania du premier, le bouclier dans le deuxième…). La résolution de l’intrigue en route (un complot de Hydra… mais en fait c’est pas Hydra…) est plutôt chouette, d’autant que le dynamique Andy Kubert remplace Ron Garney, ce qui maintient la série à un très haut niveau d’action. Je continue à penser qu’un élan est perdu, que l’équipe d’auteurs a du mal à retrouver le rythme, mais c’est quand même pas mal.


À mes yeux, la série retrouve le niveau de la première prestation au moment du lancement de l’intrigue « American Nightmare », soit au numéro 9, cette nouvelle version de Captain America participant au cross-over « Live Kree or Die » dans les épisodes 7 et 8 (pas facile, non plus, d’impulser un élan à un titre quand la pression éditoriale se fait si forte). Waid et Garney s’en expliquent d’ailleurs dans des interviews, expliquant que, pour leur première prestation, personne ne les attendait et ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient, alors que pour la relance « Heroes Return », tous les regards étaient tournés vers eux. De même, il fallait à la fois redonner une atmosphère positive (d’où l’idée de la Capmania) tout en bouleversant un peu l’aspect visuel (ce qui a mené Waid à travailler sur le bouclier, une sous-intrigue qui, visiblement, n’était pas prévue lors de son premier passage).

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À ce titre, on notera que c’est seulement maintenant, alors que la série tourne depuis presque trois trimestres, que Waid commence à apporter des éléments nouveaux, remplissant le casting d’abord avec la famille Ramirez, des immigrés en délicatesse avec les services sociaux, puis Connie Ferrarri, une avocate qui prendra de plus en plus de place dans le quotidien du héros (un peu en contradiction avec ses déclarations d’origine, où il expliquait que le choix de faire revenir Sharon Carter répondait à la nécessité, selon lui, d’avoir une équipière qui puisse se situer sur un pied d’égalité avec le héros : on y reviendra). L’apport de cet environnement donne l’impression que Waid renoue avec ses idées initiales, reprend là où il avait laissé les affaires.

Et effectivement, la série redémarre vraiment. Le premier épisode de cette nouvelle intrigue commence sur les chapeaux de roue, avec un champion de base-ball qui pète un plomb et tabasse des admirateurs. La scène suivante s’arrête sur un article du Daily Bugle évoquant le Général Chapman, que l’on a vu à plusieurs reprises durant le tour de piste initial de Waid, et qui est présenté comme un militaire droit dans ses bottes mais fermement patriote et insoupçonnable d’un quelconque pétage de plomb. Et pourtant…

Waid nous présente un Steve Rogers bien intégré dans son quartier, toujours optimiste, cherchant des solutions pour les Ramirez. C’est dense et généreux. L’épisode nous présente aussi le nouveau bouclier énergétique de Cap, version améliorée de celui qu’il a utilisé quand il était un « homme sans pays », et qui remplace son bouclier rond disparu et son bouclier triangulaire cabossé. Sharon vient demander l’aide de Cap afin d’enquêter sur ces représentants du « Rêve Américain » qui craquent un câble. S’ensuit une scène où les deux complices sautent d’immeuble en immeuble jusqu’à un chantier de construction où ils croisent le Rhino, un vilain que Waid et Kubert ont déjà utilisé dans Ka-Zar.

Je reste pour ma part un peu circonspect sur la manière de représenter Sharon. Ce que je trouvais intéressant dans les épisodes des décennies passées, c’est que les Steve et Sharon pouvaient discuter d’égal à égal, mais qu’il y avait une différence physique due au sérum de super-soldat, qui induisait que le héros étoilé était capable d’exploits dont Sharon ne pouvait que rêver. En représentant les deux héros dans un ballet aérien, Waid et Kubert en font un couple d’acrobate qui n’est pas sans rappeler Daredevil et Black Widow, gommant les différences entre les deux protagonistes. Effectivement, Waid offre à Cap une compagne qui est son égal, mais le résultat revient soit à la super-héroïser elle, soit à diminuer le caractère exceptionnel du patriote. Cela laisse perplexe.

Dans l’épisode suivant, après le combat contre le Rhino, Cap et Sharon renoue avec Dum-Dum Dugan, qui explique que les victimes de ces accès de folie sont comme des somnambules, plongés dans leurs rêves. Les indices relevés durant l’enquête laissent penser que ce sont tous des tenants du « Rêve Américain » (un grand sportif, un entrepreneur, un militaire…). À l’occasion d’un gros plan, les auteurs laissent entendre que le sentiment de colère ressenti par Cap est peut-être plus profond (comme l’indique la couleur de ses yeux).

Avec l’équipement du SHIELD, la conscience de Cap est projetée dans celle des « rêveurs », et il découvre le véritable ennemi : Nightmare, le premier adversaire historique de Doctor Strange. Voilà un autre indice qui me laisse penser que Waid renoue ici avec ses premières idées : en effet, on assiste ici à l’une de ses astuces, à savoir confronter le héros à un adversaire qui ne fait pas partie de sa « galerie de gredins » habituelle (comme opposer Ka-Zar à Thanos ou Daredevil au Mole-Man…).

Bien entendu, ça ne se passe pas comme prévu, puisque Cap a été au préalable endormi, et qu’il est donc à son tour atteint par le « cauchemar américain ».

On l’a peut-être vu venir, mais le cliffhanger est bien efficace. Possédé par Nightmare, Cap devient incontrôlable.

Le troisième volet de ce récit est construit comme une course-poursuite où Sharon tente d’arrêter son équipier. Les textes s’attardent sur le fait que Cap, qui croit dur comme fer au Rêve Américain, est sensible au pouvoir de Nightmare, mais pas elle.

En effet, Waid fait le portrait d’une Sharon cynique et désabusée, depuis cette mission où elle a été abandonnée de l’autre côté des lignes par sa hiérarchie. C’est le sujet, notamment, du dernier épisode avant « Heroes Reborn », mais également de la première livraison de Sentinel of Liberty, où Cap compare la Sharon actuelle à celle qu’il a connue dans le passé. Waid tient à faire de cette agente de terrain une combattante qui n’est pas entravée par les ordres, la politique ou les idéaux.

Bien entendu, le détachement qu’elle affiche et la distance qu’elle pense entretenir vis-à-vis de sa nation ne suffisent pas à la protéger de l’influence de Nightmare, et elle tombe aussi sous sa coupe, juste avant le dernier volet de cette saga bien tendue.

La conclusion est publiée dans le douzième épisode, double pour la circonstance. Steve et Sharon poursuivent le combat dans le monde des rêves où règne Nightmare, essayant de rallier les rêveurs à leur cause. Les deux auteurs ne sont pas avares d’images fortes, notamment le décollage du missile, qui comptent parmi les séquences les plus folles chez Waid, qui en a écrit pourtant de fameuses.

La saga, essoufflante, se conclut sur un dialogue qui fait apparaître une complicité amusée entre les deux héros, Cap se moquant du fait que, finalement, Sharon croit encore en l’Amérique. Si c’est une manière de calmer, peut-être, une certaine frange du lectorat, l’ensemble de l’histoire a tout de même été l’occasion de montrer qu’on peut être américain sans pour autant être aveugle…

Le sommaire du recueil comprend également deux Annuals, Iron Man & Captain America Annual 1998, écrit par Kurt Busiek et dessiné par Patrick Zircher, avec MODOK, ainsi que le Captain America & Citizen V Annual 1998, également écrit par Busiek et cette fois dessiné par Mark Bagley.

Jim

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