Ah, les années 1970 chez Marvel. Élargissement du catalogue (parce que les super-héros marquent le pas) et des genres explorés (parce que le Comics Code s’adoucit), et donc les lecteurs voient arriver des personnages nouveaux qui ne correspondent plus tout à fait au format super-héroïque. Ces personnages obtiennent des séries à leur nom après avoir fait quelques tours de piste chez les vedettes, et connaissent des aventures d’un genre nouveau, souvent désordonnées et foutraques, mais passionnantes.
C’est le cas de Morbius, le « vampire vivant » de Marvel, dont les premières aventures ont fait l’objet d’une compilation dans la collection « Epic Collection » (je découvre l’existence d’un tome 2, ça me fait dresser l’oreille). Le sommaire, bien entendu, est éclectique, on le devine.
Le recueil s’ouvre avec Amazing Spider-Man #101 et 102, deux épisodes appartenant à la courte période Roy Thomas où le scénariste, visiblement embêté par le personnage, part dans des directions un peu inédite. On retrouve Peter Parker transformé en araignée humaine dotée de six bras, et cherche de l’aide auprès du docteur Curt Connors. Bien entendu, il se retrouve très vite coincé entre le vampire et le lézard, et le récit se résout dans un épisode double (pourquoi double, allez savoir).
Les deux épisodes sont datés d’octobre et novembre 1971. Il faudra attendre l’année suivante pour que Michael Morbius fasse son retour, cette fois dans la récente série Marvel Team-Up, dont les épisodes 3 et 4 accueille ses nouvelles apparitions. On comprend donc qu’il n’est pas mort à la fin de son premier tour de piste.
Le premier chapitre est écrit par Gerry Conway et illustré par Ross Andru, qui laissera plus tard sa marque sur la série principale du Tisseur. Le thème de la maladie traverse le récit et, par le biais de Martine, la fiancée du vampire, la dimension tragique de Morbius est renforcée.
L’épisode suivant voit le retour de Gil Kane au dessin, qui retrouve à cette occasion l’anti-héros qu’il a contribué à faire naître. Pour les lecteurs de l’époque, c’est l’occasion de retrouver les X-Men, personnages qui venaient de perdre leur titre (ne survivant qu’à la faveur de réimpression) et qui font ici un retour en costumes civils.
Après ces quatre épisodes, Morbius est désormais bien installé. Au point qu’il figure au sommaire de l’anthologie Vampire Tales, en 1973, magazine en noir & blanc surfant à la fois sur l’appétence du lectorat pour les personnages horrifiques et sur la possibilité de s’arracher au carcan du Comics Code par le biais d’un format différent. Morbius ouvre donc le sommaire de Vampire Tales #1, daté d’août 1973. Les magazines en noir & blanc sont également un lieu d’expression pour une nouvelle génération d’auteurs, et c’est ainsi que ce premier récit, assez convenu (le vampire est confronté à ses actes mais aussi à des adversaires qui constituent des proies privilégiées), est écrit par Steve Gerber et dessiné par Pablo Marcos.
Voilà, le personnage est bien installé. 1974 sera l’année de la consécration. Le sommaire propose alors la réimpression de Giant-Size Super-Heroes #1, dans lequel Spider-Man se retrouve pris en sandwich entre Morbius et le Man-Wolf (un épisode déjà évoqué dans le cadre des réimpressions consacrées à John Jameson), à l’occasion d’un récit musclé et tragique encore signé par Gerry Conway et Gil Kane.
Cet épisode est daté de juin, mais les aventures solo de Morbius commencent dans Fear #1, daté de février 1974. D’abord dédié à des rééditions de monster comics, le titre a abrité les premières aventures de Man-Thing, avec succès. Le vampire vivant prend le relai, mais la série est marquée par un phénomène typique des séries secondaires de l’époque, la valse des auteurs. Le premier épisode est signé Mike Friedrich et Paul Gulacy, et confronte le héros à des prêtres inquiétants, plongeant le récit dans une atmosphère religieuse angoissante.
Dès l’épisode suivant, c’est Steve Gerber et Gil Kane qui prennent le relai. Morbius rencontre une gamine dotée de pouvoirs (elle est capable de convoquer une guerrière qui est une sorte de double fantasmé d’elle-même). Le scénariste prend le thème de la secte et le greffe à une intrigue de science-fiction tournant autour de l’évolution de l’espèce humaine. Daemond, l’un des deux religieux du premier chapitre, s’impose en fou de dieu aux ambitions démesurées. Morbius affronte un homme-chat et la dernière case nous apprend que Martine, toujours vivante, est sous la coupe de Daemond.
Morbius est alors embarqué dans un voyage lointain, rencontrant le Peuple-Chat dans l’épisode #22 dessiné par Rich Buckler, puis croisant le chemin d’une peuplade mutante extraterrestre dans le chapitre suivant, illustré par un jeune Craig Russell. La série part dans tous les sens, mais propose des idées frappadingues auxquelles Steve Englehart fera référence des années plus tard dans ses épisodes de Fantastic Four. Morbius revient sur Terre dans l’épisode suivant, toujours sous la surveillance de la mystérieuse secte qui tente de contrôler son destin.
Le sommaire marque une pause à ce moment, puisque les aventures en noir & blanc du héros, dans Vampire Tales #2 à 8, remplacent les péripéties en couleur. Ces nouveaux chapitres, qui se veulent moins super-héroïques et plus horrifiques, tranchent avec l’ambiance de science-fiction proposée par Steve Gerber. Cette fois, c’est Don McGregor qui se charge du script. Les pages sont bien entendu bavardes, mais assez immersives. Au programme : sectes, manipulations, sacrifices humains…
Au dessin, on retrouve Rich Buckler ou Tom Sutton, qui proposent des ambiances crépusculaires dans des décors côtiers ou des villes fantômes. McGregor en profite pour glisser quelques commentaires politiques.
Autre nouveauté par rapport aux aventures dans les comic books, Morbius trouve des alliés humains au fil de ses aventures. Cela permet de mettre à l’épreuve sa force de volonté, mais aussi de varier les points de vue et d’humaniser un peu le héros, sans abuser du pathos.
Retour au comic book. L’excellent et mésestimé Doug Moench vient prêter main-forte à Steve Gerber dans Fear #25, daté de décembre 1974. Cette fois, c’est Frank Robbins qui illustre le récit. L’ancien dessinateur de strips d’aviation s’en sort très bien, convoquant des images baroques et une pyrotechnie échevelée pour une confrontation finale entre Morbius et la secte de Daemond. Le scénario résume les péripéties précédentes et donne du lien à une intrigue jusque-là décousue à force d’explorer de nombreuses pistes.
Moench et Robbins signe un Fear #26 en forme de conclusion apocalyptique. Daemond accède à un pouvoir accru, la petite Tara dévoile son rôle dans tout ce désordre, Martine est libérée de l’influence délétère du prêtre, ça pète dans tous les coins et c’est riche et généreux.
Le tome se conclut avec Giant-Size Werewolf #4, daté d’avril 1975, dans lequel le loup-garou affronte le vampire vivant. Le récit, écrit par Doug Moench et illustré par Virgil Redondo, marque les retrouvailles officielles entre Michael et Martine. Un épisode en mode mineur après les deux chapitres précédents d’une nervosité hystérique, mais qui boucle agréablement ce premier recueil.
Jim